A propos d'Edgar Morin
Un article de Caverne des 1001 nuits.
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* elle ne structure pas la pensée mais met sur le même plan les plus arbitraires divisions analytiques des sujets étudiés ; | * elle ne structure pas la pensée mais met sur le même plan les plus arbitraires divisions analytiques des sujets étudiés ; | ||
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* elle donne l'occasion de recaser les argumentaires les plus éculés des pour et des contre, de tous ceux qui se sont exprimés sur une subdivision du problème analysé ; | * elle donne l'occasion de recaser les argumentaires les plus éculés des pour et des contre, de tous ceux qui se sont exprimés sur une subdivision du problème analysé ; | ||
* elle est une occasion de montrer une "culture" personnelle portant sur de nombreux champs de la science ; | * elle est une occasion de montrer une "culture" personnelle portant sur de nombreux champs de la science ; |
Version du 19 avril 2009 à 21:49
Sommaire |
Introduction
Cet article se propose d'étudier brièvement la pensée d'Edgar Morin, philosophe contemporain très proche des sciences, qui au travers d'une image rigoureuse et tolérante, est le symbole d'une certaine philosophie occidentale, faite en apparence d'une volonté de tempérance. Derrière cette apparence très modérée, les messages véhiculés par Edgar Morin sont pernicieux à plus d'un titre, dans la mesure où, nous allons le voir, ils colportent bon nombre de confusions et de lieux communs du monde occidental moderne. A ce titre, la pensée elle-même d'Edgar Morin nous semble une pensée philosophique extrêmement limitée qui bloque, comme sait si bien le faire le monde scientifique, les possibilités d'un accès à un savoir plus profond.
Un homme de son temps
Edgar Morin est un homme du XXème siècle[1]. Il est à l'image d'une génération qui plaça une foi déraisonnable en des mythes politiques et philosophiques, lesquels mythes furent promptement abattus par les décennies suivantes, excepté le mélange de foi et de prosélytisme qui caractérise encore aujourd'hui le scientisme et les méthodes universitaires.
Edgar Morin a gardé du XXème siècle une vénération sans borne pour la science, science qui, au travers de sa rencontre avec Jacques Monod, fonde les prémisses de sa théorie de sa "pensée complexe". Comme nous allons le voir, la "pensée complexe" se drape des atours de la complexité sans pourtant en effleurer la surface. Ceci explique que la pensée d'Edgar Morin laisse le plus souvent les lecteurs sur leur faim.
La complexité à contresens
Un problème de principe
La première chose à dire en ce qui concerne la vue moriniste de la complexité est que le concept est envisagé comme un concept méta, c'est-à-dire qu'il est, pour Edgar Morin, à la fois un a priori de la description du monde et un aboutissement, car ce concept est applicable à toute science, ceci incluant la philosophie.
Il est nécessaire de rapprocher cette façon formelle de voir aux dérives scientistes du début du XXème siècle, dérives dans lesquelles la biologie servait à expliquer les traits de la société moderne[2]. Nous trouvons chez Morin cette même recherche d'un principe unique dont il fait un aboutissement sans pour autant réaliser qu'il n'est qu'un constat, qu'un point de départ. C'est en ce sens que nous dirons que cette pensée possède sa conclusion dans son hypothèse ou bien qu'elle fait du "sur place".
Une trop grande abstraction
Le problème n'est bien entendu pas de réaliser ou pas que le monde est complexe, le problème est de construire un concept qui permette d'abstraire cette complexité au point d'en faire une complexité si générique qu'elle ne signifie plus rien en elle-même[3].
Si nous comparions avec le structuralisme, courant que pourtant nous n'apprécions guère, nous trouverions chez les structuralistes une certaine idée de structures sous-jacentes différentes selon les types de problématiques étudiées. Or l'essence de théorie morienne est contenue dans cette seule gigantesque abstraction vide de sens qu'est la "pensée complexe".
Une infatuation de l'ego
Nous ne serons pas sans pointer du doigt l'ego nécessaire pour oser s'attribuer la paternité d'un concept tel que la "pensée complexe", comme si la pensée des intellectuels avant Morin avait été "simpliste". Nous ne pouvons que nous interroger sur un tel toupet qui vient obligatoirement d'un jugement de valeurs très négatif de Morin sur ses compatriotes du présent comme du passé. Oui, penser est complexe, et il suffit de lire Aristote ou Kant pour se rendre compte que la pensée complexe ne date pas d'aujourd'hui.
Nous nous devons donc de supposer que cette pensée complexe, témoignage d'un indéniable ego infatué, ne peut avoir germé en tant que concept que face à une certaine classe de gens dont les pensées seraient inférieures a priori, le commun des hommes par exemple, incapable de saisir les complexités de la science ou de la philosophie, les médias dans un autre domaine et leur prédilection pour les messages simplistes et efficaces, où encore les politiques dont le goût pour la logique binaire nous est bien connu.
Il y a pourtant d'autres choses, dans cette pensée complexe, autres choses que nous allons maintenant découvrir dans certaines de ses incarnations.
La pensée complexe : une méthode simpliste
Une pensée analytique à l'extrême
La "pensée complexe" est naturellement - naturellement car c'est le credo même de toute la recherche universitaire - une pensée analytique, mais poussé à un point très étonnant de simplicité doctrinale. Nous allons nous tenter à un petit exercice un peu cruel, mais qui pourrait montrer en quelques points ce que c'est d'adopter une "pensée complexe" :
- Etape numéro 1 : divisez chaque grand problème en une série de petits. Cette division est très facile dans la mesure où tout problème humain de grande envergure peut se décliner en des questions philosophiques, scientifiques, sociologiques, politiques, etc.
- Etape numéro 2 : prenez problème par problème et établissez une liste thèse-antithèse[4]. Ce niveau est celui où, ne connaissant pas le sujet, vous pouvez recycler tous les points de vues de vos contemporains, quels que soient leurs opinions. Vous ne pouvez faire la synthèse à ce niveau car vous avez divisé le problème.
- Etape numéro 3 : remarquez que les sujets que vous avez divisés sont "inter-connectés" les uns avec les autres et notez que le problème est complexe à synthétiser. Vous ne pourrez de toutes façons pas connecter les diverses sujets, comme nous allons y revenir un peu plus tard (cf. La quête du Graal).
- Etape numéro 4 : concluez que la synthèse est très complexe à faire et donc qu'il faut que la recherche dans la "pensée complexe" se poursuive à tous prix. Vous avez gagné.
Notez que cette méthode s'applique virtuellement à tous les "problèmes"[5].
Une thèse-antithèse-synthèse sans la synthèse
Plus sérieusement, la "pensée complexe" est un leurre rhétorique, une thèse-antithèse-synthèse sans la synthèse, un retour arrière basé sur des fantasmes que nous détailler. Loin d'être une avancée, elle est une régression dans la mesure où :
- elle ne structure pas la pensée mais met sur le même plan les plus arbitraires divisions analytiques des sujets étudiés ;
- la manière de diviser le problème est un acte de foi dans la légitimité de la déclinaison sur des sciences universitaires connues et balisées ;
- elle donne l'occasion de recaser les argumentaires les plus éculés des pour et des contre, de tous ceux qui se sont exprimés sur une subdivision du problème analysé ;
- elle est une occasion de montrer une "culture" personnelle portant sur de nombreux champs de la science ;
- elle permet de donner l'illusion de se questionner elle-même en remettant en cause le découpage analytique lui-même, ainsi elle donne lieu à une réflexion théorique sur la manière d'aborder le problème ;
- elle tourne vite au catalogue de lieux communs ou au bavardage méthodologique ;
- au mieux, elle prône une recherche supplémentaire pour parvenir à une synthèse hypothétique, tout en refusant de se prononcer en invoquant l'avenir.
La "pensée complexe" est donc une pure rhétorique insipide, qui se targue des apparats de la science moderne et du sérieux de la démarche analytique qui la caractérise.
Véhiculer des lieux communs
Lorsqu'un philosophe aborde un sujet, son plus grand ennemi est lui-même, notamment au travers de deux dimensions dont Freud et Jung ont longuement discuté :
- le fait que son passé personnel ne soit pas représentatif de celui de tous les hommes et donc que le philosophe ne puisse pas connaître ce que connaisse tous les hommes (ni même l'imaginer ou se le représenter), et donc qu'il soit dans l'obligation de tempérer ses ardeurs systémiques ;
- le fait que notre esprit soit si empli de poncifs et de lieux-communs que les raisonnements automatiques qu'ils provoquent vont souvent, même si l'on y porte attention, jusqu'à s'immiscer dans la plus petite réflexion que nous penserions comme personnelle alors qu'elle ne l'est pas.
Nous ne trouverons point de préoccupations de ce type dans la "pensée complexe" qui, favorisant la collection analytique au discernement, pense "découvrir" le discernement au bout de longues décennies de recherches[6].
La "pensée complexe" est donc le vecteur rêvé pour brasser encore et encore des raisonnements parcellaires binaires, des références bibliographiques de toutes disciplines, dans un exercice de verbiage sans profondeur. Cette pensée est l'occasion rêvée de redire encore et encore les grands poncifs parmi lesquels "tout est dans tout", ou "tout est connecté" ou encore "les choses sont complexes".
Une pensée partisane du non-penser
La "pensée complexe" est donc :
- une pensée partisane, entièrement dévouée au culte des méthodes universitaires ;
- une pensée du non-penser, stérile par construction même de sa méthode de prédilection.
Voilà donc pourquoi la pensée d'Edgar Morin nous laisse sur notre faim : parce que nous ne savons rien de plus après qu'avant sinon que le problème est complexe et qu'il ne faut surtout pas conclure.
La quête du Graal
Comme toute pensée d'obédience scientifique, la "pensée complexe" a des mythes en lesquels elle croit, au point de réserver son jugement pour le jour où le Graal sera trouvé : ce jour où les sciences seront synthétisées en une seule science de la complexité. Comme certains ésotéristes à la fin du XIXème siècle qui voulaient synthétiser la science, la religion et la philosophie, le rêve de la science unique qui explique tout est un rêve totalitaire au sens strict, en ce que la science est une représentation et ne peut donc être unique. En attendant, la "pensée complexe" use d'une méthode désespérément analytique en attendant le "Messie de la Complexité". Morin apparaîtrait donc, dans cette épopée mythique, comme un "prophète"... Ego, quand tu nous tiens.
Nous attribuerons cet espoir déraisonnable à une confusion de l'épistémologie avec l'histoire de l'art dans laquelle il fut certaines époques où les diverses domaines artistiques se fertilisaient mutuellement. Mais les penseurs ne sont pas des artistes, même s'ils rêvent parfois, naïvement, qu'ils en sont.
Une pensée archétypale de la pensée démocratique moderne
Comme toute pensée tautologique, la pensée de Morin part et arrive au même point dans une désespérante débauche bibliographique stérile. Nous noterons, pour conclure, les vertus absolument extraordinaires de cette "pensée complexe". En permettant d'exposer l'avis de tout le monde et de ne pas se déclarer outillé pour synthétiser, Edgar Morin est l'inventeur d'une pensée merveilleusement démocratique qui ne donne ni tort ni raison. Ce dernier a, en effet, réussi le tour de force de faire de sa pensée un objet parfaitement compatible avec les milieux sociaux les plus divers, les institutions les plus diverses qui peuvent lui savoir gré de parler de tout sans provoquer de heurts. Sans synthèse, pas d'avis et donc pas de parti-pris, hormis celui de la défense des méthodes universitaires.
Il est temps pour nous de lui proposer un slogan marketing à sa mesure, lui le prophète neutre de la complexité de surface : "pensez complexe, vous ne fâcherez personne et vous satisferez tout le monde". Encore un bel exemple de progrès dans la pensée occidentale !
Etude de cas - L'éducation vue par Edgar Morin
(en cours)
Notes
- ↑ Cf. Baby boom et génération névrose.
- ↑ Cf. la théorie des "agents pathogènes", qui décrivaient certains éléments humains qui perturbaient la "société", ordre parfait (comme la cellule), comme autant de nuisances à la survie de l'"organisme social" tout entier.
- ↑ Cf. Le concept creux.
- ↑ C'est la méthode anglo-saxonne des pros and cons.
- ↑ Cf. A propos de la vérité.
- ↑ Comme les sciences cognitives pensent "découvrir" la conscience dans leurs investigations aveugles.