Baby boom et génération névrose

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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La génération du baby boom a laissé dans les générations suivantes des marques dont l'importance est tout bonnement colossale. Véritable génération charnière, ses préoccupations ont forgé l'inconscient collectif français de valeurs qui, encore aujourd'hui, pilotent les individus et le débat public. Pourtant, le monde a changé depuis 1950, ce qui fait que les générations suivantes se retrouvent pressés d'avoir comme repères des modèles aujourd'hui inapplicables et périmés.

Sommaire

La génération du baby boom

Pour les internautes de moins de quarante ans, la génération baby boom, génération de quinquagénaires ou jeune sexagénaires est celle soit des parents, soit des grands parents. Cette génération est en ce moment aux commandes de la France, des grandes entreprises publiques ou privées, de la politique nationale ou territoriale, et laisse peu de place aux jeunes arrivants[1]. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de place pour les jeunes ; cela veut dire que, dans les structures sociales influentes actuelles, la génération largement dominante est celle du baby boom.

Cette génération n'a pas les mêmes problèmes que celles qui les suivirent, ni que celles qui la précédèrent. La raison en est simple : la génération du baby boom français est une génération charnière, qui est passée du milieu paysan, né dans la terre, le milieux des années 45-55, au milieu urbain.

Pour cette génération, la terre n'était pas le devenir souhaitable. Il fallait progresser socialement. L'ascenseur social était la seule voie crédible du développement personnel. Cette projection du bonheur personnel dans le confort apporté par une «société des villes» est très important à comprendre[2]. Pour sortir des campagnes, il fallait travailler, aller à la ville, grimper dans la hiérarchie, sortir de l'anonymat, gagner cette reconnaissance sociale en faisant si possible des études.

Pour la génération baby boom, l'ascension sociale était un genre de revanche sur la vie, une revanche sur des parents non éduqués qui, souvent, n'avaient pas été à l'école et avaient trimé toute leur vie pour payer de maigres études à leurs enfants s'ils l'avaient pu. C'était aussi une génération de combats pour le droit du travail, une génération où le communisme s'affrontait au capitalisme familial français d'obédience catholique, un monde plein d'icônes, un monde plein de valeurs sociales. Il fallait reconstruire la France avec cette génération.

Le maître mot de la génération baby boom est : réussite sociale.

La valorisation sociale

Les jeunes générations (ceux qui ont en gros aujourd'hui moins de 40 ans) ont du mal à comprendre la génération baby boom pour la simple raison qu'ils sont nés après, que leurs parents baby boomers avaient déjà grimpé quelques échelles sociales et étaient tous des gens qui, en un sens, avaient commencé à sortir de la terre - même si cette sortie avait été l'usine.

D'une certaine façon, la génération des baby boomers est incompréhensible pour qui est déjà né dans une société qui, au final n'a pas beaucoup changé depuis les années 70. Les baby boomers très vite ont grimpé dans la société, très vite sont allés dans les villes et ils ont fait des enfants qui n'ont jamais connu la «campagne» que pendant les vacances.

En ce sens, les enfants des baby boomers ont connu, enfants, un monde très voisin de celui que connaissent leurs enfants aujourd'hui, tandis que la génération des baby boomers avaient eu une enfance en milieu agricole.

Il y a donc un problème fondamental de rupture de l'inconscient collectif : les baby boomers, en un sens, sont encore en train d'évoluer dans un monde psychologique rural, encore en train de vouloir se prouver des choses, encore en train de rechercher une reconnaissance sociale. La pathologie du baby boomer est d'être resté bloqué dans le monde psychologique des années 50.

Ces derniers n'ont pas réalisé que leurs enfants n'avaient pas connu le même type d'enfance qu'eux-mêmes et donc que pour eux, les problèmes n'étaient pas de la même nature.

Les moins de quarante ans : des générations ressemblantes

De fait, les moins de quarante ans (au sens large bien sûr[3]) forment un groupe social plus homogène qu'avant la génération baby boom, elle-même en rupture par rapport aux générations à dominante agricoles d'avant.

Car, pour qui est né en 1968, le monde n'a finalement pas tellement changé aujourd'hui : toutes les familles ont une voiture et une télévision - ce qui n'était bien entendu pas le cas avec les baby boomers. Si la technologie a évolué, les principes de vie en société dans les grandes villes dans les années 70 n'ont pas tellement changé depuis trente ans[4].

Les moins de quarante ans ont réagi de manière très diverses aux pressions venant des générations de baby boomers. Nous allons détailler quelques unes de ces réactions et voir, schématiquement, qu'elles recouvrent des segments entiers de la population française[5], comme si cette rupture psychologique avait créé de véritables archétypes sociaux français.

L'incident 68

Je ne traiterai pas longuement de 1968 qui est un incident aux conséquences importantes pour l'histoire des idées, notamment en France, et que les historiens à naître traiteront de manière plus nuancée qu'il est possible de le faire aujourd'hui, alors que les acteurs de l'histoire sont toujours vivants.

Il faut noter que 1968 est une étape significative, mais non représentative. Significative, car elle démontre le malaise de la génération des baby boomers qui veulent sortir de cette domination des valeurs terriennes et évoluer vers un autre système de valeurs. L'inconscient collectif français depuis 1789 ayant toujours valorisé les «révolutions», le climat communiste de l'époque favorise l'éclosion de révoltes. Sont visés les bastions moraux de l'époque : sexualité, liberté, habillement, interdiction des drogues, etc. Ce sursaut est annonciateur d'un malaise : le monde a changé, il n'est plus exclusivement rural, mais on voudrait le refonder sans trop savoir comment. Le résultat sera catastrophique lorsque, une décennie plus tard, la génération baby boom portera Mitterrand au pouvoir et troquera son combat dans les rues pour une [culture des bonnes intentions->514]. La génération baby boom, en 1981, a la trentaine et rêve de sécurité sociale (au sens propre).

Il ne faut pas accorder à 1968 trop de crédit, du moins pas à l'événement lui-même, car la génération baby boom ne semble pas s'être majoritairement reconnue dans les débordements, voire les revendications. De plus, une bonne partie de ceux qui ont fait 68 sont ensuite rentrés dans les institutions classiques, privées ou publiques. Seuls les intellectuels semblent s'être bercés d'illusions durables et semblent avoir tenté de construire des idées sur le sable mouvant des utopies d'alors.

La génération baby boom reste comme elle a été formée, sur les bancs de l'école Jules Ferry, conditionnée, «obligée» à réussir socialement. Elle fera de grandes choses - et elle en fait encore - mais elle a oublié de prendre du temps pour s'intéresser aux générations suivantes. La réussite sociale a tout consommé : elle laisse derrière elle des générations de pères absents et de mères frustrées, se rabattant avec avidité sur leurs petits enfants.

Les réactions de la génération 65-75

La pression de la génération 45-55 est immense, à la fois dans l'axe conformiste, plutôt traditionnel, moral et socialement correct, et dans l'axe révolutionnaire, communiste et collectiviste, revendicateur. Quoiqu'on en dise, les deux démarches se ressemblent sur le principe : la société est le centre de tout, notamment, et c'est extrêmement important, la société est la condition du bonheur personnel par l'argent (pour la droite) et du bonheur personnel par le collectif (pour la gauche)[6].

Les réactions de la génération 65-75 sont de diverses natures. Si le communisme avait été le moyen d'«être rebelle» pour la génération du baby boom, la génération suivante a trouvé d'autres voies. A l'instar de toutes les prises de positions d'avant, la génération 65-75 restera profondément marquée par ses pairs par le sujet de la société. La société, toujours la société, sera au centre de tous les débats, la société et jamais l'individu. On use des mots de «tous» , «aucun», et cette obsession de l'égalité sociale donne une intolérance structurelle à tout ce qui est différent[7].

Les clones psychologiques de la génération baby boom

On trouvera donc dans cette génération une bonne proportion d'éléments qui ont psychologiquement suivi la voie de leurs pairs : des travailleurs en recherche d'une reconnaissance sociale. Ces derniers ont, finalement, gardé l'esprit paysan de leurs grands-parents, les parents de la génération baby boom : pour eux, l'image sociale est importante, les biens matériels sont bons car ils représentent un genre de confort et corroborent l'aisance sociale. La religion est largement abandonnée mais les simagrées sociales restent, prenant de plus en plus l'allure de rites désuets. Le côté professionnel développe ses propres chimères et ses propres échelles de valeurs. Il faut faire mieux que nos pairs, on rêve alors de «carrières internationales».

Quoiqu'on puisse en penser, il s'agit véritablement de la même pulsion sociale que la génération précédente : le bonheur est dans la société, comme le disaient les baby boomers, comme le disaient les parents de la génération 65-75.

Oui, mais la société a changé et est devenue plus dure. Parce que la France est reconstruite et donc le plein emploi est parti. La génération des 30-40 ans d'aujourd'hui s'est donc vite aperçue que la réussite sociale avait un coût, notamment en termes personnels, et que le modèle des baby boomers n'était peut-être pas aussi facilement applicable que cela de nos jours.

Cette génération accumula donc des contraintes contraires : réussir socialement, sans le plein emploi, sans religion et avec une confiance politique presque nulle, venue de la déception de l'ère mitterrandienne - encore une fois, la déception de leurs parents baby boomers.

Cela explique le fait que la génération des 30-40 soit donc structurellement névrosée, divisée entre un modèle des pairs (faits de schémas de pensée très standardisés) et une réalité toute différente. On a beau faire ce qu'on peut, on ne peut prendre des pairs pour modèle et user d'une autre représentation du monde. Le conflit de la réalité et de la tradition produit un choc psychologique grave : défiance, désespoir, perplexité, angoisse, désarroi, etc.

Les rebelles de la génération 65-75

Les rebelles de cette génération ne pouvaient pas véritablement croire en un «autre monde». 1968 n'avait rien donné de très différent ; l'engagement politique était mort. Restait l'engagement associatif, fait de séries de désillusions sur la nécessité d'avoir une manne financière et de mendier son budget à l'Etat, tout en rêvant à tout ce qu'il aurait été possible de faire si le monde avait été «autre».

On trouve dans ces rebelles trentenaires, les [éternels adolescents->253], les [artistes autoproclamés->292], les [intellectuels non crédibles->755], etc. Un trait commun de ces générations révoltées est d'être anti-tout, de ne croire en rien et d'avoir fait un credo que celui de «combattre», souvent, en fait, au travers de combats vides avec des mots vides. Ces personnes sont en lutte contre une société qui n'a pas apporté la promesse faite par leurs pairs, soit la promesse faite par la génération des baby boomers.

La société, après avoir été la source de tous les espoirs, est devenue la source de tous les maux. Si certains s'épanouissent plus ou moins dans le fait de cloner psychologiquement la génération baby boom, les «rebelles» se sont positionnés dans un décalcomanie en négatif de la psychologie baby boom. Bien entendu, ils sont restés dans le même référentiel : celui de la toute puissante société. On attend son bonheur de la société, on est déçu de la société qui est donc bonne à jeter aux orties, tout est noir, il n'y a pas d'espoir.

Quelque part, ces «rebelles» n'ayant plus rien à prouver, ces petits bourgeois persuadés d'être des Voltaire ou des Montaigne et de faire frissonner le pouvoir sur ses pieds, exposent, au travers de leur positionnement social, l'archétype éternel de la lutte des enfants contre leurs parents.

Les rebelles ont toujours été des enfants en plein Œdipe ! Comme le collectif de leurs parents parlait la même langue, celle de l'idéal social, ils se sont révoltés tous dans les mêmes sens, avec les mêmes valeurs... sociales. La société ! L'approche n'a pas changé, au final. Les courants artistiques sont socialement corrects ou ils critiquent la société, les intellectuels adhèrent ou refusent la société, etc. Peu de gens pour légitimer le fait de se poser des questions sur soi.

Même des branches entières de la psychologie, ouvertes à l'individu dans les années 60, sont impitoyablement redirigées vers la psychologie d'entreprise orientée performance, vers la psychologie à l'école orientée performance, vers l'accomplissement personnel orienté réussite sociale !

Une constante, par conséquent, chez tous les gens de cette génération : tous ont une [opinion sur la société->266], la société semble être le centre de leur vie. Ils ne pensent pas personnel, mais collectif.

30-40 ans, voilà la «génération névrose», névrose aggravée par le discours militant, conditionné, réducteur et obtus, décalé, hors sujet, de parents toujours restés dans les années 50 : soit on s'est accompli socialement, soit on est un raté. La génération névrose est une génération de ratés.

Ceux qui avaient un grand affect positif par rapport à leurs parents ont suivi leurs traces mais sans la motivation de leurs aînés, et les autres ont subi de graves dépressions, contribuant à créer un climat nihiliste ambiant durable duquel sont sortis des courants très revendicatifs et assez négatifs comme l'alter mondialisme. Là encore, alter monde fait penser à communisme. Le courant révolutionnaire attire encore les pseudo rebelles. On ne sort pas comme on le souhaite des influences de ses pairs baby boomers.

Etat actuel de notre société

Nous en sommes là, plus complètement dans l'esprit des années 50, mais tout de même, englués dans le référentiel des années 50. Voilà pourquoi nos intellectuels baby boomers commencent à faiblir et à dire des bêtises. Voilà pourquoi nos syndicats sont dans les choux. Voilà pourquoi notre économie est perplexe, tout comme nos services publics. Voilà pourquoi la Vielle France en est encore à se souvenir de De Gaulle, la larme à l'œil.

En un sens, la génération baby boom a cristallisé les désirs sociaux les plus intenses des générations d'avant elles. En un sens, ce sont ces pressions qui s'exercent encore sur la société et qui expliquent des divergences que l'on voit aujourd'hui, les combats atroces entre gens se détestant franchement alors qu'ils disent la même chose. La génération baby boom est la dernière génération à l'esprit relativement homogène et très centré sur les valeurs de la terre, du bonheur par le travail et par la réussite sociale. Ces objectifs louables sont devenus au cours du temps de véritables façons de se «faire mal» et de faire mal aux autres. La génération baby boom, en poursuivant de manière masochiste ses objectifs, est devenue un peu sadique avec les générations suivantes[8].

Les générations suivantes, notamment 85-95[9], sont désormais sous l'influence d'une double chape de plomb : -- la génération des anciens, baby boomers complètement rongés par des désirs sociaux qui, finalement, se sont avérés peu riches en bonheur personnel, -- la «génération névrose» qui prend la suite[10] et qui paraît se débattre dans les affres de l'incertitude psychologique.

Ces deux générations luttent entre elles, l'une traitant l'autre de feignante (car les moins de quarante ans sont moins enclins à sacrifier leur famille pour la réussite professionnelle), l'autre traitant la première de dépassée et de frileuse.

Dans ce conflit permanent, combien de combats sont périmés, à côté de la réalité du monde ? Combien de représentations vieilles de plus d'un demi-siècle trouve-t-on partout ? Combien de tabous ont été créés par les uns et les autres pour refouler des vies passées au service de la société sans rien obtenir d'autre que du confort ? Combien de rancœur à forcer les autres à faire les mêmes erreurs que soi alors que l'on sait que son modèle n'a pas marché ? Combien d'entre nous vivent encore psychologiquement dans l'esprit des années 50 ? Qui pense à la génération adolescente actuelle qui s'imbibe du message de noirceur et de violence de la «génération névrose» et développe une peur structurelle du monde, de la société, de ses pairs et surtout, ô horreur, de soi ?

Etre soi, c'est aussi prendre conscience de ce qui, en soi-même, n'est pas soi. La plupart d'entre nous portons les boulets psychologiques des générations du passé, souffrons du poids de ces boulets pour les retransmettre à nos descendants.

Comment pouvons-nous, après cela, nous gargariser de notre intelligence et de notre finesse d'analyse ? Nous ferions mieux de penser à ne pas léguer un trop lourd fardeau à nos enfants.

Notes

  1. On pourrait ironiser sur le fait que des générations antérieures à celle du baby boom soient encore en poste jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat.
  2. Jadis comme aujourd'hui, l'individu n'est finalement que peu au centre des préoccupations des individus eux-mêmes.
  3. Il est difficile de parler de la génération 55-65 très intermédiaire entre les deux tendances de la génération baby boom d'avant et de la génération 65-75 qui elle est déjà installée dans une société très similaire à la nôtre.
  4. cela ne veut pas dire que la génération 65-75 ne doive pas faire des efforts pour s'adapter aux générations nouvelles, loin de là, ni que ces dernières n'ont pas de spécificités. Mais le saut entre la génération du baby boom et la suivante est plus grand qu'entre celle de 65-75 et celle de 85-95.
  5. Je m'attends d'ailleurs à être taxé de «simpliste» dans mon approche.
  6. Cette simplification n'est pas si éloignée de la réalité.
  7. A force de trop [penser universel->146], on en finit par devenir intolérant.
  8. On pourra en avoir un exemple avec l'article sur le [management à la française->258].
  9. Là encore la génération 75-85 semble être une génération intermédiaire, entre deux eaux, empruntant soit à celle d'avant, soit préfigurant celle d'après.
  10. Et qui envisage ses enfants comme des [enfants rois->117] par exemple. De la même façon, les problèmes de ces derniers seront d'un autre type encore.