Histoire XL

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Version du 17 avril 2008 à 17:05 par 1001nuits (Discuter | Contributions)
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Je l'avais rencontrée dans un de ces petits trains qui font le tour des citadelles touristiques, des trains pour enfants. Elle avait échoué au même banc que moi ; nous fîmes connaissance naturellement. Tout en elle sentait l'Afrique. Elle semblait la gardienne de légendes et de traditions qui nous effraient, nous les européens. Elle avait froid. Un vent glacial balayait la place. Des touristes restaient silencieux pendant que le guide débitait sa leçon apprise par cœur et répétée avec peu de conviction. Il était certain qu'à l'échelle humaine, si ce dernier prenait des rides, les bâtiments qu'il avait autrefois exaltés le regardaient froidement, semblant ne pas vieillir.

Nous descendîmes du train, plus froid encore que la bise, afin de nous promener librement parmi les ruines de ce passé proche. Elle regardait tout, commentant parfois tel ou tel détail qu'on ne pouvait rencontrer dans son pays d'origine. Elle était partie pour fuir la guerre. Ce qu'elle avait trouvé ici n'était pas plus engageant. A mesure que nous parlions, nous arrivâmes au champ de mines qui entourait ce dernier bastion représentatif de l'Etat et de ses frontières. Les autorités maudissaient le fait que l'histoire eût placé ce château en ruines si proche des frontières de notre époque. Bien sûr, il paraissait normal que les zones sensibles des siècles passés fussent aussi des zones à risques pour l'heure présente.

L'espace transitoire, sous l'œil figé des miradors, était composé de murets qui définissaient un échiquier d'une taille monumentale. Chacune des cases était un trou d'une profondeur d'environ trois mètres, garni d'un tapis de mines. Les murs qui composaient ces cases étaient fins, prévenant les envies d'y jouer les équilibristes ; leur cime garnie de pointes acérées empoisonnées avait rempli leur office de donneur de mort plus d'une fois.

Nous nous assîmes sur le muret du château, contemplant d'un œil vague ce spectacle quotidien. Sur le pic, la citadelle regardait la mer quadrillée, infranchissable, rigoureuse, à la fois mathématique et froidement mortelle. Je la couvrai de mon pardessus, alors qu'elle pleurait sans que je parvinsse à savoir pourquoi. L'absurde nous regardait de son éternel sourire de damné. Le vent balayaient les cases, cellules où pourrissaient les derniers restes des joueurs fous qui avaient tenté de passer et qui étaient morts dans cette dernière tentative. Parfois, l'odeur nauséabonde de la mort nous parvenait du charnier quadrillé, révulsant les entrailles. Au delà ? Pouvait-on savoir ? Impossible d'obtenir ne serait-ce que des bribes, les partisans disant que l'enfer succédait au damier, les opposants parlant de paradis, usant tous du même langage de croyance auquel on ne pouvait apporter de preuves. Des têtes avaient sauté lorsque la population avait appris qu'un homme avait franchi la quatrième rangée de cases. La polémique avait fait rage, mais dans un sens inattendu : si quelqu'un avait pu passer quatre rangées, c'est que nous étions mal protégés de l'agresseur extérieur, l'éternel Golem invisible. On avait oublié l'Etat qui était le nôtre, se gargarisant de vains mots qui entravaient corps et esprits. Tous avaient oublié ce qui se trouvait au delà de la mer de cases, la barrière dont l'existence devenait formelle au fur et à mesure que l'on s'éloignait des territoires autorisés.

Elle savait que derrière cette mer se trouvaient ses racines.

Des gardes survinrent, armés comme pour l'assaut.

— Que faites vous là ?

— Nous admirons la vue.

— Dégagez !

Nous nous levâmes.

— Regagnez le groupe !

Nous marchâmes en direction du cœur de la capitale, notre prison. Fuir, mais comment ? Par quel sortilège ? Et quand tous paraissent satisfaits, qu'est-on, sinon des marginaux ?

Elle prit ma main, m'embrassa. Je la suivis pendant de longues heures. Son monde s'éclairait à mesure qu'elle cheminait. Sa main exhalait une chaleur intense. Je plongeai en ces yeux. Cet instant dura une éternité.



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