Le doute agnostique

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Sommaire

[modifier] Introduction

Le doute a toujours été un sentiment très usuel, très fréquent, lié à l'impossibilité momentanée ou permanente de s'exprimer sur un sujet. Le doute est une dimension essentielle de notre intellect, de notre façon de réfléchir sur le monde, car il est lié aux certitudes que nous avons sur ce dernier. Si je ne doute pas, c'est que je sais. Or, lorsque l'on sait, on omet de penser que nous croyons savoir et que notre certitude de savoir est, en fait, un acte de foi (souvent étayé par de réelles expériences) et un acte de refus du doute.

Lorsque le doute s'insinue, au sein d'un discours ou envers une personne par exemple, il est difficile de l'expurger. Le doute peut devenir alors, pour certains d'entre nous, une ligne de conduite pour découvrir le monde et pour se découvrir soi. En effet, s'il est souvent utilisé de manière temporaire pour arriver à une certitude, le doute peut être utile d'une autre manière plus systématique, et dans une autre but, celui de lever un certain nombre de mensonges ou de simplifications hâtives tapies au sein même des grands principes qui nous pilotent à notre insu.

[modifier] Le doute comme danger

Le doute est, en ce sens, une composante essentielle à la fois de l'introspection et de la connaissance du monde. Ceux qui parviennent à se définir en termes précis et exacts, par exemple, se placent dans une perspective d'adéquation parfaite avec eux-mêmes, ce qui souvent peut les conduire à se jouer un certain rôle : celui qu'ils s'imaginent devoir jouer pour coïncider le plus souvent possible avec la représentation qu'ils ont d'eux-mêmes. Ce genre de personnes, même prétendant douter des choses, douteront hors des zones de danger à la fois par rapport à eux-mêmes et par rapport au monde qui les entoure.

En ce sens, le doute peut être mensonge à soi, faux doute, représentation simplifiée du monde, mauvaise foi, jugement. Il peut devenir une caution à un non doute sur les fondements, une assimilation à un procédé plus pernicieux de l'intellect : la tendance à envisager les possibilités du futur. Cette tendance conduit bien entendu à douter des choses du futur en tant qu'elles devront se passer ou non d'une certaine façon. Cette tendance est souvent nommé doute, de manière abusive. C'est pourquoi, on notera que le doute est souvent un mot que l'on place sur des anxiétés ou des angoisses, justement pour ne pas douter.

Pourquoi donc refuser ce doute, pourquoi donc contourner ce doute si ce dernier est une des méthodes pour connaître soi et le monde ? Parce que le doute fait peur d'une part, et d'autre part, parce que le doute est dangereux. La peur issue du doute est la peur inhérente à toute remise en question de principes faisant partie de notre mode de fonctionnement. Cette remise en question fait peur car elle est associée inconsciemment à une remise en question de la personnalité. Cette assimilation, bien que majoritairement erronée, ouvre la perspective d'une remise en question du principe et donc d'un choix personnel quant à la marche à suivre, choix qui appartient à l'un des trois grands groupes de démarches suivants :

  • l'acceptation consciente du principe remis en cause,
  • le refus conscient du principe remis en cause,
  • le doute vis à vis du principe remis en cause,
  • le doute sur la question à laquelle le principe répond.

Les deux premières solutions sont clairement des solutions que nous qualifierons d'«opérationnelles» : avec le principe accepté ou refusé après examen des pour et des contre, je suis en mesure dans la vie qui est la mienne de juger à l'aulne de ce principe. J'ai dans ce cas choisi une «opinion».

Notons que ce genre de positionnements est très courant chez l'ensemble des personnes à ceci près qu'il n'y a pas de doute conscient pour arriver à l'acceptation de ce principe ; en quelque sorte, pour chacun d'entre nous, existent en nous quantité de principes acceptés ou refusés par défaut, sans que notre conscience n'ait été consultée explicitement sur le sujet. Qu'il soit conscient ou pas, le principe peut être accepté ou refusé.

[modifier] Un exemple concret

Prenons un cas concret mais emblématique, dans la mesure où nous allons tirer de cet exemple la terminologie faisant le titre de cet article. Prenons comme principe P0 : Dieu existe.

Chacun d'entre nous a été une fois dans sa vie confronté à ce principe qui est, il faut le dire, particulièrement vague. A la suite de chemins personnels divers, les personnes seront amenés à se positionner vis à vis de ce principe. Le positionnement enfantin sera souvent une acceptation de P0 ou un refus de P0 équivalent à : P1 = non (P0) : Dieu n'existe pas.

Le doute que nous qualifierons de “normal” (dans la mesure où il exprime un doute sur P0) sera le troisième positionnement que nous pourrions exprimer par : Proposition 1 : je ne sais pas si Dieu existe ou n'existe pas.

Dans cette optique, il n'est plus question de principe puisque le doute peut être une position permanente. Pourtant, reste une chose qui est acceptée dans cette proposition : la formulation de la question.

L'agnostique, lui, se positionnera dans un examen de la question posée et arrivera à générer d'autres questions sur la possibilité même de se positionner par rapport à la question posée : qu'est-ce que Dieu ? Que signifie exister pour un dieu ? Pouvons-nous connaître un dieu, le Dieu ? etc. La position de l'agnostique face à ce principe sera donc, schématiquement : Proposition 2 : je ne suis pas certain du caractère valide de cette question.

[modifier] Le doute agnostique et la métaphysique

L'agnosticisme en tant que doctrine se situe dans la droite opposition avec la métaphysique. Cela est tout à fait dommageable car il y a, au delà des questions de doctrines, une possibilité de compatibilité des deux outils, comme nous allons le voir.

Nous nommerons le type de doute de la proposition 2 doute agnostique, et cela dans un contexte plus large que celui lié à la question de l'existence de Dieu. La définition de ce type de doute pourrait être : doute quant à la façon dont un problème est posé.

Le corollaire de cette définition est que le doute se porte non sur le principe lui-même, mais sur ce qu'il présuppose, sur les hypothèses sous-jacentes au principe, plus que sur le sens du principe lui-même. En quelque sorte, le doute agnostique est un doute sur l'être du principe, c'est donc un doute métaphysique.

[modifier] Esprit scientifique et positivisme

L'agnosticisme non doctrinaire pourrait donc être l'utilisation du doute agnostique comme outil. C'est d'ailleurs, dans un sens, la lecture positiviste d'Auguste Comte qui a, pourtant, la tendance à réfuter la métaphysique comme nulle et non avenue. Là où Comte a raison, c'est probablement lorsqu'il considère que le doute de type agnostique est le fondement de la pensée scientifique.

En effet, la remise en cause d'un paramètre d'un modèle scientifique après que le modèle a donné des résultats importants met souvent en exergue un autre modèle plus vaste ou différent permettant d'expliquer plus de choses. Le doute agnostique est toujours présent lors des ruptures épistémologiques.

Là où Comte, en revanche, pêche par prétention, c'est lorsqu'il tente de balayer au nom de la science les interrogations métaphysiques et à donner une vision progressiste de la science, donc une vision morale. Cet écueil est probablement dû au fait que Comte ait fait sienne la doctrine anti-métaphysique de l'agnosticisme.

[modifier] La connaissance de soi et du monde

Pour aller vers soi et vers le monde, le doute agnostique fournit une méthode très puissante en ce qu'elle permet de remettre en question nombre de principes considérés comme acquis, et sous eux, les principes qui les sous-tendent. Le doute agnostique est la condition de l'auto-analyse à caractère psychanalytique, il est la substance de l'esprit scientifique[1], il est la condition de la réflexion anti-aliénante.

Le doute agnostique est la véritable arme révolutionnaire de l'esprit car il peut permettre à la fois d'aboutir à de nouvelles conclusions tout en leur conservant un caractère provisoire et complexe, mais aussi d'appréhender le singulier dans ce qu'il a d'unique et non dans ce à quoi il ressemble et qui est déjà supposé connu.

[modifier] Notes

  1. Même si ce dernier a toujours eu tendance à se méfier des questions trop bien posées sur ses fondements. Voir Poincaré et l'intuitionnisme.