Projection et empathie

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Eléments pour aborder la différence des autres

Cet article décrit une proposition d'introduction d'une nouvelle « dimension » psychologique au sens où Jung envisageait ses types et fonctions psychologiques. L'introduction de cette nouvelle fonction est très utile pour aborder les questions d'évolution dynamique des types et fonctions psychologiques au cours du temps et pour structurer la capacité à reconnaître les différences des autres par rapport à soi, et de soi par rapport aux autres.

Sommaire

Petite introduction aux types psychologiques

Dans la classification de ce qu'il est convenu d'appeler les « types psychologiques » de Jung[1], nous trouvons trois dimensions psychologiques étudiées :

  • l'énergie psychique,
  • la représentation du monde,
  • la manière d'approcher un problème.

Dans chacune de ces dimensions, Jung introduit un « couple » de types ou de fonctions qui, placés sur le même axe, indiquent la tendance naturelle d'une personne à « voir les choses » d'une certaine manière. Cette tendance peut être représentée graphiquement comme un curseur qui se déplacerait entre deux bornes. Plus le curseur se rapprochera d'une extrémité, plus on pourra parler de « polarisation » vers un type ou une fonction psychologique particulière.

L'énergie psychique

L'énergie psychique donne lieu à deux « types psychologiques » : lextraversion (notée « E ») et lintroversion (notée « I »). L'extraverti aura une tendance à prendre son énergie « du monde » (sous-entendu « extérieur »), et l'introverti aura une tendance à prendre son énergie « de lui-même » (sous-entendu « de l'intérieur »). Bien entendu, ces types psychologiques ne sont que des tendances, mais ils pilotent largement notre psyché. Jung les voit comme des données quasi-physiologiques qu'il est difficile de modifier (même si ce n'est pas impossible, comme nous allons le voir).

Ainsi, l'introversion et l'extraversion expliquent un certain nombre de comportements différents chez les gens. Si un introverti est pris à parti subitement sur un sujet qu'il n'a pas préparé, il en résultera un malaise profond voire des balbutiements. L'introverti pense avant de parler, l'extraverti parle avant de penser.

Quand la tendance naturelle d'une personne la pousse à développer une extraversion ou une introversion très marquée (polarisation), cette même personne devra faire face aux inconvénients de sa propre nature. L'extraversion, poussée dans ses extrêmes peut donner lieu à des éparpillements chroniques et à une certaine agressivité extérieure, tandis que l'introversion extrême peut mener à des états d'angoisse des agressions extérieures et de repli sur soi-même.

La représentation du monde

La façon de représenter le monde donne lieu à deux « fonctions psychologiques » : « sensitif » (notée « S »), et « intuitif » (notée « N »). Le sensitif aura une tendance à approcher le monde sur la base de sensations immédiates, sur le hic et nunc, tandis que l'intuitif aura une tendance à envisager les conséquences dans le futur des situations présentes. Le premier aura souvent une analyse pertinente des détails (on trouve ainsi beaucoup de sensitifs dans les métiers financiers et comptables) tandis que le second aura une capacité à anticiper les problèmes et leurs solutions (on trouve ainsi beaucoup d'intuitifs dans les métiers faisant appel à la création).

A nouveau, quand la polarité vers une des tendances est trop exprimée, la personne peut souffrir de ses propres « avantages ». Ainsi une personne trop sensitive risque de ne pas pouvoir agir dans une perspective future, voire de développer une peur du futur et donc de se centrer sur l'obsession des détails présents, tandis qu'une personne trop polarisée vers l'intuitif risque de négliger le présent et ses détails au profit de successions de futurs hypothétiques.

L'approche des problèmes

La manière d'approcher un problème se clive selon Jung suivant deux autres fonctions psychologiques qui sont lintellect (noté « T »[2]) et laffect (noté « F »[3]). Ainsi, un intellectuel aura une tendance à approcher les problèmes humains au travers de critères très objectifs, mesurables et sans affect alors que l'affectif aura une tendance à aborder les questions humaines en se basant sur les sentiments et le ressenti des gens.

Là encore, on peut aisément envisager les dérives naturelles d'une trop forte polarisation. En un mot, un intellectuel « trop » intellectuel sera froid et vu comme inhumain, voire robotisé, tandis qu'une personne trop portée sur l'affectif sera souvent incapable de réfléchir pour prendre du recul dès lors que des sentiments forts, comme la souffrance par exemple, seront ressentis.

L'évolution des types et fonctions psychologiques

Il est clair que comme tous les modèles psychologiques, celui de Jung n'est pas à prendre au premier degré. Le but de ce modèle n'est pas d'établir une « carte d'identité psychologique » mais de chercher à la fois à mieux se connaître, et par voie de conséquence à mieux connaître les autres.

En effet, dès lors que nous croisons des personnes dont les tendances psychologiques sont différentes des nôtres, nous avons un moyen de comprendre leur vision du monde et donc de ne pas les critiquer dans la mesure où ils ne nous ressemblent pas.

Notons de surcroît que les types et fonctions psychologiques évoluent avec l'âge et avec le milieu dans lequel on se trouve. Ainsi, une personne extravertie sensitive intellectuelle (EST) dans un cadre professionnel pourrait se voir comme affective (ESF) dans un cadre familial. Avec l'âge, certaines polarisations diminuent et la personne tend plus vers un équilibre entre les deux pôles de la dimension psychologique.

Si la dimension psychologique dépend du temps, elle dépend aussi de sa propre perception de soi et de perception des autres. En effet, lorsque des personnes voient leurs dimensions psychologiques modifiées avec l'âge, elles sont souvent activement responsables de telles modifications. En effet, lorsque l'on a subi durant des années les travers de ses « avantages psychologiques », survient un âge où l'on réalise que l'énergie psychique serait mieux utilisée si un comportement plus « médian » était trouvé.

Cependant, afin de pouvoir progresser vers une certaine « dépolarisation » des dimensions psychologiques, il est nécessaire d'avoir une perception psychologique ad hoc des autres qui sont toujours des exemples pour la comparaison et la progression de soi, que ces exemples soient à suivre ou à ne pas suivre.

Expérience et évolution des dimensions psychologiques

On pense souvent que l'expérience s'acquiert avec l'âge de manière automatique et garantie. Il n'en est rien et l'âge, s'il peut apporter la sagesse, peut aussi apporter l'aigreur. Cette dernière est le fruit d'expériences ratées et d'une impossibilité de tirer les leçons de ces expériences. Cette impossibilité est souvent inconsciente, ce qui rend le problème plus épineux pour l'analyste.

Bien souvent, ceux qui ne parviennent pas à tirer les leçons de leurs expériences sont bloqués dans l'accusation facile d'autrui dans leurs expériences malencontreuses. Il convient ici d'être très prudent, car « autrui » et « soi-même », chez la personne qui a du mal à valoriser ses expériences, recouvre à peut près la même entité. Ceci signifie que l'accusation facile d'autrui peut prendre la forme de l'accusation facile de soi-même.

Chez les personnes ne pouvant valoriser leurs expériences, on assiste donc à un problème de différenciation de la personne d'avec son milieu : les autres lui ressemblent inconsciemment, les autres portent ses propres travers, les autres la rendent malheureuse car ils ne font jamais ce qu'ils devraient faire. Il faut, bien entendu, lire : je ne sais pas qui je suis, je me fais peur, je ne veux/peux pas voir mes propres problèmes, je me rends malheureuse, je ne fais jamais ce que je devrais faire, etc.

Pour les personnes incapables de valoriser les expériences positives comme négatives, nous voyons donc se dégager un trait psychologique commun : la projection. Ces personnes projettent la partie inconsciente de leur moi sur le monde extérieur. Nous sommes dans ce cas, hors du schéma de Jung, car cette projection ne peut être réduite à une combinaison des dimensions psychologiques junguiennes[4].

Projection et énergie

Le mécanisme de la projection, couplé au type psychologique, peut montrer que l'extraverti aura une tendance à accuser le monde de ses propres problèmes et que l'introverti aura une tendance à s'accuser soi-même des problèmes des autres.

En effet, l'extraverti projette la partie inconsciente de sa psyché sur le monde, sur sa source d'énergie principale, ce qui donne une relation au monde très paradoxale : l'extraverti aime le monde comme source de diversité, d'énergie, de nouveauté, mais il le déteste parce qu'il y voit les traits refoulés de sa propres psyché. Il voit dans le monde, les défauts qu'il ne peut voir en lui-même. Ainsi, il cultive une relation d'amour et de haine par rapport au monde ; il est à la fois incapable de se passer du monde, et incapable d'être tolérant avec les gens sur qui il projette ses propres travers.

L'introverti, quant à lui, s'accusera de tout, projetant ses traits négatifs sur sa représentation de lui-même. Il agit là en véritable autodestructeur de sa propre image, étant souvent incapable de faire le distinguo entre la faute des autres et la sienne, et la gravité des actes des autres et ses propres motivations. La projection sur la représentation intérieure concentre l'énergie négative sur une personnalité fantasmée qui possède, à la fois, les défauts de la personne projetant plus les défauts des personnes environnantes. L'introverti en mode projectif concentre souvent le sentiment qu'il est coupable de tout, même secrètement, des actes ratés des autres.

Généralités sur la projection

Toute personne a une tendance plus ou moins importante à « projeter ». La projection est une lecture du monde au travers de soi, on voit le monde comme on peut l'imaginer. C'est une tendance normale de la psyché humaine qui, comme toute tendance, devient problématique si elle n'est pas contrebalancée par une tendance complémentaire.

Un mécanisme classique de la projection est le fait de « voir » des motivations aux actes des autres qui sont incompatibles avec la vraie nature des autres. Ainsi, si l'on soupçonne une bonne personne d'un acte mauvais, nous sommes en pleine projection. Bien sûr, il est dans ce cas très difficile de savoir si l'« autre » est une bonne personne ou pas, ou même si, étant donné que nous projetons, nous pouvons vraiment « savoir » qui elle est.

La projection est un phénomène très important car lorsque l'on connaît ses propres tendances à projeter, il est facile de les repérer chez les autres. Prenons un exemple.

Une personne A a un ami B qui lui parle d'un ami C. B interprète les actes de C en projetant. Il va donc donner des motivations supposées aux actes de C - sous-entendu, supposées « dans le contexte de la psyché de B ». Si B est quelqu'un de vénal (consciemment ou pas), C apparaîtra comme vénal et l'interprétation des actes de C faite par B sera orientée vers les préoccupations de B. Tout cela est très logique car B ne peut pas « inventer » des motivations qu'il ne comprend pas, qu'il n'a pas en lui-même. A devra donc se méfier et tempérer les interprétations de B afin de les relativiser dans le contexte de la personne B. Si A prend au pied de la lettre les interprétations de B, il pourra se tromper sur les motivations réelles des actes de C.

Projection et expérience

Comme nous l'avons vu, la tendance projective ne permet pas aux personnes de progresser sur leurs dimensions psychologiques, de progresser vers la voie médiane qui pourrait se décrire comme la « tendance à ne plus avoir de tendances », comme la tendance à estimer une situation pour ce qu'elle est vraiment (nous comprenons bien toute l'ambiguïté de cette formule).

Ceci est très important dans la mesure où un grand nombre de personnes autorisées à enseigner ou autoproclamées spécialistes de sujets (les scientifiques, les philosophes, les politiques, les journalistes, les enseignants dont les historiens, etc.) reste souvent « bloqué » dans ce monde projectif, souvent sans que ces personnes ne s'en rendent compte. Bien entendu, si leur niveau d'utilisation de la projection est très « standard », leur position sociale faisant qu'ils sont écoutés implique que les représentations du monde qu'ils génèrent - et donc qui circulent - ont, la plupart du temps, les traits de leur propre inconscient refoulé. En un sens, si leur mécanique de pensée ne diffère pas d'autres personnes, leur influence et leur audience rendent cette pensée projective plus néfaste (nous reviendrons sur le sujet).

Ainsi, si un philosophe voit des motivations cachées derrière les agissements de certaines personnes, on peut se demander dans quelle mesure la projection de la psyché inconsciente du philosophe sur le monde n'est pas la seule donnée certaine. Freud et Jung avaient très bien vu ce problème et bien compris que, fondamentalement, le mécanisme projectif exhibé par la psychologie remettait en cause une grande quantité d'écrits, notamment philosophiques[5]. Jung disait avec un peu d'ironie que suivre les préceptes d'un philosophe bibliothécaire qui n'avait rien vécu mais tout appris de manière livresque était, conceptuellement, absurde, car le philosophe, en prétendant parler du monde, ne parlait au final, que de lui-même et de sa propre psyché.

L'empathie comme contrepoids

Même si ce tableau peut apparaître comme un peu négatif, la fonction inverse de la projection existe : c'est l'empathie. Nous nous situons ici dans un autre cadre que celui de la psychanalyse au sens strict, où la projection apparaît plus souvent comme une conséquence que comme un « trait » psychologique.

Or, l'empathie est un trait psychologique qui contrebalance la projection. La définition de l'empathie est la suivante : la capacité de ressentir les émotions de quelqu'un d'autre. Nous envisageons, plus précisément, l'empathie comme la capacité de se mettre réellement à la place de quelqu'un dans ce que ce quelqu'un a de différent de nous.

On peut constater que la capacité projective porte en elle, comparativement à l'empathie, une certaine positivité dans ce qu'elle nous permet de voir chez les autres ce qui est comme chez nous-mêmes.

Comme tous les couples de fonctions psychologiques, le couple projection et empathie n'est pas positif ou négatif a priori, il est composé de fonctions qui sont complémentaires qui trouvent leur intérêt dans chaque situation. Des tests de personnalité pourraient être créés dans ce domaine pour déterminer si une personne est vraiment capable de se mettre à la place de quelqu'un d'autre (sous-entendu dans sa différence à l'autre) ou pas.

Une fois encore, si nous imaginons des personnes polarisées vers l'une ou l'autre des fonctions de cette nouvelle dimension psychologique, nous retrouvons des comportements extrêmes et bien connus : le projectif polarisé est incapable de voir du monde ce qui n'est pas lui-même, il peut même aller jusqu'à nier que ce qui n'est pas lui-même existe[6] et se prendre pour un genre de démiurge ; l'empathique polarisé aura du mal à voir que des gens lui ressemblent et que des gens se ressemblent entre eux, il pourra donc avoir des difficultés à conceptualiser et à grouper les individus par classe ou pas catégories, donc à faire des « approximations » sur les groupes de gens[7].

La recherche de l'équilibre

Dans [le manque d'empathie comme culture->67], nous défendions le point de vue que le « républicanisme » français sous-entendait un manque d'empathie volontaire, développé au nom de la « culture française » qui passait implicitement pour le comportement « normal » à adopter. Nous voyons désormais que le manque d'empathie comme culture génère des générations à la « pensée projective » qui ont bien du mal à ouvrir leur esprit à la présence de la différence des autres.

Cet état de faits n'est pas nouveau en France et il a des fondements théoriques très profonds dans la philosophe française, et notamment dans les travaux de Sartre sur « l'autre »[8]. Il est intéressant de noter que le point de vue de Sartre est implicitement un point de vue projectif. En effet, dans la mesure où Sartre s'intéresse à « l'autre » de manière générale, il commet déjà une erreur conceptuelle car il n'existe pas « un » autre mais « des » autres, qui sont tous très différents les uns des autres.

Ainsi, « l'autre » n'est pas un objet de pensée philosophique licite car il est trop phénoménologique, trop primaire, trop superficiel, trop relatif, trop personnel et par conséquent trop basé sur une logique projective a priori. La cardinalité est d'ailleurs, ici, un indicateur incontestable de la vision biaisée du problème : je vois « l'autre », car je me projette dans « tous les autres » qui ressemblent à un seul individu, un seul « autre » : « moi », ou l'image inconsciente et cohérente que je projette sur les autres.

Donc, avant d'étudier « l'autre », il est requis d'étudier ma « capacité à voir la différence des autres ». Bien entendu, cette approche n'est plus de la philosophe mais de la psychologie.

La pensée projective française : un nationalisme comme un autre

La pensée française, comme toutes les pensées typées par une longue histoire, garde des marques quasi « institutionnelles » de cette pensée projective, pensée par essence monolithique et que l'on pourrait définir comme la capacité à se proclamer en exemple et à projeter les travers de ce que l'on fait (inconsciemment) sur les autres, sans avoir la capacité de les connaître dans leur différence.

Notons que les pensées projectives sont toujours des pensées de type nationalistes. Le lecteur pourra contester que la France ait une vision nationaliste en raison de son attachement aux grands « principes universels », aux « droits de l'homme », etc. Ce credo universaliste ne doit pas tromper le lecteur, car il se fonde sur un républicanisme très nationaliste dans lequel les traits de la « culture française » sont incontestables, tout comme l'est l'impossibilité pour la plupart des français dits « de souche » d'envisager la différence de couleur de peau, de culture, de religions et de coutumes.

En un sens, l'état d'esprit français n'a pas changé depuis la « fleur au fusil » de 1914, où tous les partis politiques étaient d'accord pour « en découdre » avec les « boches ». Chose amusante, à l'époque, les éléments qui « perturbaient » la « grande unité française » étaient les polonais, les italiens, les portugais, etc.

Bien entendu, dans le discours projectif officiel français d'aujourd'hui, ce sont « les autres » qui sont de vilains nationalistes, mot qui a, ces dernières années, dérivé en « islamisme » pour le monde extérieur, et en « communautarisme » pour le monde intérieur[9]. Aujourd'hui, tout le monde semble d'accord pour en découdre avec les « communautarismes », ce qui veut dire avec les « noirs » et les « arabes ». Les temps changent mais l'inconscient collectif reste le même. On pourrait se demander avec ironie où sont les penseurs de la tolérance française, « héritiers des Lumières »[10].

Le credo universaliste français n'est donc qu'un discours conscient visant à légitimer la projection inconsciente de l'« esprit français » sur le reste du monde[11]. Ce type de pensée se trouve dans toutes les pensées de type impérialiste que l'on pourrait nommer « pensée coloniale ».

Le colonialisme, en lui-même, en est un exemple flagrant de pensée projective : France, Etats-Unis, Angleterre, Japon, Chine, etc. L'exception culturelle est aussi du ressort de la pensée projective (et très utilisé, sous d'autres terminologies, dans la mécanique coloniale elle-même). D'une manière générale, toutes les pensées qui visent à l'unicité de traitement des individus sont des pensées projectives qui ne peuvent pas comprendre la différence. Pis, le plus souvent, ce type de pensée envisagent négativement cette différence, voire la refuse comme une « erreur »[12].

Derrière ces types de pensées, nous retrouvons soit les névroses de leurs créateurs, des personnes très souvent pathologiquement polarisés sur la fonction projection[13], soit les névroses collectives d'une nation et des heurts et violences qui ont servi à l'édifier.

Vers un type de pensée alternative

Il est à noter, malheureusement que les pensées « anti pensée universaliste française » ne portent pas beaucoup de solutions car elles sont, la plupart du temps, aussi polarisées que les doctrines officielles. Ainsi, toutes « alternatives » qu'elles se prétendent, elles ne gardent pas moins de la pensée française cette tendance à la projection et au modèle unique. Il s'agit pour la pensée « alter » de proposer un modèle complet et univoque, « universel alternatif », au modèle de la pensée universel français classique.

Nous pourrions ironiser sur le fait que le modèle actuel « alter » est un modèle universaliste « de plus » tout comme le furent le communisme, le fascisme, dans une certaine mesure le nazisme, le capitalisme sauvage unilatéral façon Etats-Unis, etc.

Plus sérieusement, seule une pensée de type empathique pourrait représenter une alternative véritable aux pensées projectives issues des milieux intellectuels français, de quelque bord qu'ils soient.

Conclusion

Pour les personnes restées bloquées dans le mécanisme projectif, polarisé par une société qui ne postule qu'un modèle unique sur lequel « tout le monde doit projeter », l'évolution vers la voie médiane paraît quasiment impossible en raison d'une non différenciation entre la personne et le monde, le monde voulant dire le modèle de pensée collectif.

C'est pourquoi dans le développement de l'individu, comme Jung l'avait détaillé, le détachement de l'inconscient collectif est une des parties importantes de la psychanalyse et du chemin vers l'individuation. Cependant, nous défendons dans cet article le fait qu'une polarisation excessive sur la dimension projective puisse bloquer le processus d'individuation et donc ralentir, voire bloquer la psychanalyse. La présence d'un test évaluant la dimension projection versus empathie pourrait être, dans ce cadre, d'une grande aide à l'analyste dans son diagnostique.

Projection et empathie se développent sur un même axe comme un nouveau couple de fonctions psychologiques. Si une personne cherche à développer son empathie, elle entre alors sur un sentier qui l'écarte de la toute puissance de la projection et qui lui permet de voir les autres dans leur différence. Par voie de conséquence, cette personne peut se voir dans sa différence aux autres et donc voir ses propres polarités ou tonalités excessives dans le référentiel des types et fonctions junguiennes.

Elle peut donc entamer une évolution vers « la voie du milieu », voie qui n'est qu'un préalable à des chemins que l'on pourrait qualifier de spirituels[14].

Notes

  1. Voir [intervention des types psychologiques dans les problèmes de couple->512].
  2. « Thinking ».
  3. « Feeling »
  4. On pourrait penser de prime abord que la dimension « affective » entre en ligne de compte dans la projection, mais nous verrons plus loin que l'affect comme l'intellect peuvent être projetés et donc qu'il y a bien indépendance de la dimension projective d'avec les autres dimensions junguiennes.
  5. Les philosophes ayant créé des « systèmes » sont les premiers visés.
  6. On pourra penser au livre Le monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer qui décrit cette « version » de la vision du monde. On pourra aussi penser à l'extrémisme de certains athées à refuser que certains autres puissent ressentir la présence divine et s'entêtent à ne voir chez les autres qu'une volonté de manipuler et d'aliéner (état projectif classique).
  7. Voir Funes ou la mémoire de Borges pour une parabole sur ce sujet.
  8. Cf. [l'autre chez Sartre->281].
  9. Cf. [Déconstruction du concept de communautarisme->800].
  10. On pourra voir d'ailleurs avec un peu de peine ceux qui, honteusement, se proclament « des Lumières » pour justifier des discours haineux, xénophobes ou racistes.
  11. Cf. [L'obsession névrotique française de l'universalité->146].
  12. Souvenons-nous qu'Hitler voulait « purifier » sa « race » aryenne suivant des principes d'universalité. Il s'agissait pour lui de « corriger une erreur de la nature » : la différence des races.
  13. C'est d'ailleurs, ironiquement, le reproche que l'on fait souvent à Freud quant à la sexualité, alors qu'il n'est pas certain, à la lecture de ses écrits, que la polarisation sur la sexualité d'un Freud soit projective.
  14. Nous sommes plus mitigés quant au fait de citer Jung en exemple sur les aspects spiritualité de ses écrits.