Quinzième nuit, histoire du vizir puni

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Dinarzade ne fut pas moins exacte cette nuit que les précédentes à réveiller Scheherazade :

« Ma chère sœur, lui dit-elle ; si vous ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour qui paraîtra bientôt, de me conter un de ces beaux contes que vous savez.

— Ma sœur, répondit la sultane, je vais vous donner cette satisfaction.

— Attendez, interrompit le sultan, achevez l’entretien du roi grec avec son vizir, au sujet du médecin douban, et puis vous continuerez l’histoire du pêcheur et du génie.

— Sire, repartit Scheherazade, vous allez être obéi. »

En même temps elle poursuivit de cette manière :

« Quand le roi grec, dit le pêcheur au génie, eut achevé l’histoire du perroquet :

« Et vous, vizir, ajouta-t-il, par l’envie que vous avez conçue contre le médecin douban, qui ne vous a fait aucun mal, vous voulez que je le fasse mourir ; mais je m’en garderai bien, de peur de m’en repentir, comme ce mari d’avoir tué son perroquet.

Le pernicieux vizir était trop intéressé à la perte du médecin douban pour en demeurer là.

« Sire, répliqua-t-il, la mort du perroquet était peu importante, et je ne crois pas que son maître l’ait regretté longtemps. Mais pourquoi faut-il que la crainte d’opprimer l’innocence vous empêche de faire mourir ce médecin ! Ne suffit-il pas qu’on l’accuse de vouloir attenter à votre vie, pour vous autoriser à lui faire perdre la sienne ? Quand il s’agit d’assurer les jours d’un roi, un simple soupçon doit passer pour une certitude, et il vaut mieux sacrifier l’innocent que sauver le coupable. Mais, sire, ce n’est point ici une chose incertaine : le médecin douban veut vous assassiner. Ce n’est point l’envie qui m’arme contre lui, c’est l’intérêt seul que je prends à la conservation de votre majesté ; c’est mon zèle qui me porte à vous donner un avis d’une si grande importance. S’il est faux, je mérite qu’on me punisse de la même manière qu’on punit autre-fois un vizir.

— Qu’avait fait ce vizir, dit le roi grec, pour être digne de ce châtiment ?

— Je vais l’apprendre à votre majesté sire, répondit le vizir ; qu’elle ait, s’il lui plaît, la bonté de m’écouter. »

HISTOIRE DU VIZIR PUNI

« Il était autrefois un roi, poursuivit-il, qui avait un fils qui aimait passionnément la chasse. Il lui permettait de prendre souvent ce divertissement ; mais il avait donné ordre à son grand vizir de l’accompagner toujours et de ne le perdre jamais de vue. Un jour de chasse, les piqueurs ayant lancé un cerf, le prince, qui crut que le vizir le suivait, se mit après la bête. Il courut si longtemps, et son ardeur l’emporta si loin, qu’il se trouva seul. Il s’arrêta, et remarquant qu’il avait perdu la voie, il voulut retourner sur ses pas pour aller rejoindre le vizir, qui n’avait pas été assez diligent pour le suivre de près ; mais il s’égara. Pendant qu’il courait de tous côtés sans tenir de route assurée, il rencontra au bord d’un chemin une dame assez bien faite, qui pleurait amèrement. Il retint la bride de son cheval, demanda à cette femme qui elle était, ce qu’elle faisait seule en cet endroit, et si elle avait besoin de secours :

« Je suis, lui répondit-elle, la fille d’un roi des Indes. En me promenant à cheval dans la campagne, je me suis endormie, et je suis tombée. Mon cheval s’est échappé, et je ne sais ce qu’il est devenu. »

Le jeune prince eut pitié d’elle, et lui proposa de la prendre en croupe ; ce qu’elle accepta.

« Comme ils passaient près d’une masure, la dame ayant témoigné qu’elle serait bien aise de mettre pied à terre pour quelque nécessité, le prince s’arrêta et la laissa descendre. Il descendit aussi, et s’approcha de la masure en tenant son cheval par la bride. Jugez qu’elle fut sa surprise, lorsqu’il entendit la dame en dedans prononcer ces paroles : « Réjouissez-vous, mes enfants, je vous amène un garçon bien fait et fort gras » ; et que d’autres voix lui répondirent aussitôt : « Maman, où est-il, que nous le mangions tout à l’heure ; car nous avons bon appétit ? »

« Le prince n’eut pas besoin d’en entendre davantage pour concevoir le danger où il se trouvait. Il vit bien que la dame qui se disait fille d’un roi des Indes, était une ogresse, femme d’un de ces démons sauvages appelés ogres, qui se retirent dans des lieux abandonnés, et se servent de mille ruses pour surprendre et dévorer les passants. Il fut saisi de frayeur, et se jeta au plus vite sur son cheval. La prétendue princesse parut dans le moment ; et voyant qu’elle avait manqué son coup :

« Ne craignez rien, cria-t-elle au prince. Qui êtes-vous ? Que cherchez-vous ?

— Je suis égaré, répondit-il, et je cherche mon chemin.

— Si vous êtes égaré, dit-elle, recommandez-vous à Dieu, il vous délivrera de l’embarras où vous vous trouvez. »

Alors le prince leva les yeux au ciel... »

Mais, sire, dit Scheherazade en cet endroit, je suis obligée d’interrompre mon discours ; le jour, qui paraît, m’impose silence.

— Je suis fort en peine, ma sœur, dit Dinarzade, de savoir ce que deviendra ce jeune prince ; je tremble pour lui.

— Je vous tirerai demain d’inquiétude, répondit la sultane, si le sultan veut bien que je vive jusqu’à ce temps-là.

Schahriar, curieux d’apprendre le dénouement de cette histoire, prolongea encore la vie de Scheherazade.


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