Cinquante et unième nuit

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Dinarzade, le lendemain, ne craignit pas d’interrompre le sommeil de la sultane :

Si vous ne dormez pas, ma sœur, lui dit-elle, je vous prie de reprendre le fil de cette merveilleuse histoire que vous ne pûtes achever hier. Je suis curieuse d’entendre la suite de toutes ces métamorphoses.

Scheherazade rappela dans sa mémoire l’endroit où elle en était demeurée, et puis, adressant la parole au sultan :

Sire, dit-elle, le second calender continua de cette sorte son histoire :

« Le coq se jeta dans le canal et se changea en un brochet qui poursuivit le petit poisson. Ils furent l’un et l’autre deux heures entières sous l’eau, et nous ne savions ce qu’ils étaient devenus, lorsque nous entendîmes des cris horribles qui nous firent frémir. Peu de temps après nous vîmes le génie et la princesse tout en feu. Ils lancèrent l’un contre l’autre des flammes par la bouche jusqu’à ce qu’ils vinrent à se prendre corps à corps. Alors les deux feux s’augmentèrent et jetèrent une fumée épaisse et enflammée qui s’éleva fort haut. Nous craignîmes avec raison qu’elle n’embrasât tout le palais, mais nous eûmes bientôt un sujet de crainte beaucoup plus pressant, car le génie, s’étant débarrassé de la princesse, vint jusqu’à la galerie où nous étions et nous souffla des tourbillons de feu. C’était fait de nous si la princesse, accourant à notre secours, ne l’eût obligé par ses cris à s’éloigner et à se garder d’elle. Néanmoins, quelque diligence qu’elle fît, elle ne put empêcher que le sultan n’eût la barbe brûlée et le visage gâté, que le chef des eunuques ne fût étouffé et consumé sur-le-champ, et qu’une étincelle n’entrât dans mon œil droit et ne me rendît borgne. Le sultan et moi nous nous attendions à périr ; mais bientôt nous ouïmes crier ; Victoire ! victoire ! et nous vîmes tout à coup paraître la princesse sous sa forme naturelle, et le génie réduit en un monceau de cendres.

La princesse s’approcha de nous, et, pour ne pas perdre de temps, elle demanda une tasse pleine d’eau, qui lui fut apportée par le jeune esclave, à qui le feu n’avait fait aucun mal. Elle la prit, et après quelques paroles prononcées dessus, elle jeta l’eau sur moi en disant :

« Si tu es singe par enchantement, change de figure et prends celle d’homme que tu avais auparavant. »

À peine eut-elle achevé ces mots, que je redevins homme tel que j’étais avant ma métamorphose, à un œil près.

« Je me préparais à remercier la princesse, mais elle ne m’en donna pas le temps. Elle s’adressa au sultan son père et lui dit :

« Sire, j’ai remporté la victoire sur le génie, comme votre majesté le peut voir. Mais c’est une victoire qui me coûte cher : il me reste peu de moments à vivre, et vous n’aurez pas la satisfaction de faire le mariage que vous méditiez. Le feu m’a pénétrée dans ce combat terrible, et je sens qu’il me consume peu à peu. Cela ne serait point arrivé si je m’étais aperçu du dernier grain de la grenade et que je l’eusse avalé comme les autres lorsque j’étais changée en coq. Le génie s’y était réfugié comme en son dernier retranchement, et de là dépendait le succès du combat, qui aurait été heureux et sans danger pour moi. Cette faute m’a obligée de recourir au feu et de combattre avec ces puissantes armes, comme je l’ai fait entre le ciel et la terre et en votre présence. Malgré le pouvoir de son art redoutable et son expérience, j’ai fait connaître au génie que j’en savais plus que lui ; je l’ai vaincu et réduit en cendres. Mais je ne puis échapper à la mort qui s’approche. »

Scheherazade interrompit en cet endroit l’histoire du second calender, et dit au sultan :

Sire, le jour, qui paraît, m’avertit de n’en pas dire davantage ; mais si votre majesté veut bien encore me laisser vivre jusqu’à demain, elle entendra la fin de cette histoire.

Schahriar y consentit et se leva, suivant sa coutume, pour aller vaquer aux affaires de son empire.


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