Inquiétude et désarroi

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Vers un refus du stress imposé

Sommaire

[modifier] Introduction

Inquiétude et désarroi semblent les deux piliers de l'esprit actuel. Abreuvé d'informations diverses et variées, souvent alarmistes, l'homme moderne est la proie d'assauts récurrents de problèmes complexes et insolubles à son niveau[1].

Ces agressions permanentes de la société envers ses membres ont l'effet pervers d'agir sur la représentation de la société de chacun d'entre nous, de provoquer la glose sur des sujets que nous ne maîtrisons pas, d'écarter l'homme de ses propres problèmes ou de le submerger avec des problèmes dans lesquels les priorités sont difficiles à établir. On pourrait parler de stress structurel.

[modifier] La responsabilité

Si le problème de fond reste difficile à cerner, nous allons tenter une lecture au travers de la notion de responsabilité[2]. Si nous avions tous confiance en le fait que nous-mêmes et les autres assumions nos propres responsabilités et pas plus, ce stress se transformerait en une confiance en l'avenir du fait de la connaissance de la personne responsable pour la résolution de tout problème déterminé. La société est suffisamment hiérarchisée pour que nous attendions des personnes théoriquement responsables qu'elles assument leurs propres responsabilités.

Or, force est de constater que le sentiment dominant dans la plupart des esprits est la méfiance plus que la confiance. Cette méfiance est due au fait que la plupart des gens ne croient plus les gens théoriquement responsables capables d'assumer cette responsabilité.

[modifier] Une notion en évolution

Car, si l'on entre dans la notion même de responsabilité, notamment de responsabilité politique, il est clair que l'image que l'on se fait de cette responsabilité a, quelque part, grandement évolué avec le monde. Il n'est donc pas certain que cette responsabilité soit définie de manière claire et juste au sein de notre monde.

Prenons quelques exemples précis. « Le politique est responsable de l'emploi ». Il n'est pas certain que cette affirmation soit aussi immédiate aujourd'hui qu'elle ne le fut dans notre passé, du fait de l'Europe, de l'ouverture des frontières au commerce international et de l'existence de sociétés multinationales. Il n'est pas certain que la nouvelle structure du monde politique ne limite pas cette responsabilité, à moins que le politique ne décide de donner dans un protectionnisme étatique et de faire tourner son pays en autonomie ou avec quelques partenaires commerciaux bien choisis. Le fait donc de se méfier des politiques et de leur attribuer la faute de politiques d'emploi infructueuses est peut-être une logique quelque peu erronée. Ne faudrait-il pas définir la responsabilité politique en matière d'emploi afin de pouvoir juger si les politiques élus assument ou pas cette même responsabilité, au lieu de les faire alterner de manière stérile au gouvernement ?

Un autre exemple serait la responsabilité des professeurs dans les collèges et lycées. Le métier de professeur depuis des années subit de profondes modifications : on ne veut plus de cours magistraux, on veut une communication entre l'élève et le professeur qui, selon beaucoup de têtes bien pensantes, ne devrait pas lésiner à se transformer en garde d'enfants, en professeur d'éducation civique, en parent de remplacement. Mais sur quels critères allons-nous à l'avenir estimer le travail d'un professeur ? Et comment ne pas tenir compte du nombre toujours décroissant du nombre d'heures de français au profit de projets pédagogiques gadgets ? Quelle est la responsabilité du professeur et quels sont les domaines dans lesquels le professeurs peut n'être pas responsable ? Il est important de trancher sur ces questions si nous souhaitons pouvoir instaurer une confiance.

Le dernier exemple pourrait être l'entreprise avec la responsabilité de ses acteurs. Qui est responsable de quoi ? Le chef d'entreprise est-il responsable de la sauvegarde des emplois à tous prix ? Pratique-t-il un management à la Louis XIV ? Est-ce normal ? Quelles sont ses responsabilités vis à vis des personnes employées, des actionnaires, de l'Etat ?

[modifier] Un monde complexe

Certes le monde est complexe, mais la France est le bon exemple d'une responsabilité basée uniquement sur la loi : il faut légiférer en France et ajouter aux tonnes de textes réglementaires d'autres textes pour les amender, les contredire, voire les renforcer. Outre le fait de nourrir le monde du droit, la complexité du monde est créée chaque jour par nous, peut-être aussi quelque part parce que le débat de la responsabilité reste absolument tabou.

Qui clame sa responsabilité en ce moment ? Les faucheurs de champs d'OGM ? C'est bien triste, car leur responsabilité auto-proclamée est une responsabilité perverse. Qui renvoie en ce moment les personnes humaines et singulières à leurs propres responsabilités ? Les moralistes religieux, ce qui est aussi bien triste. Qui met les parents en face de leurs responsabilités[3] ? Quels intellectuels prennent la responsabilité de ne pas crier « haro sur le baudet » pour de bonnes intentions brouillant les responsabilités de chacun[4] ? Avons-nous peur à ce point de se regarder en face pour prendre nos responsabilités, et seulement les nôtres ? Ne sommes-nous pas devenus des assistés mentaux au point de ne plus pouvoir penser sans la société, de ne plus pouvoir agir sans la caution d'une frange sociale ? Sommes-nous à ce point aliénés ?

[modifier] Stress et aliénation

Le climat de stress vient donc de ce climat d'aliénation dans lequel la projection de nos inquiétudes sur le monde est devenu le vrai défouloir, le vrai potentiel pour décharger son agressivité et éviter de se regarder soi. Auparavant, l'enfer et ses démons faisaient peur ; désormais, le monde fait peur. Le monde est le Satan d'aujourd'hui que nous voyons au travers de notre petit écran tous les jours. Au niveau structurel, on peut voir de grandes similitudes entre les mécanismes d'endoctrinement religieux de notre passé et la télévision.

Et si regarder la télévision était un acte de foi envers la représentation du monde qu'on nous donne à consommer, un acte religieux ?

Le stress pourrait être l'envers du décor de l'aliénation, le stress est le malaise qui surgit lorsque l'on est aliéné, qu'on le comprend à demi-mot, mais que l'on a du mal à se sortir de cette pression qui est à la fois déstabilisante et réconfortante. Le stress absorbe notre énergie et nous rend docile. Le stress pourrait être la partie immergée de l'iceberg, cachant la non individuation structurelle de nous tous.

[modifier] Vers un refus du stress

Il serait peut-être intelligent de se positionner pour un refus du stress. Que puis-je faire, moi, à ma place, contre les guerres et les famines ? Que puis-je faire contre les maladies graves et l'insécurité ? Rien ? Alors que l'on ne vienne pas me faire culpabiliser de vivre dans un pays riche, qu'on ne vienne pas me demander des comptes sur un engagement politique pour ou contre le nouveau président des Etats-Unis, que l'on ne vienne pas me faire des leçons de morale quand je fais des choses dans mon coin. Je peux refuser le stress dans la mesure où je refuse le stress qui ne dépend pas de ma responsabilité. Je choisis mes stress et mes priorités et j'assume ma responsabilité. Mais pourquoi s'inquiéter sur les sujets qu'on me présente ? On dira que je n'ai pas d'empathie pour le monde (encore un zest de tradition judéo-chrétienne probablement) et ce sera faux : j'ai de l'empathie pour les autres, pour ceux qui me sont chers et pour moi. Mais je n'éprouverai pas une once de culpabilité si on cherche à me faire endosser une responsabilité que je n'ai pas et que je n'ai aucun moyen d'exercer.

En se disant de telles choses, la dose de stress quotidienne diminue jusqu'à disparaître. Nous sommes hors du stress du monde. L'opportunité pour nous de voir les choses avec du recul. Et de s'engager ou pas si c'est là notre choix d'assumer d'autres responsabilités.

[modifier] Notes

  1. Cf. La fracture médiatique.
  2. Cf. Pouvoir et persona.
  3. Cf. Le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français.
  4. Cf. La genèse de la société névrotique.