Histoire XX

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Quelques jours auparavant, j'avais reçu une invitation à une sorte d'apéritif ou de réunion politique dont j'avais du mal à comprendre les objectifs. Plusieurs fois, je m'étais dit qu'était invité mon prédécesseur et aucunement moi qui venait tout juste de prendre son appartement à la suite de sa chute du haut d'une grue de construction.
Cependant, ce jour-là, muni du papier anonyme, je m'étais dirigé dans les rues de la ville vers l'endroit indiqué. J'avais traversé les places populeuses surplombées d'un soleil d'airain et d'un ciel bleu peinture. Arrivé à l'escalator, je descendis au milieu de la foule hétéroclite. Bien plus bas, plusieurs couloirs souterrains se ramifiaient comme des boyaux remplis de fourmis. Le ciel était loin.
Je choisissais mon chemin aux embranchements grâce à des panneaux qui, sans être de la dernière nouveauté, demeuraient lisibles. De multiples boutiques occupaient les côtés des boyaux et des gens se bousculaient à leur lisière. Il était difficile de se déplacer rapidement tant, par endroits, les clients obstruaient le conduit. Les éclairages étaient si souvent inexistants que les boutiques revêtaient un aspect mystérieux voire sordide.
Au fur et à mesure de mon cheminement, je ne parvenais pas à savoir si quelqu'un, autour de moi, se dirigeait vers la réunion. Les mouvements des clients des boutiques ne semblaient obéir à aucune loi, et aucune direction privilégiée ne paraissait intéresser le monde qui jouait des coudes dans ces souterrains.
Après quelques virages négociés habilement, j'entrai dans un couloir où l'affluence était moindre. Je remarquai que la taille des boutiques avait diminuée au point qu'elles étaient souvent réduites à de petits cagibis ouverts sur le chemin réservé aux marcheurs des profondeurs. Les marchands étaient habillés étrangement, certains portant des turbans ressemblant à des cornes.
L'endroit me paraissait plus attrayant, en raison des étalages exhibants de pesants livres anciens exhumés du passé, bien que les boutiques et le boyau se resserrassent parfois dangereusement. Je m'arrêtai un instant devant un livre étonnant, relié de cuir, dont les fermoirs de métal étaient ouverts. Le vendeur m'expliqua son histoire que j'interrompis pour m'enquérir du prix. Je partis peu après que la somme fut prononcée.
Alors que je continuai, je heurtai un passant et me retrouvai le nez collé à une nouvelle vitrine. Des pierres de toutes sortes étincelaient sur les étagères du réduit. L'une d'elles attira mon attention. Elles étaient toutes étiquetées ; toutes portaient la même mention : undr. J'étais prêt à partir quand le vendeur, qui me regardait d'un air entendu depuis peu, se précipita vers moi en me disant :
— Ce sont des véritables pierres undr, vous savez. A un prix très intéressant. Je parie que vous aimeriez en toucher une.
Il avait l'air vicieux de celui qui veut profiter de son savoir aristocratique à des fins inavouables. Scandalisé, et peut-être un peu effrayé, je m'éloignai dans le couloir en tentant vainement d'articuler des paroles de défense.
Je poursuivais hypnotisé les sinuosités de ces souterrains. Je me retournai et m'aperçus que les couloirs s'approfondissaient. Des marches indolores s'étalaient le long des boutiques, si bien que, depuis de longues minutes, je descendais de plus en plus bas.
Le moment arriva où le couloir devint si étroit que les boutiques disparurent. Je déambulait, suivait des panneaux aux directions laconiques, descendait des marches.
Bientôt un écriteau indiqua la direction à suivre pour la réunion. Je continuai dans les couloirs entrecroisés comme les mailles d'un filet projetant de capturer un poisson. Gauche, droite, droite, gauche, gauche, droite, gauche. J'avais l'impression que cet itinéraire ne suivait pas le plus court chemin, comme s'il avait été planifié que le passant évitât un secteur particulier. Lassé de tourner, je coupai à travers les couloirs et me perdis. J'errais pendant longtemps pour retrouver mon chemin dans une si faible lumière que j'en perdis ma valise. Finalement, au détour d'un croisement, je retrouvai l'itinéraire balisé. De rares personnes me croisaient, me bousculant parfois. Enfin, j'arrivai en haut d'un escalator mécanique très sophistiqué.
Je descendis. Encore.
Dans une salle immense, étaient assis en rang une foule de gens attentifs, bien habillés. Je les surplombait de près de quarante mètres et l'écart se réduisait à mesure que l'escalator m'entraînait vers le sol vaste comme plusieurs terrains de sport. La foule semblait attendre que se disposât une rangée d'hommes politiques chargés de discours sur une longue table dont on devinait mal la longueur dans cette salle aux dimensions cyclopéennes. Comparée au nombre de personnes présentes, l'assemblée paraissait silencieuse. Arrivé aux pieds de l'escalator, je m'approchai de la barrière de bois qui séparait le public autorisé de ceux qui tentaient de rentrer. Je tendis mon invitation en tentant de détailler la longue table sur l'estrade du fond de la salle. Finalement, pour je ne sais quelle raison, je restai accoudé à la barrière de bois à regarder défiler les gros dirigeants. Ils commencèrent à parler. Au bout d'un moment, un homme de la foule, habillé d'un manteau de cuir et portant un brassard, se leva, brandit le poing et s'assit dans une salve d'applaudissements. Un rideau découpé en lanières passa alors devant la longue table. Le public s'agita. Les dirigeants avaient disparu.
Je me précipitai vers l'escalator et montai en courant. Arrivé en haut, je m'engouffrai dans le tunnel et me plaçai dans un recoin. J'entendis quarante mètres plus bas une explosion d'une extrême violence. Puis vinrent des bruits de pierres qui tombaient.
On me retrouva, finalement. Me questionna pour savoir ce que je faisais là. On m'accusa même d'avoir placé la bombe. Le livre établissait le doute. Tous étaient morts dans l'explosion qui avait été d'une violence telle qu'une partie d'un quartier de surface s'était enfoncé de plus de quarante mètres.


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