Vingt-troisième nuit

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Une heure avant le jour, Dinarzade, s’étant réveillée, ne manqua pas de dire à la sultane :
Ma chère sœur, si vous ne dormez pas, je vous prie, de continuer l’histoire du jeune roi des quatre Îles Noires.
Scheherazade, rappelant aussitôt dans sa mémoire l’endroit où elle en était demeurée, la reprit dans ces termes :

« D’abord que la reine ma femme fut sortie, poursuivit le roi des Îles Noires, je me levai et m’habillai à la hâte ; je pris mon sabre, et la suivis de si près, que je l’entendis bientôt marcher devant moi. Alors, réglant mes pas sur les siens, je marchai doucement de peur d’en être entendu. Elle passa par plusieurs portes, qui s’ouvrirent par la vertu de certaines paroles magiques qu’elle prononça ; et la dernière qui s’ouvrit fut celle du jardin où elle entra. Je m’arrêtai à cette porte, afin qu’elle ne pût m’apercevoir pendant qu’elle traversait un parterre ; et, la conduisant des yeux autant que l’obscurité me le permettait, je remarquai qu’elle entra dans un petit bois dont les allées étaient bordées de palissades fort épaisses. Je m’y rendis par un autre chemin ; et, me glissant derrière la palissade d’une allée assez longue, je la vis qui se promenait avec un homme.

« Je ne manquai pas de prêter une oreille attentive à leurs discours, et voici ce que j’entendis :
« Je ne mérite pas, disait la reine à son amant, le reproche que vous me faites de n’être pas assez diligente : vous savez bien la raison qui m’en empêche. Mais si toutes les marques d’amour que je vous ai données jusqu’à présent ne suffisent pas pour vous persuader de ma sincérité, je suis prête à vous en donner de plus éclatantes : vous n’avez qu’à commander ; vous savez quel est mon pouvoir. Je vais, si vous le souhaitez, avant que le soleil se lève, changer cette grande ville et ce beau palais en des ruines affreuses, qui ne seront habitées que par des loups, des hiboux et des corbeaux. Voulez-vous que je transporte toutes les pierres de ces murailles, si solidement bâties, au delà du mont Caucase, et hors des bornes du monde habitable ? Vous n’avez qu’à dire un mot, et tous ces lieux vont changer de face. »

« Comme la reine achevait ces paroles, son amant et elle, se trouvant au bout de l’allée, tournèrent pour entrer dans une autre, et passèrent devant moi. J’avais déjà tiré mon sabre, et comme l’amant était de mon côté, je le frappai sur le cou et le renversai par terre. Je crus l’avoir tué, et, dans cette opinion, je me retirai brusquement sans me faire connaître à la reine, que je voulus épargner, à cause qu’elle était ma parente.

« Cependant le coup que j’avais porté à son amant était mortel ; mais elle lui conserva la vie par la force de ses enchantements, d’une manière, toutefois, qu’on peut dire de lui qu’il n’est ni mort ni vivant. Comme je traversais le jardin pour regagner le palais, j’entendis la reine qui poussait de grands cris, et, jugeant par là de sa douleur, je me sus bon gré de lui avoir laissé la vie.

« Lorsque je fus rentré dans mon appartement, je me recouchai, et satisfait d’avoir puni le téméraire qui m’avait offensé, je m’endormis. En me réveillant le lendemain, je trouvai la reine couchée auprès de moi... »

Scheherazade fut obligée de s’arrêter en cet endroit parce qu’elle vit paraître le jour :
Bon Dieu, ma sœur, dit alors Dinarzade, je suis bien fâchée que vous n’en puissiez pas dire davantage.
— Ma sœur, répondit la sultane, vous deviez me réveiller de meilleure heure ; c’est votre faute.
— Je la réparerai, s’il plaît à Dieu, cette nuit, répliqua Dinarzade, car je ne doute pas que le sultan n’ait autant d’envie que moi de savoir la fin de cette histoire, et j’espère qu’il aura la bonté de vous laisser vivre encore jusqu’à demain.


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