L'éternelle adolescence

Un article de Caverne des 1001 nuits.


Sommaire

[modifier] Généralités sur l'adolescence

[modifier] La mort à l'enfance

Nous allons commencer cet article en parlant de l'adolescence vue par la psychalyste française Françoise Dolto. Celle-ci expose, dans son livre, La cause des adolescents[1], le concept de « mort à l'enfance ». Selon elle, à un moment de la vie, l'adolescent se rend compte qu'il n'est plus un enfant. Cette prise de conscience est potentiellement un traumatisme qui ressemble à une « mort intérieure », dans la mesure où une partie de l'être de l'enfant disparaît pour laisser apparaître une autre partie en construction.

Le problème de cette mort à l'enfance réside dans le fait que, si l'enfance semble appartenir au passé, le présent de l'adolescent est trouble, car ce dernier, s'il sait qu'il n'est plus un enfant, ne sait pas vraiment ce qu'il est. De plus, même s'il sent qu'il n'est plus un enfant, l'adolescent peut rencontrer des difficultés à affronter cette perte de repères anciens et peut éprouver de véritables difficultés à aborder une nouvelle construction.

Il entrera donc dans une phase de recherche de lui-même, à mi chemin entre une enfance terminée et refusée, une nostalgie des facilités de cette enfance et un monde des adultes qui lui semble, en général, peu accueillant. C'est durant cette phase de recherche plus ou moins active que l'adolescent pourra s'affronter à ses parents dans ce qu'il est convenu de nommer « la crise d'adolescence ».

[modifier] La crise d'adolescence

Celle-ci se manifeste, en général, au niveau de la famille elle-même et il est important de noter qu'elle ne doit pas être attribuée uniquement à l'enfant. Car, les parents de l'adolescent jouent toujours un grand rôle dans cette crise, souvent même sans s'en rendre compte. Le changement de l'adolescent n'est pas forcément visible pour des parents peu occupés de leur enfant. Ainsi, si l'adolescent est en recherche, le problème de nombre de parents est de ne pas écouter leur enfant, de ne pas chercher à comprendre ce qui ne va pas chez lui, en particulier de ne pas reconnaître la crise intérieure qu'il traverse et le fait que cette crise lui cause des souffrances importantes.

En lieu et place, la plupart des parents se positionnent dans la lignée de l'éducation infantile qu'ils ont prodigué à l'adolescent. Mais ce dernier cherche autre chose, une chose difficile à localiser puisqu'il ne souhaite souvent pas être un adulte, mais ne désire plus être traité comme un enfant.

Le raisonnement des parents est souvent très basique et revient à accuser l'adolescent d'avoir changé de comportement, ce qui est vrai, tout comme est vrai le fait que, le plus souvent, ces derniers n'ont eux pas changé de comportement avec l'adolescent depuis sa mort à l'enfance. Il se peut même que beaucoup de parents ne réalisent même pas que leur enfant souffre, focalisés qu'ils sont sur les manifestations souvent morbides de l'enfant.

La crise d'adolescence est donc un phénomène engageant la responsabilité des parents et de l'adolescent et non du seul adolescent.

[modifier] Pathologie de la mort à l'enfance

Dans des cadres conflictuels de ce type, la mort à l'enfance peut devenir pathologique, dans mesure où, accompagnant ce changement, les idées de mort peuvent monter à la surface de la psyché de l'adolescent. L'adolescent développe une névrose morbide avec un réel sentiment d'exclusion de sa propre famille où il ne se sent ni écouté, ni compris dans sa douleur. Les leçons de morale des parents dans ce genre de cas, sont donc souvent très déplacées, car elles ne font que s'ajouter à la négation de la transformation adolescente. Ainsi, le choix entre « sois enfant » ou « sois adulte », est un choix impossible :

  • d'un côté, l'adolescent n'est plus un enfant,
  • de l'autre, l'adolescent n'a aucun moyen d'entrer dans le monde des adultes, à commencer par le fait qu'il ne peut assurer seul sa propre subsistance.

Cette pathologie, si les parents n'en prennent pas compte et la placent sur l'archétype de la « rébellion adolescente », rébellion que eux-même n'ont le plus souvent pas connue, peut impliquer des troubles de la personnalité durable chez l'adolescent, avec les dérives que l'on connaît bien :

  • violence,
  • drogue,
  • fugue,
  • suicide.

On notera aussi que le conflit de la crise d'adolescence peut être agravé par le syndrôme de l'enfant roi. En effet, un enfant qui, déjà enfant, méprise ses parents, ne s'arrangera pas à l'adolescence. Ses réactions, notamment violentes, iront crescendo et stimuleront le dépit de ses parents considérant injuste qu'un enfant qui avait tout ce qu'il demandait aille si loin.

[modifier] La crise d'adolescence n'est pas un passage obligé

En revanche, si les parents accompagnent cette émancipation progressive de l'enfant, l'autonomisent en lui montrant leur confiance, l'adolescent peut progressivement traverser cette phase difficile, ne serait-ce que parce son corps change, qu'il le note et que les autres le notent aussi. Dans ce cas, la « crise d'adolescence » peut ne pas se manifester du tout.

Il existe d'autres cas dans lesquels la crise d'adolescence peut ne pas se manifester, le cas des enfants hypermatures. Ces enfants, mûrs trop vite et trop vite inclus dans le monde des adultes, souvent « positionnés » de manière contestable au sein de la famille voire du couple des parents, ne connaissent pas de crise d'adolescence. Mais, ils connaissent souvent des problèmes graves de psyché étant adultes[2].

[modifier] Fille et garçon, des problèmes différents

Il est une évidence de souligner que les filles et les garçons ne rencontrent pas les mêmes problèmes à l'adolescence, même si leurs névroses d'adolescence se ressembleront in fine dans leurs actes.

Les filles, ainsi, peuvent être perturbées par le changement de regard des hommes sur elles, dès lors que leur corps change. Dans le cas de certaines adolescentes, formées très tôt, la perturbation peut ressembler à un véritable traumatisme, le regard de l'homme lubrique n'étant pas le souvenir qu'elles avaient du regard des hommes sur l'enfant fille. Dès lors que ce regard provient de la famille elle-même, des problèmes peuvent se causer. La relation avec le père est, ici comme dans un grand nombre d'autres cas, très importante pour la destinée sexuelle de la jeune fille.

[modifier] La fin de l'adolescence

Dolto défend le point de vue que l'adolescence se termine lorsque les angoisses des parents n'affectent plus les enfants, lorsque les enfants peuvent accepter leurs parents tels qu'ils sont et savent qu'ils ne pourront jamais les changer, lorsque même, les enfants n'ont plus d'envie de changer leurs parents, mais de vivre leur vie. Cette « acceptation » des parents pour ce qu'ils sont « vraiment » signifie aussi sortir d'une phase d'opposition avec ses parents.

Si l'on reprend cette définition de la fin de l'adolescence et qu'on tente une application sur les gens qui vivent autour de nous, force est de constater que la limite moyenne d'âge de fin d'adolescence est très difficile à évaluer. On pourrait être tenté de proposer 25 ans comme date de fin d'adolescence, car c'est à cet âge que la calcification de la clavicule est terminée (fin de la croissance).

Car, si la relation aux parents détermine notre fin d'adolescence, si l'individuation rime avec l'âge adulte, il n'est pas étonnant de voir bon nombre d'adultes « légaux » souffrir de la pathologie de l'éternelle adolescence.

[modifier] Les racines du syndrome

L'adolescence est un terme relativement récent qui n'est apparu dans la littérature qu'au Romantisme. Avant, un adolescent était considéré comme un enfant et, au moyen de rites de passages sociaux et religieux, était intronisé adulte par la société[3]. La société actuelle fonctionne de manière différente et l'adolescence semble devenue un état permanent pour bien des personnes.

Dolto propose des éléments de réponse dont un des plus importants se situe autour de la problématique du travail et de la faculté à gagner soi-même de quoi créer son autonomie. Un adolescent pouvait, auparavant, se valoriser auprès de ses parents et de la société en travaillant rapidement et donc en ayant un potentiel pour s'émanciper. Actuellement, le travail des enfants est interdit et les filières menant aux études formatent l'esprit des jeunes personnes dans leur incapacité à ne pas dépendre de leurs parents si quelque chose tourne mal pour eux, y compris et peut-être surtout en cas de problème au sein de la cellule familiale elle-même.

Dolto diagnostique un phénomène de résignation sociale très présent chez les adolescents et les jeunes adultes en phase d'études, notamment d'études supérieures, résultant d'un sentiment de condamnation à la dépendance. Les parents eux-mêmes jouent souvent la carte de la dépendance, affective d'abord mais aussi matérielle, en continuant de demander des comptes à des jeunes adultes dont l'esprit est encore adolescent. Car, si l'esprit d'un adulte est adolescent, il y toujours un problème de relations parentales caché derrière.

[modifier] Conséquences sociales

[modifier] Des formes emblématiques de l'adolescence dans le monde adulte

Etant donnée la généralisation sociale du phénomène de dépendance, matérielle et psychologique, la généralisation de cette résignation, la société elle-même s'est peuplée de cet état d'esprit adolescent, caractéristique dans ses manifestations d'immaturité. D'une certaine façon, l'immaturité adolescente des adultes légaux (les plus de dix-huit ans) est devenue légitime, aucun rite de passage vers l'âge adulte ne venant rompre cet âge du doute sur soi, et en raison de l'allongement des études.

Sans être un jugement, l'immaturité des adultes adolescents s'illustre par plusieurs formes emblématiques de l'adolescence elle-même :

  • le culte pour l'esprit rebelle[4],
  • une tendance à l'agressivité ou à l'isolement,
  • un esprit de clan,
  • des idées noires récurrentes sur soi et sur le monde, pouvant mener au nihilisme et au suicide,
  • des comportements enfantins,
  • une tendance accrue à se faire manipuler, face complémentaire à la prétention de tout savoir,
  • la non acceptation de soi tant physique que psychologique,
  • la peur de prendre des responsabilités et d'assumer seul sa vie.

L'adulte adolescent est donc une personne non entièrement construite, en plein désarroi, et si exclue de facto du monde des réalités que ses postures sont soit hors-sujet, soit tout à fait factices.

La généralisation de ce genre de comportements a même généré au sein de la société une vraie fierté naïve et un peu incongrue de rester des adolescents, passé l'âge de la trentaine. Cet état de faits aiguise bien entendu l'appétit de sociétés qui ont pour but de vendre à la catégorie des adolescents, très sensibles aux modes, soit dites «normales», soit étiquetées «rebelles»[5].

Une fois parvenus à l'indépendance financière, les jeunes adultes ne sont pas arrivés à une maturité psychologique d'adulte et le chemin qui s'ouvre à eux pour y parvenir est d'autant plus long et difficile qu'il leur faut, en quelques années, reconsidérer la plupart de leurs principes de vie et les opinions simplistes qu'ils avaient sur le monde. Le fossé est parfois si profond que beaucoup d'entre eux ne peuvent le franchir et sombrent dans une névrose post-adolescente, faite d'insatisfactions perpétuelles, de dépression chronique et de contestations stériles. Ces personnes sont les plus faciles à endoctriner si le discours possède des intonations rebelles.

[modifier] Le narcissisme adolescent chez l'adulte

Un des traits de la névrose commune du jeune adulte resté enfermé dans son adolescence est le narcissisme, avec les comportements induits par un tel mode de fonctionnement :

  • une consommation effrénée de produits de la société pouvant le valoriser,
  • une logique dans laquelle l'obtenir est plus important que le désir [6] ;
  • le culte de certains dogmes qui ont des structures aliénantes et peuvent le valoriser, voire lui proposer une identité pré-construite[7] ;
  • un exhibitionnisme qui cherche à provoquer l'amour des autres et qui trahit une certaine naïveté[8],
  • une recherche intellectuelle de l'amour au travers des moyens modernes[9],
  • etc.

[modifier] La logique de groupe

Le jeune adulte en phase adolescente est donc en quête de reconnaissance et d'amour et ne trouve pas la place qui est la sienne au sein de la société. Une des solutions palliatives est l'investissement dans un groupe qui peut revêtir deux natures :

  • le groupe actif, qui est un groupe politiquement engagé ou socialement engagé (altermondialisme en tête), dans lequel les bonnes intentions pleuvent pour rechercher collectivement ce besoin de reconnaissance personnelle,
  • le groupe passif, qui s'illustre dans des soirées stériles où chacun parle de soi.

Chaque groupe possède sa propre structure, ses propres mentors et la reconnaissance du mentor comble partiellement le besoin de reconnaissance de l'éternel adolescent[10].

[modifier] La responsabilité de la société et des parents

D'une certaine façon, la société n'offre aucune aide à ces adultes adolescents, car leur présence en fait des cibles de choix pour les vendeurs, et la tradition de la philosophie française a, d'une certaine façon, structuré ce mode de fonctionnement depuis Sartre[11]. La société, en ce qu'elle ne propose plus de rites de passage à l'âge adulte, en ce qu'elle ne critique pas les messages de ses penseurs phares, en ce qu'elle méprise de manière institutionnelle la psychanalyse [12] et la psychologie, ne laisse d'autre choix à l'adulte adolescent de faire ses bêtises lui-même, c'est-à-dire de faire le reste du chemin seul. La société, dans ce domaine, semble ne donner que des images morales ou des images de solitude, toutes basées sur l'assomption étonnante du fait que tous les adultes sont psychologiquement construits à dix-huit ans[13].

Dans cet état des lieux de la responsabilité sociale, il faut indiquer qu'hormis le rôle très ambigu de penseurs névrotiques et très intelligents (l'une et l'autre des dimensions n'ayant rien d'incompatible), le fait que la société héberge et reconnaisse désormais quantité d'écrivains et de journalistes dont la maturité affective et psychologique est restée cloîtrée dans une adolescence mal assumée[14], est très pernicieux. Le résultat est que le message transmis par ces gens légitime un allongement illimité de l'adolescence. Pour paraphraser De Gaulle, on pourrait dire que, dans la société, les adolescents parlent aux adolescents.

[modifier] Conclusion

Il paraît donc nécessaire de dire et de redire que le statut d'adulte est accessible aujourd'hui comme hier au travers du travail sur soi, sans obligatoirement se conformer à l'image archétypale de l'adulte social. Si certains adultes sont des adolescents et sont fiers de l'être, il faut les traiter comme ce qu'ils croient qu'ils sont. C'est souvent la meilleure façon de faire naître le doute en eux. Beaucoup, en découvrant la réalité, en seront profondément meurtris et resteront à jamais à peine construits psychologiquement, bloqués dans les certitudes d'avoir raison face au reste du monde, souvent qualifié de « méchant ».

Il serait bon de dévoiler sur la place publique les responsabilités des parents qui, en tant qu'ils établissent le socle fondateur de la psychologie des enfants, ont une responsabilité fondamentale dans la stabilité psychologique des enfants et par conséquent des adolescents en passe de devenir des jeunes adultes. Or, ce lien familial n'est pas plus critiquable aujourd'hui qu'il ne le fut hier. Qu'untel ou unetelle soit atteint(e) en tant que jeune adulte d'angoisses, de dépression, de syndromes somatiques physiques plus ou moins graves, si responsabilité des parents il y a, cette dernière ne peut être désigné que par un professionnel du type psychiatre ou psychanalyste, personnes dont on se méfie a priori[15].

C'est pourtant d'une véritable psychanalyse sociale dont la France aurait besoin[16], et non, comme cela fut fait dans le passé, de sociologie uniquement. Le désarroi structurel actuel des personnes en état d'adolescence permanente n'est pas inévitable, mais il alimente la société névrotique dans laquelle la vraie fracture n'est pas une fracture sociale entre les individus mais une véritable fracture psychologique entre : - les gens qui, d'eux-mêmes ont réussi à passer le cap de l'âge adulte psychologique, - ceux qui, malgré les années, ont gardé en eux un comportement de perpétuel adolescent.

Que dire alors du comportement de parents, adultes adolescents, vis à vis de leurs enfants ? Qu'il est néfaste pour les enfants qui voient en leurs géniteurs des personnes à mi-chemin entre les copains et les parents. Combien d'enfants se verront voler leur futur en raison de l'incroyable prétention de leurs parents bloqués, envers et contre tous, dans une démarche adolescente ostensible ?

Si l'éternel adolescent ne veut pas être adulte pour lui-même, qu'il considère de tenter l'expérience pour le bien de ses propres enfants.

[modifier] Liens internes

[modifier] Notes

  1. La cause des adolescents, Françoise Dolto, éditions Pocket, ISBN 2266131508.
  2. Cf. La fin des adultes.
  3. Jung insiste beaucoup sur ces passages rituels vers l'âge adulte notamment dans ses écrits sur les peuples africains.
  4. Esprit qui n'est que rebelle dans les poses ou les revendications mais qui est tissé de poncifs inconscients, tout à fait inclus dans la société. Cf. L'adoubement des révoltés mainstream.
  5. On pourrait par exemple analyser le mouvement gothique comme illustration de ces modes onéreuses et morbides à la fois.
  6. Cf. Le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français.
  7. Par exemple, l'illusion d'être un artiste, cf. les courants de l'art au XXème siècle.
  8. Cf. Le web niais
  9. Cf. [Les sites de rencontre en ligne].
  10. Cf. La logique de groupe.
  11. Cf. la genèse de la société névrotique.
  12. Cf. la psychanalyse en tant que rupture épistémologique majeure.
  13. Cf. L'individuation.
  14. Cf. Le scandale Angot.
  15. Depuis Surveiller et punir de Foucault, il est même devenu un des symboles du pouvoir autoritaire par excellence et normatif.
  16. Psychanalyse que l'on pourrait peut-être étendre à d'autres pays occidentaux.