Cinquante-sixième nuit

Un article de Caverne des 1001 nuits.

(Différences entre les versions)

Version actuelle

Dinarzade, suivant sa coutume, éveilla la sultane le lendemain :

Si vous ne dormez pas, ma sœur, lui dit-elle, je vous prie de nous raconter ce qui se passa après la mort du jeune homme.

Scheherazade prit aussitôt la parole et parla de cette sorte :

« Madame, poursuivit le troisième calender en s’adressant à Zobéide, après le malheur qui venait de m’arriver, j’aurais reçu la mort sans frayeur si elle s’était présentée à moi. Mais le mal, ainsi que le bien, ne nous arrive pas toujours lorsque nous le souhaitons.

« Néanmoins, faisant réflexion que mes larmes et ma douleur ne feraient pas revivre le jeune homme, et que, les quarante jours finissant, je pourrais être surpris par son père, je sortis de cette demeure souterraine et montai au haut de l’escalier. J’abaissai la grosse pierre sur l’entrée et la couvris de terre.

« J’eus à peine achevé que, portant la vue sur la mer du côté de la terre ferme, j’aperçus le bâtiment qui venait reprendre le jeune homme. Alors, me consultant sur ce que j’avais à faire, je dis en moi-même :

« Si je me fais voir, le vieillard ne manquera pas de me faire arrêter et massacrer peut-être par ses esclaves quand il aura vu son fils dans l’état où je l’ai mis. Tout ce que je pourrai alléguer pour me justifier ne le persuadera point de mon innocence. Il vaut mieux, puisque j’en ai le moyen, me soustraire à son ressentiment que de m’y exposer. »

« Il y avait près du lieu souterrain un gros arbre dont l’épais feuillage me parut propre à me cacher. J’y montai, et je ne me fus pas plus tôt placé de manière que je ne pouvais être aperçu, que je vis aborder le bâtiment au même endroit que la première fois.

« Le vieillard et les esclaves débarquèrent bientôt et s’avancèrent vers la demeure souterraine d’un air qui marquait qu’ils avaient quelque espérance ; mais lorsqu’ils virent la terre nouvellement remuée, ils changèrent de visage, et particulièrement le vieillard. Ils levèrent la pierre et descendirent. Ils appellent le jeune homme par son nom, il ne répond point : leur crainte redouble ; ils le cherchent et le retrouvent enfin étendu sur son lit, avec le couteau au milieu du cœur, car je n’avais pas eu le courage de l’ôter. À cette vue, ils poussèrent des cris de douleur qui renouvelèrent la mienne. Le vieillard en tomba évanoui ; ses esclaves, pour lui donner de l’air, l’apportèrent en haut entre leurs bras et le posèrent au pied de l’arbre où j’étais. Mais, malgré tous leurs soins, ce malheureux père demeura longtemps en cet état, et leur fit plus d’une fois désespérer de sa vie.

« Il revint toutefois de ce long évanouissement. Alors les esclaves apportèrent le corps de son fils, revêtu de ses plus beaux habillements, et dès que la fosse qu’on lui faisait fut achevée, on l’y descendit. Le vieillard, soutenu par deux esclaves, et le visage baigné de larmes, lui jeta, le premier, un peu de terre, après quoi les esclaves en comblèrent la fosse.

« Cela étant fait, l’ameublement de la demeure souterraine fut enlevé, et embarqué avec le reste des provisions. Ensuite le vieillard, accablé de douleur, ne pouvant se soutenir, fut mis sur une espèce de brancard et transporté dans le vaisseau, qui remit à la voile. Il s’éloigna de l’île en peu de temps et je le perdis de vue. »

Le jour, qui éclairait déjà l’appartement du sultan des Indes, obligea Scheherazade à s’arrêter en cet endroit. Schahriar se leva à son ordinaire, et par la même raison que le jour précédent, prolongea encore la vie de la sultane, qu’il laissa avec Dinarzade.


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