La lutte contre le Shaytan
Un article de Caverne des 1001 nuits.
Le Shaytan se cache derrière les apparences du bien, et non pas au grand jour dans le mal. Il n'a pas changé depuis le moment où il se nommait Iblis et où il tenta Eve et Adam.
- "O Adam, habite le Paradis, toi et ton épouse; et ne mangez en vous deux, à votre guise ; et n'approchez pas l'arbre que voici ; sinon, vous seriez du nombre des injustes." Puis le Diable, afin de leur rendre visible ce qui leur était caché - leurs nudités - leur chuchota, disant : "Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous empêcher de devenir des Anges ou d'être immortels ! ". Et il leur jura : "Vraiment, je suis pour vous deux un bon conseiller". Alors il les fit tomber par tromperie.[1]
Le « mal », personnifié de façon diabolique, horrible, comme on peut le voir dans les représentations de la société, est aussi une manoeuvre de Shaytan pour se caricaturer lui-même. En se montrant laid, affreux et méchant à tous, il peut vivre tranquilement en nous-mêmes et officier sans qu'on le reconnaisse. Il joue là sur les apparences, sur ce que voient les yeux ; et si souvent, les yeux ne voient rien.
Les travestissements du Shaytan sont donc de deux types :
- soit il construit de hideuses représentations du mal pour que personne ne puisse soupçonner son existence parmi nous,
- soit il prend l'apparence du bien pour le vicier.
Le second type est, bien entendu, plus complexe à détecter. En effet, si nous prenons une personne qui dit qu'elle fait le bien alors qu'elle fait le mal, le Shaytan pour se défendre fera usage de la raison. En effet, tout logicien intelligent sait que la force du discours fait souvent foi, et que les gens se contentent d'argumentaires intellectuels, même si ces derniers remettent en cause de façon fondamentale ce qu'ils sentent. Avec un peu de « mauvaise foi » et beaucoup de raisonnements, on arrive à prouver tout et le contraire de tout, et l'on parvient à tromper et à tromper encore, même quand les gens commencent à penser qu'on les trompe.
Le bon usage de la raison couplée aux sentiments est l'une des méthodes favorites du Shaytan. En effet, quand le Shaytan parle de sentiments, il entend l'inverse du mot qu'il prononce. Ainsi, il prononcera :
- "amour" en signifiant "haine", "mal",
- "amitié" en signifiant "détestation",
- "pardon" en signifiant "rancune",
- "bon" en signifiant "mauvais"
- "fidélité" signifiant "trahison",
- "modestie" signifiant "orgueil",
- "lumière" signifiant "ténèbres",
- etc.
Ainsi, à l'aide d'un jeu adéquat de raisonnements et d'un vocabulaire décalé par rapport à la réalité, le Shaytan manipule de sa fourberie les crédules ou ceux qui n'écoutent pas assez leur coeur. En face du Shaytan, attention, car ce dernier rira de la pureté en la méprisant, en la rendant grotesque, rira de la sincérité comme d'une superstition, et tentera de dégrader tous les mots les plus simples, de détourner de leur sens toutes les émotions les plus authentiques pour les corrompre. L'homme exposé au Shaytan risque gros, car son tourment peut continuer longtemps après l'exposition, du fait des sévices que le Shaytan lui aura fait subir.
Car le Shaytan sème la corruption dans l'esprit des gens et les amène progressivement d'un point à un autre, en usant de ses facultés de tromperie et de corruption pour détruire systématiquement les choses belles. Fort heureusement, les Shaytan « s'incarne » rarement dans des personnes. Les êtres purs sont les plus exposés à le rencontrer, c'est pourquoi ils souffrent souvent beaucoup. Ils sont, en effet, des proies faciles, étant incapables de comprendre rapidement que ce genre d'incarnation puisse exister tant elle est diamétralement opposée à ce qu'ils sont. Ils se laissent facilement manipuler et corrompre, surtout au travers des sentiments, si tant est qu'ils ne sont pas armés par le bouclier protecteur d'un enseignement religieux bien fait et bien assimilé.
Plus tard, dans leur chemin spirituel, les êtres purs useront de cette connaissance intime du Shaytan pour aller vers Dieu, en évitant les pièges du démon qu'ils connaissent le mieux au monde, tant ils ont souffert en sa présence.
Le Shaytan vit aussi en nous-même depuis la chute d'Adam hors du Paradis. Cela nous oblige à devoir le cerner en nous, mais en même temps nous permet de choisir entre lui et Dieu.
- Tout bien qui t'atteint vient d'Allah, et tout mal qui t'atteint vient de toi-même.[2]
Ce verset nous indique que le Shaytan est en nous, en tous les hommes, que nous ayons rencontré une ou plusieurs de ses incarnations ou pas. Ainsi, le Shaytan prend en nous la forme de l'« ego ». Le combat contre l'ego est le combat le plus difficile que le derviche doit mener. Il doit suivre son maître avec amour et application afin de transformer les choses en lui-même.
Car l'ego a de nombreuses ressources et il est impossible de le terrasser complètement. Toujours satisfait d'une possession matérielle, l'ego est un générateur d'idoles. Il en construit tout le temps, et il les associe à Dieu ou, pis, il remplace Dieu par ses idoles de pacotille. Puis, il les détruit et en divinise d'autres.
Tout ce qui réside dans la sphère matérielle est le jeu de l'ego. A chaque objet des cinq sens, à chaque objet de l'intellect et à chaque objet des sentiments, l'ego se délecte, s'active. Rien ne peut le satisfaire et plus on le nourrit, plus il est fat et orgueilleux, fier de lui-même. L'ego juge, critique, crée et défait des idoles, s'approprie des créations, vole, ment, détourne, et plus que tout, il est incroyablement satisfait de lui-même.
L'ego vivant en nous, il est très vigilant à exister même sous la contrainte de la religion, du repentir ou du jeûne. Si l'on suit une voie religieuse, l'ego se glorifiera de faire le bien, s'attribuera tous les lauriers des actions justes et s'enflera d'orgueil devant les reconnaissances. C'est pourquoi, la voie même de la vertu, si elle est obligatoire, n'est pas suffisante, car l'ego domine souvent le vertueux. De fait, l'ego, comme l'essence de laquelle il provient — le Shaytan — se prend pour Dieu, alors qu'il n'est rien. Il est, en un sens, notre pire ennemi. Lutter contre lui, c'est mener la grande Jihad.
Comment lutter contre cet ego dévastateur, toujours prompt à se glorifier de tout et à tout ramener à lui ? Par de la discipline et par un long travail de polissage du coeur pour que Dieu d'y reflète. Plus que la vertu, c'est le détachement qui assèche l'ego, qui le dompte, même s'il restera toujours une menace étant donné son inventivité sans cesse renouvelée. En le réduisant, en l'affaiblissant, en l'affamant, l'ego s'assagit et ouvre la place à Dieu. Sans affaiblissement de l'ego, il n'y a pas de chemin vers de Dieu.
Derviche, suis dans ton coeur la voie du détachement. Elle est longue et difficile, pleine de périls insoupçonnés et d'une grande dangerosité. A aucun prix, ne laisse ton ego libre ; tiens-le en laisse.
Et méfies-toi de lui, toujours. Car il est et sera toujours notre plus grand péril sur la voie du Bien-Aimé.
[modifier] Références
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