Histoire XXIX

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Version du 17 avril 2008 à 16:40 par 1001nuits (Discuter | Contributions)
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Ils rentraient d'une dure journée. Dure mais inoubliable. Marcher dans le désert des monts, le long de sentiers côtoyant les restes de civilisations du passé. Le spectacle désolant des maisons abandonnées désertées pour des lieux plus artificiels et plus faciles résonnait tristement sur les contours déchiquetés de la pierre découpant le ciel. Les ruines désertes étaient le dernier témoignage d'un monde révolu qui ne pouvait être retrouvé ; un monde que le progrès avait effacé et qui était maintenant la proie des éléments patients inaugurant la phase tranquille d'érosion. Un goût de raté planait sur ces vestiges proches.

Epuisés. Ils se dirigèrent vers le campement laissé quelques jours auparavant. Les enfants criaient et jouaient comme si nul temps ne s'était écoulé depuis leur départ. Seules les douleurs de leurs muscles les confortaient dans l'impression d'avoir vécu cette aventure. Ils se dirigèrent vers les sanitaires qui prodigueraient l'eau chaude si luxueuse dont ils avaient tant manqué en altitude.

Sous le flux ruisselant, chacun repassait les images fabuleuses qu'il leur avait été donné de contempler. L'eau noire coulait pendant qu'ils luttaient avec la crasse qui incrustait les derniers témoignages de leur voyage.

Synchrones, ils sortirent de l'eau et s'embrassèrent peu après. L'impression que leur donnait leur corps était étrangement mêlée de la fatigue accablante des jours vécus et de la relaxation infernale du ruisseau bouillant ; le résultat était un état de coton qui dissociait l'esprit du corps, mécaniquement habitué à marcher. Au bar, on leur servit des rafraîchissements. Ils contemplaient du bas les montagnes qui les avaient accueilli sans leur porter malheur.

Ils sortent du bar. Une annonce crie dans le haut parleur. Le barrage en amont vient de céder. Tout va être dévasté dans moins d'une minute. On ne peut fuir.

Elle prend sa main. L'entraîne dans la voiture. Elle regarde l'inutile matériel qui va les attacher. Des bribes de paroles lui reviennent. Une porte claque. Puis une autre. Deux clics enserrent leurs poitrines et leurs épaules. Les vitres qui bloquent. Une prière ? Un murmure. En double.

La vague arrive. Elle est énorme et engloutit tout sur son passage. Les arbres, le sol, les habitations sont emportées. Un temps pendant lequel l'eau semble hésiter entre le côté droit et le côté gauche de la vallée. Puis elle s'abat sur le campement où les cris sont brusquement étouffés.

Tout tourne très violemment. Des chocs avec des objets ; ça cogne avec violence, défonçant la voiture. Puis c'est l'obstacle qui vient percuter l'avant pulvérisant ce qui reste de verre. La voiture semble décoller. Le cœur est suspendu indéfiniment dans l'air au milieu d'une boue mêlée de particules qui blessent ou empêchent de respirer. Le choc est terrible. Une chose qui avait été une voiture s'écrase comme une bonbonne d'eau sur un surplomb de la vallée. Ce qui reste de la carrosserie est broyé sous la violence de la rencontre avec la terre ferme. Le silence revient progressivement à leurs oreilles à mesure qu'ils se débarrassent des plâtras de boue qui les emprisonnent, un silence qui résonne déjà des nuits de cauchemars à venir, peuplés du souffle rauque de la lame assassine. Ils mettent du temps à s'extraire de l'épave. Ils se vautrent sur le sol glaiseux d'un monde d'apocalypse où les arbres brisés côtoient de multiples cadavres de voitures, de morceaux de maisons embourbés dans une couche infâme de terre et de sang qui dégorge son eau noire en ruisseaux chaotiques. L'aval de la vallée présente le même aspect de laminage de la civilisation dont il subsiste, sur les hauteurs, quelques impertinentes traces ébahies et colorées. De la couche de boue uniforme, se détachent des cris et des plaintes. La boîte à gants découvre une bouteille de rhum intacte qu'ils entament et qu'ils vident en pleurant sur les décisions injustes et incompréhensibles du dieu Destin.



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