Le management façon Louis XIV

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Ou l'exception managériale française

Sommaire

[modifier] Introduction

Le management à la française est en question. Quand on voit le succès du livre Bonjour paresse en librairie actuellement, il y a des questions à se poser sur pas mal de sujets.

Pour rappeler le contexte, indiquons que ce livre traite de la meilleure façon de faire illusion au sein de l'entreprise privée afin de ne rien faire. Bien sûr, l'auteur de ce livre n'est autre qu'une salariée d'EDF, symbole plus que réel de conditions de travail dorées et d'un manque de pression et de motivation dans la plupart de ses services. Elle travaille à temps partiel et indique qu'elle a refusé sciemment des responsabilités au sein de l'entreprise. Au bout d'un certain temps, il est clair que ce genre de choix peut impliquer une routine et un investissement insuffisant pour accéder à des projets ou du travail intéressant. D'une certaine façon, cette dame a fait des choix personnels. Le problème est quand ces choix font office de représentation.

Car la loi des entreprises privées est simple : elle est souvent un équilibre entre travail intéressant et investissement. Pour gérer cet équilibre, c'est-à-dire ne pas trop s'investir pour vivre de manière personnelle et s'investir suffisamment pour ne pas s'ennuyer, la personne fait des choix personnels. Cela est vrai pour tous les pays et tous les types d'entreprises.

Mais quand un livre comme celui-là devient une icône d'un mouvement de grogne et cristallise sur lui un phénomène d'accusation de l'entreprise (une nouvelle fois), il est nécessaire de recadrer le vrai fond du débat.

[modifier] Le rôle de l'inconscient collectif français

La première des choses est de réaliser que le créneau est facile car la tourbe contestataire est en France, ancrée dans les gènes. L'entreprise a mauvaise presse parce que :

  • ce qu'elle fait est utile et n'a pas la qualification d'art ou d'action sociale (alors que même dans ce jugement, la vision est simpliste) ;
  • l'entreprise met en place des relations de hiérarchie qui s'appuient sur des relations d'autorité, or l'autorité est assimilée à l'autoritarisme et est jugée en tant que telle comme mauvaise pour l'homme[1] ;
  • l'entreprise a pour but de gagner de l'argent, ce qui est mal dans notre culture catholique ;
  • l'entreprise est l'illustration d'un "capitalisme sauvage" et du "libéralisme", représentations abhorrées par l'inconscient collectif français.

Dans ces conditions, cracher sur l'entreprise attire obligatoirement les suffrages de l'opinion publique et la sympathie. L'entreprise moderne est un lieu d'esclavage au service du libéralisme : sus à l'entreprise !

[modifier] L'entreprise, un monde varié

Bien entendu, la vérité est ailleurs et toute l'erreur du diagnostic précédent est contenu dans le seul mot : entreprise. Qu'est-ce qu'une entreprise ? Diverses sortes d'organisations regroupées sous le nom d'entreprise : des PME de moins de dix personnes, des PME de plusieurs centaines de collaborateurs, des grandes entreprises de plusieurs milliers de personnes et aucune dont les problèmes ne puissent être assimilés les uns aux autres.

Si les entreprises en France souffrent de leur image négative, c'est aussi parce qu'en France, le plus mauvais des employeurs est l'Etat. Or, qui sont les grévistes ? Les salariés du service public de manière très majoritaire ou des vastes structures para-publiques. Ces personnes ont les moyens de mener des grèves alors que les grèves ne sont menées dans les entreprises privées qu'en cas de problème grave. Or, au sein de ces structures, les salaires et les conditions de travail sont souvent mauvais, la hiérarchie est préhistorique et la notion de « management », dont la seule évocation fait pousser de l'urticaire à bien des gens, est parfaitement inconnue. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'auteur du livre citée en introduction travaille dans l'entreprise para-publique EDF (et bien que cette société soit de loin une des mieux lotie du parc des sociétés dans lesquelles l'Etat a des participations).

Pour ce qui est des sociétés privées, elles sont si disparates qu'il est difficile de faire un cas général. Pour ce qui est des grandes sociétés privées, présentes à l'international, il est clair que certains principes de base doivent être compris quand on travaille au sein de ces dernières : nous travaillons dans un monde concurrentiel et mieux vaut manger les autres que d'être mangé par eux. Au quotidien, l'ambiance dans de telles sociétés peut être difficile et cela pour plusieurs raisons :

  • il faut travailler avec des personnes que l'on ne choisit pas et dont un certain nombre donne des signes de mauvaise volonté, quand ce n'est pas pire ;
  • il faut respecter une hiérarchie ;
  • il faut accepter d'être jugé sur des critères mettant en jeu un certain travail à fournir ou une certaine productivité.

Or, derrière ces problèmes de respect de l'autorité, se cachent des problèmes plus graves qui ont trait à une certaine impossibilité française à collaborer tout en ayant un responsable hiérarchique, et une propension de ces derniers à asseoir leur autorité et à se servir de cette autorité pour asservir les gens avec qui ils travaillent.

[modifier] Un management préhistorique

Si l'on va encore plus loin dans l'exercice, on s'aperçoit que le vrai problème du responsable hiérarchique en entreprise est d'être trop peu sensible à la psychologie des gens. Cette caractéristique n'est pas le seul fait du responsable, mais elle se voit plus chez lui, car sa seule façon d'imposer sa volonté est d'utiliser des arguments d'autorité. On pourrait résumer cela en disant que le management à la française est souvent un management à la Louis XIV, un management affectif qui favorise le copinage et la montée dans la hiérarchie d'incapables ne se faisant respecter qu'en jouant les petits chefs sur des sbires qu'ils harcèlent. Bien sûr, le tableau de la vie en entreprise peut n'être pas glorieux ; mais il est le fait des hommes et des femmes qui la composent.

Il s'avère que dans les autres pays occidentaux, surtout ceux dont la culture d'origine est protestante et où le respect de la loi est traditionnellement une des plus hautes vertus de l'homme, les choses se passent souvent légèrement différemment. Les relations de travail sont moins passionnelles. Les gens peuvent traiter de problèmes graves sans mettre en péril la société toute entière. De plus, ces sociétés ne méprisent pas la psychologie et considèrent que les postes de responsables doivent inclure des formations à la gestion des personnes, des conflits dans le respect de l'intégrité psychologique des gens.

[modifier] Un pamphlet de plus

Ce n'est donc pas un hasard si ce genre de livre est publié en France. Le souci principal avec le succès de pamphlets de ce type est, qu'encore une fois, ils rallient contre une image inconsciente erronée, et non en mettant, constructivement, le doigt sur des problèmes réels. Parmi ces derniers, le manque de formation psychologique des responsables, la gestion des conflits, la motivation, etc.

C'est pour quoi, il serait un peu ennuyeux que ce livre devienne une icône du malaise dans l'entreprise, car c'est le livre du découragement, du choix non assumé, c'est le livre de la critique de la surface. Loin d'éclaircir le malaise présent dans certaines entreprises, il présente un tableau fataliste des choses et contribue à la noirceur de la représentation du monde qu'il est à la mode de donner. Il n'est pas question de voir ce qui ne va pas pour tenter de le résoudre, il n'est question que d'abattement, de tricherie et de mensonge. Tout l'inverse de l'esprit d'entreprise, somme toute, qui peut définir un espace collaboratif tout en limitant la propension des personnes à se nuire mutuellement.

[modifier] Notes

  1. Cf. la genèse de la société névrotique.