Travail sur soi et pensée conceptuelle

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Version du 26 décembre 2007 à 15:27 par 1001nuits (Discuter | Contributions)
(diff) ← Version précédente | voir la version courante (diff) | Version suivante → (diff)

Ou comment l'introspection induit à se penser autrement

La possibilité et l'action d'introspection sur un passé personnel et la faculté de pensée conceptuelle sont deux dimensions de l'être étroitement liées, comme nous l'allons expliquer dans cet article. Ainsi, nous pensons pouvoir apporter des éléments simples et compréhensibles sur le fait qu'il existe au moins deux grandes catégories de pensée, chacune logique, et que ces catégories de pensée sont en relation étroite avec la possibilité ou non d'une introspection personnelle.

Sommaire

[modifier] Ouvrir le dossier tabou du « passé »

La plupart du temps, le passé est un dossier tabou, non seulement pour les individus mais aussi pour les entités sociales (famille, groupe d'amis, organisations, etc.). Vouloir ouvrir le passé, c'est vouloir aller plus loin que de feuilleter une collection de vagues souvenirs enregistrés en mode automatique, souvent axés sur la sauvegarde satisfaisante des belles images.

Or, le passé contient une source inépuisable d'expériences personnelles dont la plupart ne sont jamais vraiment remontées à la surface du conscient (du moins de façon complète), mais ont été refoulées. Bien entendu, la cause des refoulements réside principalement dans des douleurs passées, difficilement « gérables », notamment dans les cas de liens affectifs entre soi et les autres (parents, amis, amours, etc.). La souffrance refoulée agit en effet comme un véritable « verrou », qui donne à la conscience une vision du passé comme d'une réalité souvent incomplète, recomposée, réinventée, alors que la « vérité » du passé, plus large et plus complexe, est, elle, inconsciente.

Ce mécanisme de « verrouillage du passé » est très humain et s'explique par l'impossibilité de faire face à certains éléments du passé, pris dans leur globalité. Très souvent, des principes contradictoires basés sur l'amour et les conventions sociales verrouillent la psyché du patient.

Nous prendrons un exemple extrême : l'enfant battu. L'enfant battu sait qu'il a été battu, son passé conscient en garde la trace. Cependant, la vision globale du traumatisme est impossible en raison d'une « équation affective » impossible à résoudre, équation qui pourrait être illustrée par ce genre de pensées contradictoires :

  • je suis un enfant, j'aime mes parents ;
  • mes parents me battent de manière régulière et injustifiée implique qu'ils ne m'aiment pas ; je les déteste quand ils me battent ;
  • mes parents sont mes parents donc ils m'aiment, et d'ailleurs, ils me le disent.

Le tableau global, la synthèse n'est pas acceptable : « mes parents ne m'aiment pas ». Cette conclusion tombe dans l'inconscient et le conscient garde l'image sociale « mes parents m'aiment » et la culpabilité « comme ils m'aiment, je dois bien mériter les punitions qu'on m'inflige ». Reste une souffrance inconsciente non légitimée par le conscient : l'inconscient souffre, le conscient dit qu'il n'y a pas de problème, nie la souffrance, le patient est névrosé, littéralement dissocié en deux parties se battant l'une contre l'autre[1].

La vérité est dans ce cas bloquée dans le passé inconscient par un « verrou affectif ». Le problème des verrous affectifs est qu'ils peuvent se cumuler et que l'on peut « construire » un genre de « fausse » personnalité sur ces verrous intérieurs. Le fait qu'une partie de son propre passé soit refoulée génère un terrain fertile pour des refoulements ultérieurs. C'est pourquoi l'analyse psychanalytique dure souvent si longtemps, les verrous affectifs devant sauter dans l'ordre inverse de leur construction, ordre qui n'est, la plupart du temps, pas du tout chronologique.

[modifier] Le prix des verrous affectifs inconscients

Etudier son passé ne veut pas simplement dire exhiber les névroses d'enfance, mais aussi s'intéresser aux motivations et actions des gens qui ont peuplé notre propre passé. Jung dit d'ailleurs que la première phase de la psychanalyse peut induire chez certains patients une notion de toute puissance : ils ont l'impression de voir clair chez les autres. Bien entendu, cette clarté doit être traitée avec circonspection, car le patient est toujours potentiellement en train de projeter sur les autres ses propres motivations inconscientes. C'est pourquoi l'analyse de soi doit se pousser assez loin et dans le détail, afin de voir dans quelle mesure nous sommes ou pas dans ces mécaniques tentantes de projection, mécanismes qui se soldent souvent par des explications fausses des motivations des autres. Elles sont fausses car elles sont en réalité, les seules explications que nous pouvons imaginer à leurs actes.

Le travail sur le passé est donc un travail long qui se heurte à l'obstacle que nous voulons aborder aujourd'hui : la pensée conceptuelle. Afin de pouvoir voir son passé en face, il est nécessaire de pouvoir mettre en parallèle des faits du passé avec des faits du présents, des faits qui, même non identiques, se ressemblent par l'esprit affectif dans lequel ils se sont déroulés. Il faut donc être capable d'un double mouvement de conceptualisation et d'empathie :

  • conceptualisation des actes des autres dans son propre passé,
  • conceptualisation de ses propres actes dans son propre présent,
  • faculté de pouvoir se mettre dans le passé ou le présent à la place de chaque « autre » et de soi dans les « différents passés ».

Ainsi pour reprendre l'image de l'enfant battu, l'enfant battu devenu adulte, s'il bat ses enfants, justifiera souvent que les raclées données aujourd'hui n'ont pas la force de celles d'hier, qu'elles sont légitimes aujourd'hui alors qu'elles ne l'étaient pas hier (il ne posera pas la question du fait que ses parents disaient la même chose). Selon lui, il a tiré les leçons du passé. Or, il n'en est souvent rien. Seulement la possibilité de conceptualisation de la situation passée manque, comme celle de conceptualiser la situation présente, comme celle de se mettre à la place de ses enfants dans le présent. La lecture des choses, non conceptualisée, est devenue « primaire », plate, au premier degré. Les actes du passé sont différents des actes du présent ; les personnes aussi ; tout cela « n'a rien à voir ».

De fait, le passé refoulé, verrouillé par des verrous affectifs, cause divers dommages graves dans la psyché de la personne, surtout dans les cas où le refoulement date de l'enfance :

  • il a abîmé la faculté de conceptualiser dans le présent et le futur,
  • il a endommagé l'empathie véritable et favorisé le mécanisme de projection.

Ainsi, ce type de névroses (le plus souvent infantile) a pour conséquences de favoriser une lecture du monde au premier degré (du genre « mes coups ne sont pas ceux de mes parents ») et de remplacer l'empathie par la projection (et en fait de favoriser le fait que les gens projettent leurs travers inconscients sur les autres et leur attribuent des motivations qu'ils n'ont pas). Le monde est donc lu au premier degré, et il se compose de phénomènes inconciliables (souvent dits comme « impensables », sauf qu'il s'agit ici du sens strict du terme !) et de personnes aux motivations mauvaises.

Bien sûr, les personnes bloquées dans ces positionnements ont toutes les peines du monde à entamer une analyse tant le type de pensée qui leur est demandé (la pensée conceptuelle) est inhabituel. Ils ont l'impression qu'on leur demande de grouper des faits sans rapport et sans cohérence, et donc soupçonnent rapidement leur analyste d'être habité de ces motivations mauvaises qu'ils voient chez la plupart des autres. Les chances que ces personnes abandonnent la seule aide dont ils pourraient bénéficier sont toujours très grandes. En cas d'abandon, la maturité de ces personnes est verrouillée à l'âge même de l'apparition de leur névrose infantile.

Ce type de névroses, notamment lorsqu'elles ont germé dans l'enfance, peut faire naître une vision décalée du monde chez l'adulte et bloquer définitivement sa capacité à mûrir et à évoluer. Les personnes atteintes de cette pathologie peuvent facilement tomber dans des travers agressifs, paranoïaques ou mégalomaniaques. Leur pensée manque de profondeur, de rigueur, reste à la surface des choses et demeure emprunte de projections diverses des mauvais côtés d'eux-mêmes sur les autres. Leur monde est souvent très négatif et très compliqué.

[modifier] Le référentiel parental

Les personnes ayant fait un travail sur elles-mêmes ont été, de manière obligatoire, confrontées à l'usage de la pensée conceptuelle sur eux-mêmes, notamment au travers de l'étape de la sortie du « référentiel parental ».

En effet, l'un des but de l'analyse de son propre passé est sa propre émancipation psychologique (individuation disait Jung). Or cette dernière passe obligatoirement par la sortie du référentiel parental. Trouver sa voie, c'est sortir du référentiel parental, c'est-à-dire n'être plus :

  • ni en adhésion quant au modèle parental (position souvent infantile),
  • ni en réaction antinomique contre le modèle parental (position souvent adolescente[2]).

Si l'on reste dans l'une de ces positions polarisées à l'âge adulte, on reste dans un état de dépendance psychologique importante envers les « parents intérieurs », complexes de notre psyché qui jugent et critiquent nos actions, souvent avant même que nous ne les fassions (que les parents soient vivants ou morts ne change rien, bien entendu). Le référentiel parental nous place éternellement dans la position de « l'enfant qui doit rendre des comptes à ses parents ». Si nous sommes dans un « complexe positif » face au référentiel parental, nous sommes souvent en train de faire « ce qui plairait à nos parents », et si nous sommes dans un complexe négatif face au référentiel parental, nous sommes en train de faire « ce qui déplairait à nos parents »[3].

Le passage hors du référentiel parental est une étape majeure de la psychanalyse car elle permet de penser « je » sans penser au plaisir ou au déplaisir supposé de nos « parents intérieurs ». L'individuation donne ce droit d'exister hors du référentiel polarisé des parents.

Etrangement, les personnes qui ont le plus de mal à sortir du référentiel parental sont souvent celles qui se sont opposées à leurs parents, car elles voient dans cette opposition une « émancipation », ce qui est la plupart du temps faux, car elles n'entretiennent qu'un complexe négatif face au référentiel parental. Il faut donc qu'elles parviennent à saisir ce référentiel intellectuellement afin de pouvoir imaginer de se comporter hors de ce dernier, soit seulement envers elles-mêmes.

Pour cela, elles nécessitent de se mettre à la place de leurs propres parents envers leurs propres grands-parents et de rejouer les scènes et les choix de leurs parents à eux. La personne sur la voie de l'individuation est donc obligée de travailler une pensée conceptuelle afin de parvenir à tirer du signifiant des situations diverses du passé[4] qui, sans ce type de pensée, sont des faits phénoménologiquement distincts.

[modifier] Deux niveaux de pensée

On le voit donc, deux niveaux de pensée fondamentalement différents existent selon que l'on a ou pas travaillé sur soi. Bien entendu, des personnes naissent avec la possibilité immédiate d'user de la pensée conceptuelle sur soi-même. Si la plupart l'apprennent à l'école, la majorité des gens doivent faire un effort durant le début du travail sur soi pour arriver à faire de « soi » l'objet de ce type de pensée.

Ces deux niveaux de pensée[5] expliquent, sans juger, que des personnes parviennent à voir « plus haut » que les autres et que, si tout le monde est persuadé de savoir ce qui se passe dans l'esprit des autres, seuls certains le savent vraiment (différence entre empathie et projection).

[modifier] Conclusion

Ces éléments psychologiques pourront permettre de comprendre pourquoi certains écrits de certaines personnes peuvent être abusivement violents, pamphlétaires ou schématiques, peut-être parce que leur pensée est du « premier ordre » au lieu d'être du « second ». On comprendra que la non résolution des névroses infantiles de certaines personnes affecte de manière grave leur « lecture » du monde et d'eux-mêmes.

On pourra comprendre que les personnes se réalisant du « premier ordre » (et ne le sommes-nous pas toutes un peu ?) entreprennent de travailler sur elles-mêmes afin d'arriver à une vision plus « verticale » et donc plus fine, plus nuancée, plus « vraie » aussi.

On comprendra ensuite que l'enseignement intellectuel ne suffit pas et que si fort soit l'intellect de certains, il ne peut compenser la maturité que d'autres auront acquise en travaillant sur eux-mêmes - car il y a là l'apprentissage d'une autre façon de se penser.

Enfin, on pourra apporter des éléments de compréhension au fait que des pays comme la France ont toujours eu un peu de mal avec la psychologie : parce qu'elle est finalement, assez voisine de ce que l'on dit dans certaines doctrines ésotériques, elles aussi très tabou.

[modifier] Notes

  1. Ces combats prennent une énergie intérieure souvent colossale, induisant pour le patient des problèmes dans la vie quotidienne (fatigue, indolence, manque de motivation à faire les choses, etc.).
  2. Voir L'éternelle adolescence.
  3. On notera que beaucoup d'acteurs de la société ont une relation à « la société » comme à leurs propres parents ; ils sont souvent ou dans une adhésion sociale stricte, ou dans un refus social très caricatural.
  4. L'identification des archétypes junguien en soit requiert aussi cette pensée conceptuelle
  5. Il se peut qu'il y en ait bien plus de deux naturellement.