Une nouvelle victime d'Omar Khayyâm

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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("L'hypothèse Dieu")
 
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Ainsi, lit-on dans la préface : Ainsi, lit-on dans la préface :
-<quote>En homme livre, il \[Quayyâm\] dit sans forcer que la voix de Dieu est une hypothèse nullement avérée et que ceux qui prétendent agir en son nom et imposer sa loi s'apparentent à de sinistres imposteurs.</quote>+ 
 +''En homme livre, il [Quayyâm] dit sans forcer que la voix de Dieu est une hypothèse nullement avérée et que ceux qui prétendent agir en son nom et imposer sa loi s'apparentent à de sinistres imposteurs.''
Etonnante projection de l'auteur de la préface sur le soufi Khayyâm. Oui, Khayyâm était un soufi, soit un mystique musulman qui, soupçonné d'être un hérétique par l'islam orthodoxe, n'en était pas moins en connexion directe avec Dieu comme les plus grands soufis. L'« hypothèse » est donc une ''invention'' de l'auteur de la préface. Etonnante projection de l'auteur de la préface sur le soufi Khayyâm. Oui, Khayyâm était un soufi, soit un mystique musulman qui, soupçonné d'être un hérétique par l'islam orthodoxe, n'en était pas moins en connexion directe avec Dieu comme les plus grands soufis. L'« hypothèse » est donc une ''invention'' de l'auteur de la préface.
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Accusé de vanter l'ivresse par le vin, Khayyâm eut des soucis avec les autorités, dans une tradition (l'islam) où l'alcool, et en particulier le vin, n'étaient pas permis au musulman pratiquant. Accusé de vanter l'ivresse par le vin, Khayyâm eut des soucis avec les autorités, dans une tradition (l'islam) où l'alcool, et en particulier le vin, n'étaient pas permis au musulman pratiquant.
-André Velter écrit :+André Velter écrit : {{G|Pour Omar Khayam la beauté physique et le désir qu'elle inspire, le vin et la grâce qu'il procure sont les seuls recours. Encore faut-il spécifier qu'il ne demande à la boisson qu'une ébriété légère, de celle qui apaise les sens et l'esprit, à l'opposé d'un abrutissement lourd.}}
-<quote>Pour Omar Khayam la beauté physique et le désir qu'elle inspire, le vin et la grâce qu'il procure sont les seuls recours. Encore faut-il spécifier qu'il ne demande à la boisson qu'une ébriété légère, de celle qui apaise les sens et l'esprit, à l'opposé d'un abrutissement lourd.</quote>+
On nage en plein fantasme. Pour Khayyâm, ''le vin est le vin spirituel'', comme pour tous les soufis. C'est un symbole. Les filles dont Khayyâm parlent sont les manifestations de la beauté du monde de Dieu et de l'amour qu'elles suscitent, un ''amour divin'', un amour pour Dieu. On nage en plein fantasme. Pour Khayyâm, ''le vin est le vin spirituel'', comme pour tous les soufis. C'est un symbole. Les filles dont Khayyâm parlent sont les manifestations de la beauté du monde de Dieu et de l'amour qu'elles suscitent, un ''amour divin'', un amour pour Dieu.

Version actuelle

Introduction au concept de révisionnisme par omission.

L'édition en poésie Gallimard
L'édition en poésie Gallimard

Sommaire

[modifier] André Velter, la victime

Combien sont ceux qui furent abusés par Omar Khayyâm au fil des siècles ?

Beaucoup, manifestement, jusqu'à André Velter, écrivant la préface au Rubayat de Khayyâm dans la collection Poésies poche de Gallimard. Nul n'est tenu à l'impossible, mais les contresens sont si manifestes dans cette incroyable préface du recueil de quatrains du grand poète persan que l'on se demande que font les éditeurs...

Velter nous donne l'occasion d'un véritable festival de l'incompréhension, festival dont nous allons commenter quelques perles.

[modifier] Une incompréhension totale

[modifier] "L'hypothèse Dieu"

Ainsi, lit-on dans la préface :

En homme livre, il [Quayyâm] dit sans forcer que la voix de Dieu est une hypothèse nullement avérée et que ceux qui prétendent agir en son nom et imposer sa loi s'apparentent à de sinistres imposteurs.

Etonnante projection de l'auteur de la préface sur le soufi Khayyâm. Oui, Khayyâm était un soufi, soit un mystique musulman qui, soupçonné d'être un hérétique par l'islam orthodoxe, n'en était pas moins en connexion directe avec Dieu comme les plus grands soufis. L'« hypothèse » est donc une invention de l'auteur de la préface.

[modifier] Les musulmans, des scientifiques ?

André Velter semble par ailleurs s'étonner du fait que Khayyâm ait été un grand savant, dans les sciences dites « classiques » (comprendre non religieuses).

Comme tous les soufis, il n'a fait que favoriser le savoir scientifique tout comme le savoir spirituel et a donc apporté sa collaboration naturelle à l'édifice du savoir, par des traités scientifiques pour le monde matériel, et par des traités poétiques pour le monde spirituel[1]. Il s'inscrivait ainsi dans une tradition qui fit des soufis les traducteurs et les transporteurs du savoir grec en Occident durant le Moyen Age.

Mais était-ce bien raisonnable de reconnaître cette vérité dans la France des années 90 ?

[modifier] Khayyâm, un musulman ?

Ainsi, M. Velter parvient au tour de force de parler de Khayyâm sans mentionner qu'il était soufi, ni que la plupart des images des Rubayat sont issues du Coran, notamment celles ayant trait à la poterie.
Nous créâmes l'homme d'une argile crissante, extraite d'une boue malléable.[2]

A lire Velter, on croirait que Khayyâm était un athée comme peut l'être l'homme occidental moyen... Mais "musulman", c'est déjà un gros mot, non ?

[modifier] Khayyâm, un Gainsbourg avant l'heure ?

Pour les images ayant trait au vin, il est affligeant de voir que M. Velter :

  • se cantonne à la même lecture au premier degré que les juristes islamiques orthodoxes utilisaient contre Khayyâm (sic),
  • retourne la morale et en l'accommodant à la sauce des intellectuels bien pensants français de la fin du XXème siècle.

Accusé de vanter l'ivresse par le vin, Khayyâm eut des soucis avec les autorités, dans une tradition (l'islam) où l'alcool, et en particulier le vin, n'étaient pas permis au musulman pratiquant.

André Velter écrit : « Pour Omar Khayam la beauté physique et le désir qu'elle inspire, le vin et la grâce qu'il procure sont les seuls recours. Encore faut-il spécifier qu'il ne demande à la boisson qu'une ébriété légère, de celle qui apaise les sens et l'esprit, à l'opposé d'un abrutissement lourd. »

On nage en plein fantasme. Pour Khayyâm, le vin est le vin spirituel, comme pour tous les soufis. C'est un symbole. Les filles dont Khayyâm parlent sont les manifestations de la beauté du monde de Dieu et de l'amour qu'elles suscitent, un amour divin, un amour pour Dieu.

Mais Velter ne comprend rien, le grand naïf qu'il est. Le pire est qu'avant de préfacer l'immense Khayyâm, il aurait dû se renseigner.

[modifier] Une mystification de plus, chez un "grand" éditeur

Khayyâm a donc encore mystifié son monde, presque mille ans après sa naissance.

On pourra s'interroger sur la ligne éditoriale d'une grande collection de poésie laissant publier de tels contresens. La préface datant de 1994, on voit qu'il semble toujours politiquement incorrect de parler de la culture islamique en France, même si cette dernière n'est exposée qu'au travers de textes perses du XIème siècle.

On pourrait, avec un peu de mauvaise foi sans doute, y voir une certaine velléité de réécrire l'histoire, cette préface sentant bon le « révisionnisme par omission » : en tous bons athées, on « oublie » simplement de parler de l'époque religieuse dans laquelle le texte a été écrit et on transforme les intentions de l'auteur. Khayyâm devient un genre de rebelle des années 1990, libre, agnostique et anti-religieux, alcoolique et libertin. L'auteur fantasme et se projette dans Khayyâm qu'il habille d'une lecture au premier degré, toute de niaiserie faite.

[modifier] Conclusion

Encore un peu et on traduira les Mille et une nuits en enlevant toute mention à « Allah », pour être plus tendance, ou parce que le bouquin ne se vendra plus en raison d'une suspicion de liaison avec un courant islamiste !

En attendant, vous pouvez lire le texte sur ce site dans la traduction de Franz Toussaint. Bonne lecture.

[modifier] Rubayat d'Omar Khayyâm

[modifier] Notes

  1. En cela, il préfigure l'immense Rûmî.
  2. Coran XV, 27. Merci à al-Zeituni pour la citation.