Le manque d'empathie comme culture

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Sommaire

Introduction

La société française, fortement teintée de christianisme puis de communisme, a développé une véritable méfiance par rapport à la psychologie, méfiance qui au fur et à mesure des années, s'est traduite par une disparition de la psychologie de la chose publique, excepté dans des formes télévisuelles caricaturales. Ceci est particulièrement vrai dans notre pays, où tout une gamme de penseurs assimilés philosophes ont travaillé pendant les années soixante et plus tard au discrédit de la psychologie et de la psychanalyse[1], faisant entrer dans l'inconscient collectif des peurs et des tabous auxquels beaucoup d'êtres humains ne sont pas capables de faire face seuls.

L'héritage psychologique de la révolution de 1789

La société française semble avoir gardé de son histoire nationale, une fierté mêlée à un petit côté névrotique qu'on pourrait attribuer à Révolution Française. Comme tous les traumatismes socioculturels, comme toutes les guerres civiles, cet épisode du passé ne fut jamais complètement éclairci, jamais vraiment débattu. Il reste depuis lors en France, dans l'inconscient collectif, le sentiment que cette révolution ne fut qu'un bien pour la France et les français.

Or, comme après tout traumatisme, il serait temps que la France fasse sa psychanalyse nationale. Car, quels sont les comportements hérités de cette époque dans l'inconscient collectif français ? Une certitude que les problèmes ne peuvent se régler que dans le conflit, une propension à la revendication un peu excessive, un esprit gaulois caricatural à la Astérix, un réel goût pour le combat ouvert et le débat stérile, autant de manifestations qui si elles forment l'esprit d'un peuple - le français « chiant » mais au grand cœur - ne sont pas moins de blocages dans toute velléité de transformer la société autrement que par l'utopie d'{un nouveau 89}.

Cet entêtement français, cette préférence pour le combat, cette attirance pour le fait d'avoir raison à tous prix et pour le fait de ne pas considérer le compromis a mené un certain nombre de penseurs français du vingtième siècle à se positionner contre le passé : contre l'étiquette de philosophe, contre le système politique et étatique, contre la psychologie, contre les règles établies, contre la loi et l'ordre.

Cette éducation des masses arrive désormais à un premier stade de maturation où ses effets sont visibles. J'évoquerai ci-après rapidement une sous-dimensions du problème essentielle : le manque d'empathie.

Le mépris de la psychologie et ses conséquences

En refusant la religion et la structure religieuse, le penseur du vingtième vise à s'affranchir des principes moraux que la structure religieuse impose et d'une certaine tradition du péché, pour ce qui est du christianisme. Cependant, cette réfutation en bloc a pour conséquence de nier la spiritualité humaine, de la rendre marginale et de ne pas creuser les principes qui sous-tendent une certaine moralité chrétienne, parmi laquelle l'amour du prochain.

La démarche de refuser la psychologie est très voisine de la réfutation de la religion. Se méfier de manière outrancière de la psychologie, la reléguer à des domaines où elle ne fait pas peur, où l'étiquette thérapeutique la relègue au rang de la psychiatrie à la symptomatique très précise, ou au contraire à la farce vulgaire télévisuelle, légitime un vrai manque de {culture psychologique} au sein de notre société. Ce manque se traduit au quotidien dans des problèmes graves de positionnement des enfants et des adultes de la société au sein de cette même société.

Ce mépris de la psychologie implique, de plus, la plus difficile accession à des moyens permettant la guérison, après un événement psychologique grave. Si l'intervention d'une tierce personne, neutre, comme le psychanalyste, est considérée socialement de manière négative, il est clair que la plupart des gens dans le besoin ne peuvent pas, surtout à un moment de détresse psychologique, faire le pas, au risque d'avoir à affronter l'inconscient collectif gravé en eux ainsi que le regard social sur leur acte.

Le délicat problème de la normalité psychologique

En outre, le mépris de la psychologie trahit l'évitement du problème de la « normalité », problème toujours éludé, vague et périlleux. Contre la notion de normalité, notre société martèle les mots de «différence», «respect de l'autre», «tolérance». En soi, ces mots sont tout à fait positifs. Dans les faits, le vrai débat sur la {normalité psychologique} est totalement passé sous silence, oublié, comme si nos problèmes actuels se rattachaient uniquement à des problèmes de couleur de peau ou d'habitudes communautaires, comme si on ne pouvait pas questionner la normalité dans une autre dimension touchant l'ensemble des humains.

Mais qu'est la normalité psychologique ? Je reconnais que le terme peut faire peur et que je m'engage dans des voies dans lesquelles on pourrait aisément transformer mon propos en faisant des assimilations rapides et ineptes où le mot «fascisme», toujours contrepoids du mot normalité, viendrait s'insérer de manière facile et pourtant absurde.

Qu'est-ce donc que la normalité psychologique ? Pourquoi s'intéresser à une classification de ce genre ? Pourquoi ressentir le besoin d'établir des normes alors que le vingtième a si souvent pulvérisé au moyen de l'intellect les grandes morales du passé ?

Je vais tenter une définition personnelleCette définition ne doit pas être envisagée de prime abord dans un cadre moral. Ceci fera d'ailleurs l'objet d'une autre réflexion. de la normalité psychologique : {l'empathie}. Si une personne peut éprouver de l'empathie, alors elle a de bonnes bases pour être {normale psychologiquement}. Si elle en est incapable, alors elle peut être considérée comme frôlant plus ou moins l'{anormalité psychologique}[[J'entends de suite les critiques les plus virulentes sur le but d'une telle classification, qui prise à l'extrême et dans un cadre social (ce qui n'est pas du tout la perspective de classification que j'établis), dans un contexte par exemple nazi, pourrait viser à une éradication des personnes dites {anomales psychologiquement}. Si je suis conscient de la peur que peut provoquer ce genre de raisonnement, je suis aussi très conscient que le but à atteindre n'est pour moi qu'un but empathique : celui de donner aux personnes dites normales psychologiquement les moyens de se protéger des méfaits des personnes dites anormales psychologiquement.]]. Il n'est bien entendu pas question de vilipender les personnes dites anormales psychologiquement, ni de les désigner, ni de les enfermer, de les massacrer et autres billevesées, mais de permettre à des personnes à la psychologie normale de se défendre des préjudices que les personnes dites anormales peuvent leur causer. Ce sont donc des pistes individuelles que propose cet article, pistes individuelles que des individus disparates peuvent choisir au sein de la société, et non des {solutions sociales}, totalement hors sujet. Le seul rôle que pourrait jouer la société serait d'enseigner une certaine culture psychologique, une tolérance psychologique et une empathie[[Bien entendu, ceci est un autre débat qui mérite à lui seul un grand nombre de développements. Le but est bien sûr d'arriver à une certaine image de la normalité psychologique dans laquelle l'être humain peut être à la fois conscient de son rôle actif dans la société, capable de gérer ses relations avec lui-même et avec les autres et se protéger de la manipulation. Il faudrait alors probablement introduire la notion de {méta morale}.]].

L'asymétrie de l'empathie dans un exemple concret

Prenons une exemple concret et mettons en situation deux individus dont l'un a une psychologie normale et l'autre une psychologie anormale.

Nous partirons de l'hypothèse que la personne à la psychologie dite anormale a des moments dans lesquels son empathie disparaît ou est pervertie (par exemple par un mode de pensée intellectuel de type ««révolte», névrose, etc.). Elle n'est donc pas folle, ne mérite pas d'hospitalisation et n'a jamais pensé à consulter. D'une certaine façon, ses moments d'absence d'empathie ne sont importants que quantitativement, et peuvent être pris pour des traits de personnalités désagréables pour l'entourage proche de cette personne.

La seconde personne est une personne dont l'empathie est constante quelles que soient les situations, que ces dernières soient des situations de bien-être ou de mal-être. Nous prendrons l'hypothèse d'un lien affectif entre les deux personnes dans le cadre de relations qui peuvent indifféremment être des relations de couple, de parent à enfant, etc.

Lorsque la personne anormaleLe mot normal et anormal fait ici référence implicite à la normalité psychologique ou l'anormalité psychologique postulées dans le rapport à l'empathie. perd son empathie, elle développe un certain nombre de symptômes difficiles, comme :

  • l'égoïsme,
  • la brutalité verbale ou physique,
  • une hyper extraversion ou une hyper introversion,
  • des raisonnements froids et calculateurs,
  • une volonté d'attirer l'attention, de séduire, de devenir le centre du monde, etc.

D'une manière générale, ces manifestations font tout pour centrer l'attention des autres et d'elle-même sur elle-même - c'est une version classique d'une absence d'empathie.

La modification de comportement de la personne psychologiquement anormale touche l'empathie de la personne normale, avec un effet démultiplié dû au lien affectif, effet qui très souvent prévient toute possibilité de prendre du recul sur les choses.

Or, et nous touchons là au cœur du problème, si la personne normale considère la personne psychologiquement anormale comme une personne qui lui ressemble c'est-à-dire {comme une autre personne normale} - ce qui est une des caractéristiques de l'empathie ! -, elle va chercher des raisons à ce changement de comportement, raisons qu'elle va rechercher d'abord chez elle-même, dans une démarche de culpabilité excessive et très souvent déplacée. Le fait de ne pas avoir pu voir en la personne anormale une personne anormale engendre un malaise profond et une Modèle:Logique de culpabilité.

D'une certaine façon, c'est l'absence de classification entre les gens normaux et anormaux psychologiquement qui engendre cette culpabilité, c'est l'inculture psychologique, c'est le tabou. Or seul l'être normal ressentira de la culpabilité, cette dernière étant souvent inconsciente ou absente dans l'être anormal (ou consciente de manière partielle). Il y a donc un péril psychologique évident pour certaines personnes normales à côtoyer des personnes psychologiques anormales. Que la personne anormale ait l'habitude de reprocher à l'autre des détails injustes et la personne normale peut facilement entrer dans le cercle vicieux de la dépression. Ce cas est un cas très commun de ce qu'on pourrait appeler : {malaise par contamination psychologique}.

Empathie bien ordonnée...

Chose étonnante de l'empathie, il est toujours plus facile d'en avoir envers les autres qu'envers soi-même. Pourtant, l'empathie envers soi est la première condition qui fera en sorte qu'une personne pourra trouver la voie de la sortie. L'empathie envers soi est un anti-culpabilisant : c'est la faculté d'admettre que l'on ne peut plus gérer seul un problème psychologique. Le développement de cette empathie envers nous-même est quelque part antinomique avec les exigences que nous impose la société dans un monde où survivre est un combat. Encore une fois, nous sommes faces à un défaut de culture psychologique[[En un sens, les penseurs anti-psychologie ont légitimé cette pression sociale visant à responsabiliser l'homme sur tous ses actes, à nier l'inconscient (alors que même le droit le reconnaissait par exemple comme circonstance atténuante dans le crime passionnel) souvent par le fait de généraliser la conscience et de traduire les actes involontaires par un recours à la mauvaise foi.]]. Il est donc nécessaire de développer cette empathie envers nous-mêmes avant de l'éprouver envers les autres, d'accepter que notre côté intellectuel soit beaucoup plus adaptable et rapide que notre côté affectif.

Ainsi, éprouver de l'empathie envers soi-même aide à accepter la sortie des zones de tourments culpabilisants au travers de l'intervention d'une tierce personne neutre. Bien entendu, l'intervention de toute personne actrice dans le problème ou liée par un sentiment d'affectation est très dangereux. Car souvent, en voulant faire le bien, c'est à un point de rupture que l'on arrive avec la personne normale psychologiquement en état de malaise psychologiqueVoir l'Introduction à la psychanalyse de Freud.

Conclusion

Expliciter le concept de normalité psychologique peut être un acte salutaire pour protéger les personnes sensibles. Appliqué à soi, c'est une discipline quotidienne qui permet de se positionner par rapport aux autres et envisager de juger de quel côté de la barrière on se situe. Ce moyen est aussi utile pour identifier ses propres malaises pouvant se traduire par une perte provisoire ou permanente de l'empathie envers les autresEn ce sens, l'empathie peut être très utile en phase d'auto-analyse. Cela renvoie aussi à sa propre foi en le fait de pouvoir évoluer vers un état meilleur..

L'analyse du concept de normalité est bien entendu une arme à double tranchant, et il faut se garder de sa récupération par des forces extrémistes. En ce sens, toute classification doit être envisagée dans une sémantique personnelle et est totalement hors sujet dans un cadre social[[C'est une démarche très politiquement incorrecte car cette classification ne peut pas être généralisée au niveau social, les résultats de cette analyse ne pouvant être ris en charge par la société. Je reviendrai sur les lois d'échelle en psychologie plus tard.]]. D'autre part, l'ambiguïté de base de la normalité n'est pas résolu : l'être anormal psychologiquement est souvent certain d'être normal psychologique, tandis que l'être normal psychologiquement se pose très souvent des questions sur lui-même et sur sa normalité.

Le manque d'empathie est une des conséquences du tabou résultant de la non-classification des personnes sur la dimension psychologique. Ainsi, les personnes enfermées dans les méandres de l'inconscient collectif deviennent-elles souvent des personnes névrosées, ne voyant comment à la fois affronter une remise en question d'eux-mêmes, une acceptation empathique du fait d'être parfois mal et de ne pas pouvoir s'en tirer seules, et une barrière sociale relative à l'image négative de l'aide psychologique.

Notes

  1. Ils ont aussi beaucoup contribué à la critique de la partie exotérique du Catholicisme.