Un renouveau du structuralisme est-il possible ?

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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La pensée structuraliste s'est heurtée, au cours de son histoire, à un problème de modèle. Par modèle, il faut comprendre modélisation au sens où on l'entend en sciences dites «dures»[1]. Le structuralisme a beaucoup travaillé sur des objets ou des phénomènes appelés à l'époque «signes» (notamment en linguistique ou en ethnologie) sans pour autant proposer de véritable modèle autour de ces objets, ce qui pourtant aurait dû être la première brique de l'analyse structurale. La conséquence de ce manque de définition de l'objet étudié est d'avoir voulu placer sous la même terminologie évasive des objets de nature différente (langue, structure de la parenté, etc.) et par conséquent d'avoir rassemblé dans le «courant structuraliste» des pensées et des intuitions sur des domaines non a priori corrélés.

Sommaire

[modifier] Définition et représentation de l'objet étudié

Logiquement, la démarche scientifique voudrait donc que l'on définisse en premier lieu l'objet de l'étude. En second lieu, il faudrait se poser la question de la bonne représentation de cet objet et du modèle que nous allons lui appliquer (signe ou modèle plus complexe). Puis vient l'analyse des relations des différents objets entre eux et la recherche de lois abstraites régissant le système et, donc, la qualification des relations entre divers types d'objets.

Néanmoins, dès que la notion de «système» est abordée, surgit le problème de l'hétérogénéité des objets qui peuvent le composer et le perturber. Nous sommes ici en présence d'un cas bien connu en physique complexe : nous cherchons à définir un système relativement isolé pour l'étudier structurellement, et nous constatons que ce système est hétérogène et sensible aux conditions initiales.

Force est de constater que le structuralisme n'est pas arrivé à identifier les étapes de ce développement scientifique, ni dans une approche de modèle, ni dans une approche théorique. Il faut reconnaître que ce genre de questions est des plus complexes notamment lorsqu'il s'agit d'étudier des petits groupements humains relativement isolés. Se pose alors la question des choses mesurables ce qui, chez l'humain, est toujours problématique[2].

[modifier] L'incomplétude de la vision structuraliste

Le structuralisme apparaît aujourd'hui comme un outil très incomplet, même s'il semble reposer sur des intuitions partagées et que son héritage est encore présent dans l'inconscient collectif des sciences humaines. En revanche, sa présence actuelle ne pardonne pas son manque de rigueur logique.

Bien entendu, de grands esprits comme Lévi-Strauss ont buté sur la complexité de l'approche structuraliste en réalisant qu'il y avait derrière leurs intentions un monde plus complexe qu'une simple logique probabiliste, combinatoire ou statistique. Même dans le cas des systèmes simples, prévoir le comportement d'un système était assez malaisé, sauf dans des cas triviaux, ces cas revenant souvent à la vision subjective de l'un des acteurs du système. En ce sens, les études structuralistes ne faisaient que révéler des choses intuitives mais non les expliquer, révéler à d'autres ce que les membres du système savaient déjà.

Faute d'outils, le structuralisme est devenu description à tendance structurale et non une réelle analyse structurale, à part peut-être dans la morphologie du conte de Propp (où la partie définition des objets et des relations est faite de manière scientifique) ou dans la linguistique. La notion de structure elle-même étant floue, notons qu'elle a souvent servi de caution facile pour accorder une crédibilité à travaux manquant de rigueur.

[modifier] La fin du structuralisme

Ce qui, en dehors des manques de la technique d'analyse elle-même, a probablement desservi le structuralisme, surtout après 68, est cette caricature d'un système combinatoire qui offrirait, à terme, la possibilité de prévoir les comportements des personnes. A une époque où la liberté était elle-même l'objet de nombreuses caricatures à message politique, le structuraliste est soudain apparu non comme celui qui exhibait les structures sociales mais comme celui qui les construisait, qui les imposait et qui avait pour but de représenter l'homme en tant que machine prévisible. Le structuraliste est donc devenu un élément inquiétant de la société, un genre d'ennemi, proposant une représentation figée et glaciale de l'homme et niant, d'une certaine façon, qu'il fût un homme libre.

Quels pouvaient être les fruits de théories comme celles-là ? Comment pouvait-on les utiliser ? N'était-ce pas un moyen de créer un savoir sur l'homme qui aurait permis la manipulation à large échelle ? Ce genre de questions a probablement été à l'origine de la prise de distance de Foucault par rapport au structuralisme de Lévi-Strauss : comment analyser les structures de la société sans exhiber un pouvoir de manipulation par la connaissance de la structure ?[3]

A la fin des années 60, les intellectuels semblent avoir refoulé le structuralisme en raison de la possibilité de la représentation qu'elle laissait planer : un danger de société lié à la manipulation consécutive à un savoir non partagé, mais aussi et surtout la peur de se voir entrer dans des équations et d'avoir une preuve scientifique de son aliénation structurelle, de la prévisibilité de son comportement. C'est donc bien la peur de l'inconnu, ou au contraire la peur du «trop connu mais pas assez admis» qui a motivé la mise à l'écart du structuralisme de la sphère du politiquement correct, une peur de voir en l'être humain une vérité scientifique abstraite et froide.

Cette peur fondamentale qu'a soulevée le structuralisme est la manifestation d'un refoulement par la société d'un potentiel danger sur la possibilité de la découverte de sa «vraie nature». Ce refoulement est passé comme une mode passe, mais le phénomène n'a pas été de la même nature. Car, ironie du sort, alors que le structuralisme était vu comme suspecte car elle visait à mettre des gens dans des cases, l'ensemble des gens a réagi collectivement dans le déni des promesses de ce mouvement intellectuel, donc avec une homogénéité de comportement qui justement intéresserait les structuralistes anthropologues.

[modifier] Vers un nouveau structuralisme ?

Il est important de considérer que le renouveau des méthodes structuralistes doit passer par un renouveau des outils d'analyse, avec notamment l'incorporation d'outils plus puissants en provenance des sciences mathématiques ou physiques[4]. Cette mutation de l'approche structurelle nécessiterait que les chercheurs dans le domaines soient suffisamment avancés en sciences afin de pouvoir se servir des outils développés par la science classique sans faire de regrettables contre-sens.

Souvenons-nous notamment de l'utilisation délirante qui fut faite de la théorie du chaos dans les années 70 par les sciences humaines. Forts d'une double démarche qui visait à la fois à prendre une revanche sur les modèles déterministes de la science qui révélait alors son impossibilité de résoudre certaines équations différentielles, et d'une volonté d'emprunter aux concepts de la théorie du chaos une caution réellement scientifique, les sciences humaines publièrent certains de leurs plus absurdes articles, montrant une non maîtrise affligeante de la plupart des concepts utilisés. Cela donna l'occasion à Alan Sokal de faire son fameux canular dans un article paraphrasant le vocabulaire en vogue dans les sciences humaines pour obtenir un exposé sans le moindre fond, mais néanmoins salué comme une progression majeure dans l'histoire de la pensée par de renommés spécialistes en sciences humaines.

Pour éviter que ce genre de choses ne se reproduise, il faut parvenir à faire en sorte de faire éclore des talents dont les compétences dépassent largement le cadre de leur discipline favorite, soit en incluant des scientifiques dans les domaines des sciences humaines (ce qui se fait trop peu), soit en formant les spécialistes des sciences humaines à des concepts scientifiques précis (ce qui paraît plus compliqué).

[modifier] Conclusion

En conclusion, comment faire revivre ou simplement continuer ce mouvement structuraliste au XXIème siècle ? Probablement tout d'abord en changeant de méthode de manière drastique (mais non de principes dans l'approche), et ensuite en étant prêt à essuyer des attaques sociales sur l'intérêt véritable qu'il y a à s'intéresser aux groupes humains. Si renouveau du structuralisme il y a, il passera par les outils scientifiques et s'affrontera à une véritable psychanalyse collective. Cette dernière pourrait naître dans le scandale ou, ce qui est plus probable, dans la plus parfaite indifférence. En un sens, il s'agit pour faire revivre le mouvement d'être crédible scientifiquement et de revivre l'aventure de Freud au niveau de la société elle-même.

L'état dans lequel se trouvent les sciences actuelles, lorgnant de plus en plus vers les organismes privées pour réaliser des études de marché à caractère social que l'on fait passer pour de la sociologie, est confortable pour ceux qui ne tiennent pas forcément à ce que les gens sachent, cela dit d'une manière générale et sans théorie du complot sous-jacente. Il est souvent plus agréable pour les dirigeants de diriger des ignorants que de s'intéresser à cultiver un peuple.

Or, je ne suis pas certain que notre contexte social soit prêt à faire naître ou à héberger une institution permettant la renaissance d'un structuralisme qui pourrait revêtir des côtés sulfureux.

[modifier] Notes

  1. Cf. théorie versus modélisation.
  2. Cf. Eléments pour une sociologie scientifique.
  3. C'est peut-être une des grandes contradictions de Foucault d'avoir continué à approcher ses thèmes favoris au moyen d'une méthode structuraliste tandis que l'opinion publique lui demandait de se positionner contre cette théorie vue comme dangereuse.
  4. L'informatique jouera aussi probablement un rôle prépondérant dans la construction de modèles dynamiques.