Le rôle du philosophe aujourd'hui

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* ils inventent des théories pour y répondre. * ils inventent des théories pour y répondre.
-Par contre, là où le philosophe excède souvent ses prérogatives, c'est dans le fait de considérer que ses réponses à ses propres questions s'appliquent indubitablement à tout le monde.+Par contre, là où le philosophe excède souvent ses prérogatives, c'est dans le fait de considérer que ses réponses à ses propres questions s'appliquent indubitablement ''à tout le monde''<ref>C'est ce que l'on appelle de la ''projection''.</ref>.
-== Pré-requis ==+== S'interroger sur les questions ==
-Il est un fait indéniable et terriblement compliqué à comprendre pour les intellectuels, dont les philosophes récents, c'est que {{G|l'homme}} au sens général du terme, est un concept ne recouvrant pas grand chose. En effet, les hommes sont différents les uns des autres, ne serait-ce que parce que leur psychologie est fondamentalement différente.+Or, il est un fait indéniable quoique peu connu, fait qui est de plus terriblement compliqué à comprendre pour les intellectuels, dont la plupart des philosophes, c'est que {{G|l'homme}} au sens général du terme, est un concept ne recouvrant pas grand chose dans la mesure où les hommes sont différents les uns des autres, ne serait-ce que parce que leur psychologie est fondamentalement différente<ref> Cf. [[Modèle:Types psychologiques|les types psychologiques]].</ref>.
-{{Types psychologiques}}+Ainsi, le premier rôle du philosophe, aujourd'hui comme hier, serait de faire comprendre à chaque personne recherchant des réponses à ses questions qu'elle doit, au préalable, savoir que sa recherche commence par s'interroger sur la ''validité'' des questions elles-mêmes. Le philosophe ne doit donc pas ''a priori'' donner des réponses aux questions que se posent couramment les personnes, mais induire chez la personne une réflexion sur ses propres questions.
-== suite ==+En effet, les questions mal posées supposent toujours quelques principes admis sur lesquels la réflexion aurait dû se concentrer de prime abord. Bien entendu, derrière ces principes, on découvre souvent une foi inébranlable dans un axiome, une morale, etc. La conséquence est donc que nos questions soient les {{G|enfants}} de nos certitudes. Malgré son aspect parfois philosophique, la question que nous nous posons est donc entendue par nous-même dans le contexte de ce en quoi nous croyons (le plaisir matériel, l'argent, le pouvoir, etc.).
- pour que chaque personne puisse trouver sa propre voie [[La question de l'unicité de la voie à suivre est récurrente en philosophie chez les philosophes sytémiques. Leur approche pose de vraies questions car aucun des positionnements basiques n'est réellement satisfaisant : on peut vanter le système comme absolu sans convaincre, et l'on peut critiquer la prétention d'un système absolu d'une manière formelle en ayant des arguments très éloignés du système lui-même. Il est difficile d'avoir une approche globale par rapport aux philosophes systémiques.]].+La question mal posée possède un autre travers : elle appelle une ''réponse définitive''. Prenant pour hypothèse notre cadre personnel dans lequel des notions comme le bien et le mal sont définies et admises quoique non forcément reconnues des autres personnes, les réponses à notre question sont souvent une reformulation des hypothèses initiales<ref>Cf. [[La pensée tautologique]].</ref>.
-En parcourant en dilettante une grande partie de la philosophie occidentale, on trouve beaucoup de questions posées, des questions pertinentes mais aussi un grand nombre de questions mal posées.+== Ne pas répondre aux questions mal posées ==
-Ces questions mal posées supposent toujours quelques principes admis sur lesquels la réflexion aurait dû se concentrer de prime abord. Bien entendu, derrière ces principes, on découvre souvent une foi dans un dieu ou dans une morale. La formulation de ces questions en devient, logiquement, tout à fait pernicieuse : la question est issue d'une vision morale du monde, vision donc non universelle, vision partiale et subjective, vision relative mais non absolue. Elle n'est donc le plus souvent qu'une question de {philosophie relative}, et non de philosophie tout court.+Les ''philosophes des solutions'' sont friands de ces questions mal posées, non forcément de manière consciente ou manipulatrice, mais de manière inconsciente :
 +* parce qu'elles engendrent la possibilité de réponses définitives à la suite d'une longue démarche intellectuelle, incluant la possibilité de créations théoriques,
 +* parce qu'elles valorisent l'ego du philosophe qui, possédant la réponse définitive, recueille des lauriers visibles chez son auditoire ou ses lecteurs,
 +* parce que l'auditoire ou le lecteur n'est jamais remis en cause personnellement quand il obtient la {{G|réponse tant convoitée}}.
-La question mal posée a un autre travers : elle appelle à une solution définitive. Prenant pour hypothèse un cadre moral dans lequel des notions comme le bien et le mal sont définies et admises quoique non reconnues, les réponses à cette question sont souvent une reformulation de l'ordre moral pris pour hypothèse. La question mal posée est donc d'ordre tautologique : elle n'implique comme toute réponse qu'une reformulation des hypothèses qui la font naître.+Le philosophe des solutions œuvre donc, non dans la sagesse, mais dans le prêt à penser.
-Les {philosophes des solutions} sont friands de ces questions mal posées, non de manière consciente ou manipulatrice, non de manière volontaire, mais de manière inconsciente, et dans une optique de faire le bien, dans une optique des {bonnes intentions}.+Le rôle du philosophe d'aujourd'hui doit donc éviter à tous prix cette logique de consommation des réponses définitives faciles aux aux questions mal posées de son auditoire. Il ne doit en aucun cas entrer dans le cercle de ceux qui cherchent des solutions à des problèmes sans avoir questionné la réalité de la formulation du soit-disant problème.
-Je préfère à ces derniers des philosophes du doute, ainsi que des philosophes dont le raisonnement tente d'être exempt de toute doctrine, en se méfiant d'eux-mêmes et de leurs certitudes en premier lieu..+== Ne pas construire de grandes théories ==
-On oublie trop souvent en parlant de philosophie que le philosophe lui-même ne doit se juger qu'à l'aulne de ses œuvres et de sa réputation universitaire, mais qu'il doit aussi et avant tout être considéré comme un homme avec un passé et une vie sociale. En ce sens, sa philosophie est souvent l'expression de problématiques personnelles dont il veut généraliser la formulation. Le philosophe projète comme l'être humain normal, il voit dans le monde l'illustration de ses préoccupations personnelles, de ses propres tabous, de sa morale, de sa spiritualité et, éventuellement, de ses névroses. Pourtant ce dernier vise souvent à l'absolu et tentant de gommer les complexité du monde sous des concepts généraux (comme des [concepts creux->52] par exemple) si vagues que la portée théorique de ses études en est amoindrie.+Un autre des rôles du philosophe aujourd'hui est de ne pas bâtir de grandes théories intellectuelles. Car, la capacité à raisonner de chaque être humain (philosophe inclus) est limitée par le fait que, même lorsqu'il a compris que les autres étaient différents de lui, toute théorie intellectuelle est limitée sur l'ensemble des êtres humaines par :
 +* le fait le philosophe ne puisse connaître ''a priori'' bien que sa propre psychologie<ref>Et encore, la psychologie analytique nous montre la difficulté d'une telle hypothèse. A voir aussi [[A propos de Michel Onfray]] pour un exemple de non travail psychanalytique sur soi.</ref>,
 +* le fait que le philosophe ne puisse que ''se représenter intellectuellement'' la psychologie des autres,
 +* le fait que les diverses psychologies des diverses personnes influent les unes sur les autres selon des mécaniques très complexes,
 +* le fait que le nombre des humains fasse entrer toute théorie générale dans l'imprédictibilité la plus totale.
-Le philosophe, dans le monde actuel, est aussi, trop souvent, un acteur médiatique : il écrit, publie, se montre dans les médias, répond à des interviews qui ne laissent que peu de temps à la réflexion. En tant qu'acteur essentiel, le philosophe (ou les écrivains assimilés aujourd'hui comme tels) se nourrit matériellement de la société, il est inclus dans un tissu qui le fait vivre ; il doit faire de la promotion, il mange souvent de la publication de ses œuvres. Certes, la plupart des derniers grands philosophes français étaient des universitaires, ce qui d'une certaine façon les dégageait de ces soucis de publier pour vivre. A l'inverse, cette situation d'universitaire ne leur donnait qu'une idée très limitée des problèmes de la société en raison du milieu très clos et très peu représentatif dans lequel ces derniers évoluaient.+La théorie philosophique ayant toujours quelque chose de général, de systémique, le philosophe doit s'abstenir d'en {{G|créer}} au risque de croire que sa théorie est valable et qu'elle fonctionne.
-D'une manière générale, le philosophe ne doit pas oublier son histoire personnelle, ni le cadre de référence qui forme son quotidien, deux dimensions qui, de manière cruciale, forge un cadre à son œuvre, qu'il le veuille ou non. Est-il possible de sortir de ce cadre, de généraliser lorsqu'on a pas l'expérience d'une chose ? Peut-être, mais rien n'est moins sûr, à part peut-être dans l'abstraction.+Ainsi, on pourra dire qu'un philosophe qui n'a pas écrit de théorie est peut-être sur la voie de la sagesse, dans la mesure où il aurait compris toute l'inanité de la production de théories philosophiques.
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 +== Se méfier de son ego ==
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 +Le philosophe doit enfin se méfier de son ego et de son attachement à ses propres œuvres et à ses propres théories.
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 +== L'œil externe ==
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 +Le rôle du philosophe aujourd'hui comme hier est donc d'être ''l'œil externe de la société'' et de questionner nos questions plutôt que nous apporter des réponses à des questions mal posées, questions qui se renouvèlent toujours sous l'illusion des changements du monde.
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 +Selon cette vision du philosophe, une grande partie de la philosophie occidentale ne serait pas de la philosophie et une grande partie des philosophes n'en seraient pas. Il appartient au lecteur d'étudier la question.
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 +== Notes ==
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Version du 6 octobre 2007 à 15:29

On attend souvent du philosophe qu'il nous donne des réponses. Mais c'est bien mal connaître la sagesse que de s'attendre à ce que nos questions soient répondues par des réponses définitives. Si le sage répond à des questions par des questions, c'est que les questions auxquelles nous attendons des réponses sont souvent des questions mal posées.

Sommaire

Introduction

Il est généralement admis que le philosophe se doive de poser des questions et éventuellement de donner des pistes de réponses. Or l'histoire de la philosophie occidentale, au travers de philosophes que l'on qualifie souvent de « systémiques » (parce qu'ils ont bâti des systèmes « complets »), sont à l'image des autres gens :

  • ils se posent des questions qui les intéressent ;
  • ils inventent des théories pour y répondre.

Par contre, là où le philosophe excède souvent ses prérogatives, c'est dans le fait de considérer que ses réponses à ses propres questions s'appliquent indubitablement à tout le monde[1].

S'interroger sur les questions

Or, il est un fait indéniable quoique peu connu, fait qui est de plus terriblement compliqué à comprendre pour les intellectuels, dont la plupart des philosophes, c'est que « l'homme » au sens général du terme, est un concept ne recouvrant pas grand chose dans la mesure où les hommes sont différents les uns des autres, ne serait-ce que parce que leur psychologie est fondamentalement différente[2].

Ainsi, le premier rôle du philosophe, aujourd'hui comme hier, serait de faire comprendre à chaque personne recherchant des réponses à ses questions qu'elle doit, au préalable, savoir que sa recherche commence par s'interroger sur la validité des questions elles-mêmes. Le philosophe ne doit donc pas a priori donner des réponses aux questions que se posent couramment les personnes, mais induire chez la personne une réflexion sur ses propres questions.

En effet, les questions mal posées supposent toujours quelques principes admis sur lesquels la réflexion aurait dû se concentrer de prime abord. Bien entendu, derrière ces principes, on découvre souvent une foi inébranlable dans un axiome, une morale, etc. La conséquence est donc que nos questions soient les « enfants » de nos certitudes. Malgré son aspect parfois philosophique, la question que nous nous posons est donc entendue par nous-même dans le contexte de ce en quoi nous croyons (le plaisir matériel, l'argent, le pouvoir, etc.).

La question mal posée possède un autre travers : elle appelle une réponse définitive. Prenant pour hypothèse notre cadre personnel dans lequel des notions comme le bien et le mal sont définies et admises quoique non forcément reconnues des autres personnes, les réponses à notre question sont souvent une reformulation des hypothèses initiales[3].

Ne pas répondre aux questions mal posées

Les philosophes des solutions sont friands de ces questions mal posées, non forcément de manière consciente ou manipulatrice, mais de manière inconsciente :

  • parce qu'elles engendrent la possibilité de réponses définitives à la suite d'une longue démarche intellectuelle, incluant la possibilité de créations théoriques,
  • parce qu'elles valorisent l'ego du philosophe qui, possédant la réponse définitive, recueille des lauriers visibles chez son auditoire ou ses lecteurs,
  • parce que l'auditoire ou le lecteur n'est jamais remis en cause personnellement quand il obtient la « réponse tant convoitée ».

Le philosophe des solutions œuvre donc, non dans la sagesse, mais dans le prêt à penser.

Le rôle du philosophe d'aujourd'hui doit donc éviter à tous prix cette logique de consommation des réponses définitives faciles aux aux questions mal posées de son auditoire. Il ne doit en aucun cas entrer dans le cercle de ceux qui cherchent des solutions à des problèmes sans avoir questionné la réalité de la formulation du soit-disant problème.

Ne pas construire de grandes théories

Un autre des rôles du philosophe aujourd'hui est de ne pas bâtir de grandes théories intellectuelles. Car, la capacité à raisonner de chaque être humain (philosophe inclus) est limitée par le fait que, même lorsqu'il a compris que les autres étaient différents de lui, toute théorie intellectuelle est limitée sur l'ensemble des êtres humaines par :

  • le fait le philosophe ne puisse connaître a priori bien que sa propre psychologie[4],
  • le fait que le philosophe ne puisse que se représenter intellectuellement la psychologie des autres,
  • le fait que les diverses psychologies des diverses personnes influent les unes sur les autres selon des mécaniques très complexes,
  • le fait que le nombre des humains fasse entrer toute théorie générale dans l'imprédictibilité la plus totale.

La théorie philosophique ayant toujours quelque chose de général, de systémique, le philosophe doit s'abstenir d'en « créer » au risque de croire que sa théorie est valable et qu'elle fonctionne.

Ainsi, on pourra dire qu'un philosophe qui n'a pas écrit de théorie est peut-être sur la voie de la sagesse, dans la mesure où il aurait compris toute l'inanité de la production de théories philosophiques.

Se méfier de son ego

Le philosophe doit enfin se méfier de son ego et de son attachement à ses propres œuvres et à ses propres théories.

L'œil externe

Le rôle du philosophe aujourd'hui comme hier est donc d'être l'œil externe de la société et de questionner nos questions plutôt que nous apporter des réponses à des questions mal posées, questions qui se renouvèlent toujours sous l'illusion des changements du monde.

Selon cette vision du philosophe, une grande partie de la philosophie occidentale ne serait pas de la philosophie et une grande partie des philosophes n'en seraient pas. Il appartient au lecteur d'étudier la question.

Notes

  1. C'est ce que l'on appelle de la projection.
  2. Cf. les types psychologiques.
  3. Cf. La pensée tautologique.
  4. Et encore, la psychologie analytique nous montre la difficulté d'une telle hypothèse. A voir aussi A propos de Michel Onfray pour un exemple de non travail psychanalytique sur soi.