Histoire XI
Un article de Caverne des 1001 nuits.
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— Bonjour monsieur.
— ...
— Qu'est-ce que vous désirez ?
— Je voudrais des meubles.
— Des meubles, monsieur, cela tombe bien, nous sommes spécialistes en meubles. Pour quelle pièce voulez-vous des meubles, monsieur ? Chambre, salle à manger, cuisine, salle de bains ?
— C'est pour un escalier.
— Pour un escalier, monsieur, très bien. Vous avez un hall dans lequel il y a un escalier et vous voulez le meubler, c'est bien cela ?
— Non, pas du tout. C'est pour un escalier. Pour meubler un escalier.
— Meubler un escalier ? Vous voulez dire mettre des meubles dans un escalier ?
— Oui, c'est bien ça.
— Mais, monsieur, dans un escalier, les meubles ne peuvent pas tenir droit.
— Ca, c'est votre problème, pas le mien. C'est vous le vendeur de meubles.
— Oui, c'est un fait, monsieur, mais habituellement, nous vendons des meubles, voyons, prévus pour une surface plane, vous voyez, par exemple le sol d'une pièce.
— Je m'en fous, je n'ai pas de pièces.
— Vous n'avez pas de pièces ? Entendez-vous par là, monsieur, que vous n'avez pas d'argent ?
— Mais enfin, que me chantez-vous ? Il n'y a pas l'ombre d'une pièce dans ma maison, voilà tout !
— Pas de pièces ? Bien, monsieur. Et puis-je savoir, sans indiscrétion, ce qui se trouve dans votre maison ?
— Oh, vous n'avez pas l'air bien malin, vous. Un escalier, voyons !
— Un escalier ? Oui. D'accord. Et, donc, vous voulez aménager votre escalier ?
— Oui, vous semblez enfin avoir compris. Mais attention, je voudrais quelque chose qui se marie bien avec le marbre et les dorures.
— Votre escalier est en marbre ? Charmant.
— Oui, je sais, c'est la grande réussite de ma maison.
— Car il y a autre chose que cet escalier dans votre maison ?
— Mais bien sûr que non, espèce d'andouille ! Cela fait dix fois que je vous le répète !
— Vous avez raison, monsieur, je suis une andouille. Voyons, faisons le point : vous voulez meubler un escalier, c'est bien cela ?
— C'est ça. En d'autres termes, je veux meubler l'endroit où je vis, normal non ?
— Tout à fait monsieur. Vous vivez dans l'escalier ?
— Mais enfin d'où sortez-vous pour ne rien savoir sur rien ?
— Je m'excuse monsieur, mais aucun de nos meubles n'est prévu pour être installé dans un escalier.
— Comment ça ?
— Oui, monsieur. Vous comprenez, ce genre de demande est un peu inhabituelle et par conséquent, peu de nos clients nous achètent ce type d'articles, c'est pourquoi nous sommes en rupture de stock pour le moment.
— J'avoue que j'ai du mal à comprendre, car ma maison fut construite sous l'égide d'un architecte qui ne m'a rien dit de tout cela. En effet, vous êtes le cinquième magasin qui se dit en rupture de stock, et je commence à m'inquiéter.
— Il ne faut pas, monsieur. Cependant, étant donné les commandes habituellement reçues, il est vrai que les magasins de meubles, comme le nôtre, sont susceptibles de se tourner vers l'article qui se vendra en grandes quantités chez un grand nombre de clients. Peut-être devriez-vous vous adresser plus spécialement à un menuisier qui vous construirait sur mesure les articles que vous recherchez.
— Vous ne manquez pas d'air, dites donc ! Figurez-vous que je ne suis pas Crésus ! Ma maison est comme toutes les autres maisons et coûte le même prix ! Seulement, je l'avoue, j'aime les escaliers, c'est pourquoi j'ai commandé un unique escalier qui remplacerait la profusion inutile de toutes ces pièces, ces portes et autres absurdes lieux conventionnels.
— Je suis désolé, monsieur, mais je ne puis rien faire pour vous.
— Dites donc, jeune freluquet, cela ne se passera pas comme ça, et je peux vous dire que j'aurai mes meubles de gré ou de force !
— Soyez raisonnable, monsieur, rangez ce fusil, peut-être est-il possible, en effet, de trouver une solution à vos problèmes, par exemple en mettant des cales sous les meubles pour compenser la hauteur des marches et ...
— Aaah, je vois ! Vous voulez me refourguer des meubles en morceaux, c'est bien cela ? Avec des bouts qui se détachent au moindre tremblement de terre, n'est-ce pas ? Des meubles mutilés ?
— ... mais pas du tout, monsieur, vous ne voulez vraiment pas lâcher ce fusil ?
— Quel fusil ?
— Mais, celui que vous tenez dans les mains monsieur ...
— N'essayez pas de détourner la conversation, salopard ! Vous croyiez que j'allais me faire entuber, hein, avec vos meubles pourris bons pour la décharge ?
— Mais monsieur, ce sont les mêmes meubles que vous voyez là, en exposition, seulement, pour les faire tenir dans votre escalier, il faut bien que sur la longueur, le dénivelé des marches soit compensé ...
— Quel menteur ! Vous voulez donc que mes meubles soient faits sur mesure comme si j'étais un monstre ?
— Mais cela n'a rien à voir, monsieur, je n'ai jam...
— Trêve de plaisanterie, cela suffit !
— Non monsieur, ne tirez pas, je n'y suis pour rien, je ...
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