A propos d'Edgar Morin

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Cet article se propose d'étudier brièvement la pensée d'Edgar Morin, philosophe contemporain très proche des sciences, qui au travers d'une image rigoureuse et tolérante, est le symbole d'une certaine philosophie occidentale, faite en apparence d'une volonté de tempérance. Derrière cette apparence très modérée, les messages véhiculés par Edgar Morin sont pernicieux à plus d'un titre, dans la mesure où, nous allons le voir, ils colportent bon nombre de confusions et de lieux communs du monde occidental moderne. A ce titre, la pensée elle-même d'Edgar Morin nous semble une pensée philosophique extrêmement limitée qui bloque, comme sait si bien le faire le monde scientifique, les possibilités d'un accès à un savoir plus profond. Cet article se propose d'étudier brièvement la pensée d'Edgar Morin, philosophe contemporain très proche des sciences, qui au travers d'une image rigoureuse et tolérante, est le symbole d'une certaine philosophie occidentale, faite en apparence d'une volonté de tempérance. Derrière cette apparence très modérée, les messages véhiculés par Edgar Morin sont pernicieux à plus d'un titre, dans la mesure où, nous allons le voir, ils colportent bon nombre de confusions et de lieux communs du monde occidental moderne. A ce titre, la pensée elle-même d'Edgar Morin nous semble une pensée philosophique extrêmement limitée qui bloque, comme sait si bien le faire le monde scientifique, les possibilités d'un accès à un savoir plus profond.

Version du 31 juillet 2009 à 06:35

Sommaire

Introduction

Cet article se propose d'étudier brièvement la pensée d'Edgar Morin, philosophe contemporain très proche des sciences, qui au travers d'une image rigoureuse et tolérante, est le symbole d'une certaine philosophie occidentale, faite en apparence d'une volonté de tempérance. Derrière cette apparence très modérée, les messages véhiculés par Edgar Morin sont pernicieux à plus d'un titre, dans la mesure où, nous allons le voir, ils colportent bon nombre de confusions et de lieux communs du monde occidental moderne. A ce titre, la pensée elle-même d'Edgar Morin nous semble une pensée philosophique extrêmement limitée qui bloque, comme sait si bien le faire le monde scientifique, les possibilités d'un accès à un savoir plus profond.

Un homme de son temps

Edgar Morin est un homme du XXème siècle[1]. Il est à l'image d'une génération qui plaça une foi déraisonnable en des mythes politiques et philosophiques, lesquels mythes furent promptement abattus par les décennies suivantes, excepté le mélange de foi et de prosélytisme qui caractérise encore aujourd'hui le scientisme et les méthodes universitaires.

Edgar Morin a gardé du XXème siècle une vénération sans borne pour la science, science qui, au travers de sa rencontre avec Jacques Monod, fonde les prémisses de sa théorie de sa "pensée complexe". Comme nous allons le voir, la "pensée complexe" se drape des atours de la complexité sans pourtant en effleurer la surface. Ceci explique que la pensée d'Edgar Morin laisse le plus souvent les lecteurs sur leur faim.

La complexité à contresens

Un problème de principe

La première chose à dire en ce qui concerne la vue moriniste de la complexité est que le concept est envisagé comme un concept méta, c'est-à-dire qu'il est, pour Edgar Morin, à la fois un a priori de la description du monde et un aboutissement, car ce concept est applicable à toute science, ceci incluant la philosophie.

Il est nécessaire de rapprocher cette façon formelle de voir aux dérives scientistes du début du XXème siècle, dérives dans lesquelles la biologie servait à expliquer les traits de la société moderne[2]. Nous trouvons chez Morin cette même recherche d'un principe unique dont il fait un aboutissement sans pour autant réaliser qu'il n'est qu'un constat, qu'un point de départ. C'est en ce sens que nous dirons que cette pensée possède sa conclusion dans son hypothèse ou bien qu'elle fait du "sur place".

Une trop grande abstraction

Le problème n'est bien entendu pas de réaliser ou pas que le monde est complexe, le problème est de construire un concept qui permette d'abstraire cette complexité au point d'en faire une complexité si générique qu'elle ne signifie plus rien en elle-même[3].

Si nous comparions avec le structuralisme, courant que pourtant nous n'apprécions guère, nous trouverions chez les structuralistes une certaine idée de structures sous-jacentes différentes selon les types de problématiques étudiées. Or l'essence de théorie morienne est contenue dans cette seule gigantesque abstraction vide de sens qu'est la "pensée complexe".

Une infatuation de l'ego

Nous ne serons pas sans pointer du doigt l'ego nécessaire pour oser s'attribuer la paternité d'un concept tel que la "pensée complexe", comme si la pensée des intellectuels avant Morin avait été "simpliste". Nous ne pouvons que nous interroger sur un tel toupet qui vient obligatoirement d'un jugement de valeurs très négatif de Morin sur ses compatriotes du présent comme du passé. Oui, penser est complexe, et il suffit de lire Aristote ou Kant pour se rendre compte que la pensée complexe ne date pas d'aujourd'hui.

Nous nous devons donc de supposer que cette pensée complexe, témoignage d'un indéniable ego infatué, ne peut avoir germé en tant que concept que face à une certaine classe de gens dont les pensées seraient inférieures a priori, le commun des hommes par exemple, incapable de saisir les complexités de la science ou de la philosophie, les médias dans un autre domaine et leur prédilection pour les messages simplistes et efficaces, où encore les politiques dont le goût pour la logique binaire nous est bien connu.

Il y a pourtant d'autres choses, dans cette pensée complexe, autres choses que nous allons maintenant découvrir dans certaines de ses incarnations.

La pensée complexe : une méthode simpliste

Une pensée analytique à l'extrême

La "pensée complexe" est naturellement - naturellement car c'est le credo même de toute la recherche universitaire - une pensée analytique, mais poussé à un point très étonnant de simplicité doctrinale. Nous allons nous tenter à un petit exercice un peu cruel, mais qui pourrait montrer en quelques points ce que c'est d'adopter une "pensée complexe" :

  • Etape numéro 1 : divisez chaque grand problème en une série de petits. Cette division est très facile dans la mesure où tout problème humain de grande envergure peut se décliner en des questions philosophiques, scientifiques, sociologiques, politiques, etc.
  • Etape numéro 2 : prenez problème par problème et établissez une liste thèse-antithèse[4]. Ce niveau est celui où, ne connaissant pas le sujet, vous pouvez recycler tous les points de vues de vos contemporains, quels que soient leurs opinions. Vous ne pouvez faire la synthèse à ce niveau car vous avez divisé le problème.
  • Etape numéro 3 : remarquez que les sujets que vous avez divisés sont "inter-connectés" les uns avec les autres et notez que le problème est complexe à synthétiser. Vous ne pourrez de toutes façons pas connecter les divers sujets, comme nous allons y revenir un peu plus tard (cf. La quête du Graal).
  • Etape numéro 4 : concluez que la synthèse est très complexe à faire et donc qu'il faut que la recherche dans la "pensée complexe" se poursuive à tous prix. Vous avez gagné.

Notez que cette méthode s'applique virtuellement à tous les "problèmes"[5].

Une thèse-antithèse-synthèse sans la synthèse

Plus sérieusement, la "pensée complexe" est un leurre rhétorique, une thèse-antithèse-synthèse sans la synthèse, un retour arrière basé sur des fantasmes que nous allons détailler. Loin d'être une avancée, elle est une régression dans la mesure où :

  • elle ne structure pas la pensée mais met sur le même plan les plus arbitraires divisions analytiques des sujets étudiés ;
  • la manière de diviser le problème est un acte de foi dans la légitimité de la déclinaison sur des sciences universitaires connues et balisées ;
  • elle donne l'occasion de recaser les argumentaires les plus éculés des pour et des contre, de tous ceux qui se sont exprimés sur une subdivision du problème analysé ;
  • elle est une occasion de montrer une "culture" personnelle portant sur de nombreux champs de la science ;
  • elle permet de donner l'illusion de se questionner elle-même en remettant en cause le découpage analytique lui-même, ainsi elle donne lieu à une réflexion théorique sur la manière d'aborder le problème ;
  • elle tourne vite au catalogue de lieux communs ou au bavardage méthodologique ;
  • au mieux, elle prône une recherche supplémentaire pour parvenir à une synthèse hypothétique, tout en refusant de se prononcer en invoquant l'avenir.

La "pensée complexe" est donc une pure rhétorique insipide, qui se targue des apparats de la science moderne et du sérieux de la démarche analytique qui la caractérise.

Véhiculer des lieux communs

Lorsqu'un philosophe aborde un sujet, son plus grand ennemi est lui-même, notamment au travers de deux dimensions dont Freud et Jung ont longuement discuté :

  • le fait que son passé personnel ne soit pas représentatif de celui de tous les hommes et donc que le philosophe ne puisse pas connaître ce que connaisse tous les hommes (ni même l'imaginer ou se le représenter), et donc qu'il soit dans l'obligation de tempérer ses ardeurs systémiques ;
  • le fait que notre esprit soit si empli de poncifs et de lieux-communs que les raisonnements automatiques qu'ils provoquent vont souvent, même si l'on y porte attention, jusqu'à s'immiscer dans la plus petite réflexion que nous penserions comme personnelle alors qu'elle ne l'est pas.

Nous ne trouverons point de préoccupations de ce type dans la "pensée complexe" qui, favorisant la collection analytique au discernement, pense "découvrir" le discernement au bout de longues décennies de recherches[6].

La "pensée complexe" est donc le vecteur rêvé pour brasser encore et encore des raisonnements parcellaires binaires, des références bibliographiques de toutes disciplines, dans un exercice de verbiage sans profondeur. Cette pensée est l'occasion rêvée de redire encore et encore les grands poncifs parmi lesquels "tout est dans tout", ou "tout est connecté" ou encore "les choses sont complexes".

Une pensée partisane du non-penser

La "pensée complexe" est donc :

  • une pensée partisane, entièrement dévouée au culte des méthodes universitaires ;
  • une pensée du non-penser, stérile par construction même de sa méthode de prédilection.

Voilà donc pourquoi la pensée d'Edgar Morin nous laisse sur notre faim : parce que nous ne savons rien de plus après qu'avant sinon que le problème est complexe et qu'il ne faut surtout pas conclure.

La quête du Graal

Comme toute pensée d'obédience scientifique, la "pensée complexe" a des mythes en lesquels elle croit, au point de réserver son jugement pour le jour où le Graal sera trouvé : ce jour où les sciences seront synthétisées en une seule science de la complexité. Comme certains ésotéristes à la fin du XIXème siècle qui voulaient synthétiser la science, la religion et la philosophie, le rêve de la science unique qui explique tout est un rêve totalitaire au sens strict, en ce que la science est une représentation et ne peut donc être unique. En attendant, la "pensée complexe" use d'une méthode désespérément analytique en attendant le "Messie de la Complexité". Morin apparaîtrait donc, dans cette épopée mythique, comme un "prophète"... Ego, quand tu nous tiens.

Nous attribuerons cet espoir déraisonnable à une confusion de l'épistémologie avec l'histoire de l'art dans laquelle il fut certaines époques où les divers domaines artistiques se fertilisaient mutuellement. Mais les penseurs ne sont pas des artistes, même s'ils rêvent parfois, naïvement, qu'ils en sont.

Une pensée archétypale de la pensée démocratique moderne

Comme toute pensée tautologique, la pensée de Morin part et arrive au même point dans une désespérante débauche bibliographique stérile. Nous noterons, pour conclure, les vertus absolument extraordinaires de cette "pensée complexe". En permettant d'exposer l'avis de tout le monde et de ne pas se déclarer outillé pour synthétiser, Edgar Morin est l'inventeur d'une pensée merveilleusement démocratique qui ne donne ni tort ni raison. Ce dernier a, en effet, réussi le tour de force de faire de sa pensée un objet parfaitement compatible avec les milieux sociaux les plus divers, les institutions les plus diverses qui peuvent lui savoir gré de parler de tout sans provoquer de heurts. Sans synthèse, pas d'avis et donc pas de parti-pris, hormis celui de la défense des méthodes universitaires.

Il est temps pour nous de lui proposer un slogan marketing à sa mesure, lui le prophète neutre de la complexité de surface : "pensez complexe, vous ne fâcherez personne et vous satisferez tout le monde". Encore un bel exemple de progrès dans la pensée occidentale !

Étude de cas - L'éducation vue par Edgar Morin

Cette analyse prend pour base les textes d'Edgar Morin que l'on pourra trouver .

Introduction

La démarche d'Edgar Morin est prétentieuse à plus d'un titre, et en cela, elle témoigne du certain état d'esprit d'une certaine génération. Morin ne se pose pas la question de savoir s'il est habilité à recenser exhaustivement les grands principes qui seront nécessaires à l'éducation du futur. Dans cette tâche qu'il entreprend, une fois encore, nous voyons un ego surdimensionné. Même les plus illustres philosophes ne se seraient pas risqué à un tel exercice qui est forcément :

  • daté, dans la mesure où les principes sont imaginés à un certain moment pour "le futur" ;
  • assimilable au plus misérable des exercices de propagande dans la mesure où il est porté par un organisme officiel.

Ainsi, formellement, l'exercice de Morin, au delà du fait d'être un message publicitaire pour la vente de ses livres, est un exercice anti-philosophique puisque qu'il est récupéré par une organisation représentant la bien-pensance politique.

Concernant le premier point, demandons-nous si nos enfants ou nous petits-enfants verront dans ces textes de Morin autre chose que le témoignage d'un ego qui pensait pourvoir maîtriser le futur. Cette obsession est d'ailleurs l'obsession complète de la génération des baby boomers[7].

Mais entrons dans le vif du sujet et dans les recommandations de Morin sur la manière d'éduquer les enfants dans "le futur".

Un scientisme de forcené

Dès le début, le ton est donné : nous sommes dans le monde analytique cher à Morin. D'un côté la vérité, de l'autre l'erreur et l'illusion qui "parasitent l'esprit humain". Cette division très binaire cache la complexité de la recherche de la vérité et, pis, elle postule que la vérité est objective ou scientifique quand elle apparaît. Nous sommes donc, de la manière même de penser de Morin, en plein monde athée et scientiste, dans un mode de fonctionnement de la pensée qui exclut d'emblée toute autre façon de voir le monde.

"Quand nous considérons le passé, y compris récent, nous avons le sentiment qu’il a subi l’emprise d’innombrables erreurs et illusions." Cette phrase est le témoignage caricatural des habitudes d'une génération qui, du haut de ses hauteurs scientifiquement prétentieuses, ne cesse de juger le passé à l'aune de ses propres critères moraux. C'est aussi une façon d'entrer en matière doucement sur la religion du progrès. Le passé est un tombereau empli d'erreurs ; le présent est mieux et nous semons les graines pour que le futur soit parfait.

L'introduction de cette partie cite Marx et Engels mais étrangement, elle passe sous silence Freud qui représente beaucoup mieux la découverte des erreurs de jugement sur soi, sur les autres et sur le monde que les deux idéologues précités. Même dans ses références, Morin a un côté poncif. En effet, il vaut mieux en France citer Marx que citer Freud, ça fait "plus sérieux".

Nous avons dans cette partie un glissement sémantique certain, preuve de la plus totale incompétence de Morin en matière de concepts : "L’éducation doit montrer qu’il n’est pas de connaissance qui ne soit, à quelque degré que ce soit, menacée par l’erreur et par l’illusion. La théorie de l’information montre qu’il y a risque d’erreur sous l’effet de perturbations aléatoires ou bruits (noise), dans toute transmission d’information, toute communication de message." Ce point est typique des raisonnements approximatifs de Morin :

  • Premièrement, connaissance et information sont deux choses distinctes,
  • Deuxièmement, l'information telle qu'elle est reçue par les humains ne peut se comparer aussi naïvement à un signal reçu par des appareils, signal dans lequel nous aurions du "bruit".

Nous constations donc formellement un double glissement : une assimilation erronée de concepts à quoi s'ajoute l'application erronée d'un vocabulaire venant de la physique physique à des concepts des sciences humaines.

Au niveau du fond, le message est consternant : assimiler connaissance et information revient à postuler que la connaissance résulte d'informations apprises par coeur, de leur stockage, de leur thésaurisation. Cette conception place d'emblée l'éducation comme une tâche inverse à l'intelligence, mais ce que l'on pourrait qualifier tout à fait légitimement de conditionnement. C'est tout à fait scandaleux, qui plus est quand on voit que toute la conception de Morin est basée sur cette vision.

"D’où, nous le savons bien, les innombrables erreurs de perception qui nous viennent pourtant de notre sens le plus fiable, celui de la vision." Nous nous demandons parfois où Morin va chercher tout cela, dans quelque publication scientifique sans doute. Mais, nous sommes au regret de lui dire que non, nous ne savons pas bien que la vision serait le sens le plus "fiable". Drôle d'idée d'ailleurs que de classifier les sens selon leur "fiabilité". Encore une analogie mécaniste.

"A l'erreur de perception s'ajoute l'erreur intellectuelle." Encore une fois, le raisonnement de Morin est très intéressant dans la mesure où Morin est un archétype de notre inconscient collectif français (et non pas bien sûr, un philosophe). Selon Morin, il y a donc deux types d'erreurs : sensorielle et intellectuelle. C'est tout à fait remarquable de simplifier à ce point les choses, surtout que force est de constater qu'il n'est pas évident que l'homme commette beaucoup d'erreurs intellectuelles, au sens d'erreurs d'inférence. L'homme infère très justement depuis des millénaires, mais le référentiel sur lequel il pense est souvent vicié par des considérations de gain, ce qui peut le mener à prendre des décisions contestables. C'est là toute la difficulté d'analyser les erreurs de l'homme, notamment en termes d'intellect, car ces erreurs ne sont pas souvent de vraies erreurs intellectuelles.

Prenons un exemple : supposons que je pollue la nature volontairement. On va me dire que je suis un idiot car il ne faut pas le faire, mais je sais que ne pas le faire va me coûter plus cher. Dans mon référentiel, l'argent a plus d'importance que tout le reste. Donc je pollue volontairement. J'ai donc usé d'un raisonnement impeccable, mais mon référentiel de pensée a induit mon raisonnement dans un sens. Il n'y a donc pas à proprement parler d'erreur intellectuelle de ma part, mais probablement une erreur morale, ce qui est tout à fait différent.

Ces nuances sont bien entendu à mille lieux des raisonnements bâclés de Morin qui confond souvent tout.

"La connaissance, sous forme de mot, d’idée, de théorie, est le fruit d’une traduction/reconstruction par les moyens du langage et de la pensée et, par là, elle connaît le risque d’erreur." Là, Morin nous joue le professeur qui donne des leçons en expliquant comment cela marche. Un philosophe aurait parlé de représentation.

"Cette connaissance, à la fois en tant que traduction et en tant que reconstruction, comporte de l'interprétation, ce qui introduit le risque d'erreur à l’intérieur de la subjectivité du connaissant, de sa vision du monde, de ses principes de connaissance. D’où les innombrables erreurs de conception et d’idées qui surviennent en dépit de nos contrôles rationnels. La projection de nos désirs ou de nos craintes, les perturbations mentales qu’apportent nos émotions multiplient les risques d’erreurs." Morin possède une vision très scientifique et très froide, très peu basée sur l'expérience individuelle mais plutôt sur des schémas de pensée et des raisonnements tous faits, comme on peut en trouver dans les sciences cognitives par exemple. Nous sommes donc dans la partie qui fera soupirer nos enfants et nos petits-enfants car la représentation pseudo scientifique de cette phrase sera démodée dans dix ans.

"Effectivement, le sentiment, la haine, l'amour, l'amitié peuvent nous aveugler." Jolie trouvaille.

"Mais il faut dire aussi que déjà dans le monde mammifère, et surtout dans le monde humain, le développement de l'intelligence est inséparable de celui de l'affectivité, c'est-à-dire de la curiosité, de la passion, qui sont des ressorts de la recherche philosophique ou scientifique." What ? Morin a une tendance frénétique à prendre ses désirs pour des réalités. Qu'est-ce donc qui peut bien lui faire écrire de telles billevesées ? Où diantre est-il allé cherché cela ?

"Aussi l'affectivité peut étouffer la connaissance, mais elle peut aussi l'étoffer. Il y a une relation étroite entre l’intelligence et l’affectivité : la faculté de raisonner peut être diminuée, voire détruite, par un déficit d'émotion ; l'affaiblissement de la capacité à réagir émotionnellement peut être même à la source de comportements irrationnels. " Nous nageons en pleine "pensée complexe" Morinienne, si complexe que Morin lui-même ne comprend pas ce qu'il écrit. Une fois encore, ce problème est largement abordé par la philosophie depuis des siècles, mais le référentiel pseudo-scientifique dans lequel Morin se place ne lui permet pas de comprendre comment l'affect influe sur l'intellect. Il bavarde donc stérilement autour de cette complexité.

"Donc il n’y a pas d'étage supérieur de la raison dominant l’émotion, mais une boucle intellect ø affect ; et par certains côtés la capacité d’émotion est indispensable à la mise en œuvre de comportements rationnels." Bravo pour cette synthèse d'une rare ineptie, comparant une fois de plus l'homme avec l'ordinateur.

"Le développement de la connaissance scientifique est un moyen puissant de détection des erreurs et de lutte contre les illusions." Nous y voilà. Morin a toujours été le salesman du scientisme. "Toutefois les paradigmes qui contrôlent la science peuvent développer des illusions et nulle théorie scientifique n’est immunisée à jamais contre l’erreur. De plus, la connaissance scientifique ne peut traiter seule les problèmes épistémologiques, philosophiques et éthiques. " Bien sûr, d'où la pensée complexe.*

"L’éducation doit donc se vouer à la détection des sources d’erreurs, d’illusions et d’aveuglements." Belle déclaration de principe, mais sur quelle base s'appuyer si les erreurs et illusions ne peuvent même pas être de manière certaine dépistées par la science ? Voyons comment Morin va résoudre ce problème vieux comme l'humanité.

"Aucun dispositif cérébral ne permet de distinguer l'hallucination de la perception..." Nous sommes bien des robots aux yeux de Morin, l'expression est savoureuse.

"Il existe de plus en chaque esprit une possibilité de mensonge à soi-même (self-deception) qui est source permanente d’erreurs et d’illusions." Comme Morin ne cesse de nous le prouver, par l'exemple.

Plus généralement, une fois encore, la division analytique classifiant les erreurs est erronée et très dangereuse. Sous le qualificatif d'"erreurs mentales", nous trouvons les rêves, la mémoire, etc. Morin est dangereux et ses théories ne sont pas sans rappeler les comparaison absurdes de la société avec le corps de l'homme, société de laquelle il faudrait expurger les agents pathogènes comme on guérit un corps malade. Morin, du haut de son modèle scientiste qualifie d'erreur le monde psychologique, pourquoi ? Parce que la psyché n'est pas "fiable" ? C'est monstrueux dans la mesure où Morin ne veut pas comprendre l'homme mais le juge selon des critères étroits et totalement inadaptés.

Sous les erreurs intellectuelles, Morin classe les doctrines et idéologies ce qui est d'une naïveté touchante et d'un politiquement correct éhonté. Les doctrines et idéologies peuvent n'être pas incohérentes intellectuellement. Elles ne le sont d'ailleurs la plupart du temps pas. Mais les hommes les usent à d'autres fins, ce qui est totalement différent. Morin se trompe donc de qualificatif et bien sûr de source du problème.

"Autrement dit, c'est la rationalité qui est correctrice." Bien sûr que non, nous sommes en pleine foi scientiste, en plein credo rationaliste durant toute la partie 1.3. Nous sommes donc en religion avec Morin comme avec les autres scientistes dans un modèle de représentation du monde qui postule la science comme meilleure façon de conduire le monde. ce que Morin ne peut pas comprendre, c'est que son erreur fondamentale est dans la comparaison de l'homme avec l'objet scientifique. Certes, les méthodes rationnelles apportent des choses mais ces choses sont de l'ordre du matériel et non du psychologique (encore moins du spirituel). Or, par postulat, Morin compare l'humain et la machine ou l'ordinateur. Il peut donc appliquer les principes brillants des sciences à l'humain, mais il se trompe non parce que les principes des sciences ne sont pas valides, mais parce qu'ils ne s'appliquent pas à l'humain. C'est l'archétype de la pensée scientiste.

"La vraie rationalité connaît les limites de la logique, du déterminisme, du mécanisme ; elle sait que l'esprit humain ne saurait être omniscient, que la réalité comporte du mystère. Elle négocie avec l'irrationalisé, l'obscur, l'irrationalisable." Heureusement que Morin est là pour nous expliquer ce qu'est la "vraie" rationalité. Que serions-nous sans lui ? Morin méprise de toute sa hauteur l'irrationalisé qui est "l'obscur". Nous sommes en pleine théologie scientiste. Ce que je n'explique pas avec la science est démoniaque... C'est navrant.

"D’où la nécessité de reconnaître dans l’éducation du futur un principe d'incertitude rationnel : la rationalité risque sans cesse, si elle n'entretient pas sa vigilance autocritique, de verser dans l’illusion rationalisatrice. C’est dire que la vraie rationalité n’est pas seulement théorique, pas seulement critique, mais aussi autocritique." Sans doute, mais cela ouvre le vrai débat qui est moral. Quel cadre moral peut encadrer une rationalité. Il est dommage que Morin en soit resté à l'illusion d'une rationalité ex-nihilo. Disons que je doute de ma "rationalité". Qu'est-ce qui me fait décider dans un sens ou dans un autre ?

En fait, le problème est mal posé. La rationalité est un outil qui permet les représentations mais non un objet à étudier en tant que tel. On est toujours rationnel par rapport à quelque chose, mais jamais ex nihilo, on est rationnel dans un certain référentiel. L'abord par la morale a au moins le mérite de mettre en perspective ce référentiel qui chez Morin reste invisible.

La vision des paradigmes de Morin est plus inquiétante car les erreurs qu'elle propose sont plus subtiles. Morin projette sa vision analytique personnelle (et scientiste) aux autres représentations du monde. Ainsi, dans toute vision analytique un peu simpliste, les choses vont par couples d'opposés. C'est ce que propose ses paradigmes. Là où le bas blesse est dans le fait que toutes les conceptions du monde ne peuvent aussi facilement entrer dans une classification binaire aussi simpliste. Morin, par un tour de passe-passe conceptuel, dégrade les représentations du monde issues des autres courants que le sien et les simplifie à outrance dans une logique analytique primaire qui n'est pas celle des courants cités.

Cette approche est toujours très dangereuse car elle propose de fausses représentations des autres conceptions du monde (et en ce sens, elle désinforme et manipule), mais aussi elle nivelle par un genre de dénominateur commun simpliste les autres théories comme si toutes n'étaient que les copies les unes des autres. Ce nivellement artificiel est souvent établi à une échelle qui est un concept creux. Ces raisonnements sont tout à fait vicieux et très nuisibles pour la pensée.

Par exemple, la notion d'Ordre, d'Espit ou de Structure (pour reprendre les majuscules moriniennes) définissent des façons de voir le monde qui ne peuvent pas être synthétisées par la notion creuse et générique d'un "paradigme" de pensée. Ces types de pensée sont plus complexes et plus profondes et vont souvent bien au delà de la dualité caricaturale proposée par Morin.

"Prenons un exemple : il y a deux paradigmes opposés concernant la relation homme ønature. Le premier inclut l'humain dans la nature, et tout discours obéissant à ce paradigme fait de l'homme un être naturel et reconnaît la " nature humaine ". Le second paradigme prescrit la disjonction entre ces deux termes et détermine ce qu'il y a de spécifique en l'homme par exclusion de l'idée de nature." Ces conceptions moriniennes sont caricaturales à outrance et le fait même de critiquer une caricature que l'on a soi-même construit pour la substituer à la réalisé est extrêmement malhonnête. Cette malhonnêteté a un but : vendre de la pensée complexe... évidemment.

"Seul un paradigme complexe d'implication/distinction/conjonction permettrait une telle conception, mais il n’est pas encore inscrit dans la culture scientifique." Bien sûr, et Morin arrive pour proposer au monde ce concept.

"Le paradigme joue un rôle à la fois souterrain et souverain dans toute théorie, doctrine ou idéologie." Nous revenons une fois encore aux projections de Morin. Certes il est possible que son esprit fonctionne de la sorte, mais son esprit n'est pas (heureusement) représentatif.

"Le pouvoir impératif et prohibitif conjoint des paradigmes, croyances officielles, doctrines régnantes, vérités établies détermine les stéréotypes cognitifs, idées reçues sans examen, croyances stupides non contestées, absurdités triomphantes, rejets d'évidences au nom de l'évidence, et il fait régner, sous tous les cieux, les conformismes cognitifs et intellectuels." Il est navrant de voir que le scientiste qui parle ne comprend pas qu'il parle de son propre conditionnement. Étonnant. Morin se place extérieurement au phénomène (comme Descartes) et donc se trompe totalement (comme Descartes).

Sur l'imprinting culturel, citer le surmoi de Freud aurait été plus approprié. Mais Freud n'est pas scientifique.

"Disons plus : les croyances et les idées ne sont pas seulement des produits de l'esprit, ce sont aussi des êtres d'esprit ayant vie et puissance. Par là, elles peuvent nous posséder." Nous entrons en plein ésotérisme.

"D'où ce paradoxe incontournable : nous devons mener une lutte cruciale contre les idées, mais nous ne pouvons le faire qu'avec le secours des idées." D'où la question morale. On en revient aux bases de la philosophie. Notons que lutter contre les idées sans les idées est possible dans la méditation, mais pas pour Morin qui ne voit du monde que ce qu'il est.

Très étrange aussi est l'introduction du concept d'"inattendu" au lieu de celui, plus naturel d'"inconnu". Il y a un petit côté perverti dans cette approche de l'inconnu, comme si l'inconnu se limitait à l'inattendu, à ce qui pourrait nous surprendre intellectuellement durant quelques secondes. On voit très bien les limites très étroites de la conception de Morin, un monde étriqué où il ne fait pas bon vivre.

"D’où la nécessité, pour toute éducation, de dégager les grandes interrogations sur notre possibilité de connaître." Aucune société n'est prête à prendre ce risque, non seulement parce que les effets sont non prédictibles, mais aussi parce que peu de gens savent ce que veut dire interroger la connaissance. De plus, cette démarche est très intellectuelle et on peut vivre fort bien sans se poser des questions formelles d'apprenti philosophe. Morin voudrait-il que tous les enfants lui ressemblent ?

"Nous devons comprendre qu'il y a des conditions bio-anthropologiques (les aptitudes du cerveau øesprit humain), des conditions socio-culturelles (la culture ouverte permettant les dialogues et échanges d'idées) et des conditions noologiques (les théories ouvertes) qui permettent de "vraies" interrogations, c'est-à-dire des interrogations fondamentales sur le monde, sur l'homme et sur la connaissance elle-même." Le credo de la pensée complexe à nouveau, une pensée qui ne va nulle part.

"Nous avons besoin de civiliser nos théories, c’est-à-dire d'une nouvelle génération de théories ouvertes, rationnelles, critiques, réflexives, autocritiques, aptes à s'autoréformer." On sent le vieux rêve communiste sous-jacent.

"Nous avons besoin que se cristallise et s'enracine un paradigme permettant la connaissance complexe." Nous y voilà.

"Aussi le problème cognitif est-il d'importance anthropologique, politique, sociale et historique. S’il peut y avoir un progrès de base au XXIe siècle, ce serait que les hommes et femmes ne soient plus les jouets inconscients non seulement de leurs idées mais de leurs propres mensonges à eux-mêmes. C’est un devoir capital de l’éducation que d’armer chacun dans le combat vital pour la lucidité." Y a qu'à, faut qu'on. Mais tout cela n'est pas très sérieux.

Les autres chapitres

(en cours)

Notes

  1. Cf. Baby boom et génération névrose.
  2. Cf. la théorie des "agents pathogènes", qui décrivaient certains éléments humains qui perturbaient la "société", ordre parfait (comme la cellule), comme autant de nuisances à la survie de l'"organisme social" tout entier.
  3. Cf. Le concept creux.
  4. C'est la méthode anglo-saxonne des pros and cons.
  5. Cf. A propos de la vérité.
  6. Comme les sciences cognitives pensent "découvrir" la conscience dans leurs investigations aveugles.
  7. Cf. Baby boom et génération névrose.