Le despotisme de la mère parfaite

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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-{{Article|1001nuits}}+== Introduction ==
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Cet article expose un syndrome étonnant à notre époque car chargé d'un passé collectif profond : le syndrome de la ''mère parfaite'', et le despotisme qui en découle très souvent. Il n'est pas sans rapport avec [[le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français]]. Nous allons tenter, dans cet article, de faire la part des choses entre le mythe, le fantasme et la réalité quant au comportement de certaines mères et à l'impact profondément négatif qu'elles peuvent avoir malgré elles sur leurs enfants. Cet article expose un syndrome étonnant à notre époque car chargé d'un passé collectif profond : le syndrome de la ''mère parfaite'', et le despotisme qui en découle très souvent. Il n'est pas sans rapport avec [[le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français]]. Nous allons tenter, dans cet article, de faire la part des choses entre le mythe, le fantasme et la réalité quant au comportement de certaines mères et à l'impact profondément négatif qu'elles peuvent avoir malgré elles sur leurs enfants.
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== Pouvoir et présence des mères == == Pouvoir et présence des mères ==
-La notion de pouvoir des mères est une notion très complexe au sein de notre société car elle mélange une grande quantité de notions, dont certaines sont issues de la tradition, d'autres de l'inconscient collectif présent portant des traces inavouées de cette tradition, d'autres de l'héritage éducatif personnel, et enfin les derniers de la personnalité de la mère et de ses relations avec d'autres enfants, ses frères et sœurs en premier lieu<ref>Il est certain que nous ne tenteront que de donner les grandes pistes d'un raisonnement qu'il faudrait de nombreuses pages pour détailler et argumenter de manière correcte.</ref>.+La notion de pouvoir des mères est une notion très complexe au sein de notre société car ce mot recouvre diverses influences :
 +* certaines influences sont issues de la tradition française en termes d'éducation,
 +* d'autres de l'inconscient collectif actuel portant des traces inavouées de cette tradition,
 +* d'autres de l'héritage éducatif personnel de la mère,
 +* d'autres enfin de la personnalité de la mère et de ses relations avec d'autres enfants, ses frères et sœurs en premier lieu.
-Derrière un certain nombre de pathologies importantes chez l'enfant, on retrouve souvent le spectre de la mère. Ceci n'est bien entendu pas un cas général, mais si le père peut être source de pathologies psychologiques de l'enfant, notamment par son absence<ref>Chez les filles, le syndrome du père absent peut aussi modeler la vie de l'enfant et de la future adulte d'une manière cruciale et qui peut avoir des effets dévastateurs sur sa vie de femme. Je conseille à tous ceux qui sont intéressés par le sujet de lire la littérature psychologique sur le sujet.</ref>, la mère possède souvent, de part sa présence souvent envahissante, un pouvoir que n'a pas le père dans le quotidien de l'enfant. +Derrière un certain nombre de pathologies importantes chez l'enfant, on retrouve souvent le spectre de la mère. Ceci n'est bien entendu pas un cas général, mais si le père peut être source de pathologies psychologiques de l'enfant, notamment par son absence<ref>Chez les filles, le syndrome du père absent modèle la structure de la de la future adulte d'une manière cruciale et qui peut avoir des effets dévastateurs sur sa vie de femme.</ref>, la mère possède souvent, de part sa présence souvent envahissante, un pouvoir que n'a pas le père dans le quotidien de l'enfant.
-Dans ce sens, on peut parler d'un certain pouvoir de la mère sur l'enfant, ne serait{{T}}ce que parce qu'encore aujourd'hui, les mères sont souvent plus présentes que les pères au sein de l'éducation des enfants. Or, cette présence n'est pas seulement un avantage, elle peut être aussi ''néfaste'' au point que la mère va exercer un effet parfois désastreux sur l'émancipation de l'enfant, par cette omniprésence. En quelque sorte, cette présence est à double tranchant, car l'enfant devra un jour ou l'autre entrer en conflit avec sa mère s'il veut acquérir une certaine liberté. Les enfants qui n'en sont pas capables verront leur vie d'adulte pénalisée par cette prédominance de l'image de la mère.+Dans ce sens, on peut parler d'un certain pouvoir de la mère sur l'enfant, ne serait-ce que parce qu'encore aujourd'hui, les mères sont souvent plus présentes que les pères au sein de l'éducation des enfants. Or, cette présence n'est pas seulement un avantage, elle peut être aussi ''néfaste'' au point que la mère va exercer un effet parfois désastreux sur l'émancipation de l'enfant, par cette omniprésence. En quelque sorte, cette présence est à double tranchant, car l'enfant devra un jour ou l'autre entrer en conflit avec sa mère s'il veut acquérir une certaine liberté. Les enfants qui n'en sont pas capables verront leur vie d'adulte pénalisée par cette prédominance de l'image de la mère.
-Nous allons tenter de comprendre pourquoi et comment se perpétue ce pouvoir despotique de la mère ''voulant être parfaite'' dans un certain nombre de cas, en passant en revue un certain nombre de dimensions du problème. Puis nous reviendrons aux problèmes rencontrés par les enfants et leur psychologie ainsi qu'aux problèmes de base auxquels les parents devront répondre au cours de l'émancipation de leur enfant.+Nous allons tenter de comprendre pourquoi et comment se perpétue ce pouvoir despotique de la mère ''voulant être parfaite'' dans un certain nombre de cas, en passant en revue un certain nombre de dimensions du problème. Puis nous reviendrons aux problèmes rencontrés par les enfants et leur psychologie ainsi qu'aux problèmes de base auxquels les parents devront répondre pour permettre l'émancipation de leur enfant.
== Tradition et inconscient collectif == == Tradition et inconscient collectif ==
 +
 +=== Un passé aux influences contradictoires ===
La tradition, même si on peut la remettre en cause de manière intellectuelle, est très souvent plus vivace qu'il n'y paraît. Pour les parents âgés de la trentaine aujourd'hui et nés dans les années 70, le problème est double : La tradition, même si on peut la remettre en cause de manière intellectuelle, est très souvent plus vivace qu'il n'y paraît. Pour les parents âgés de la trentaine aujourd'hui et nés dans les années 70, le problème est double :
-* leurs grands{{T}}parents sont la plupart du temps issus d'un monde agricole, sous une forte dominante morale et religieuse où le divorce était quasiment impossible et où l'on devait s'accommoder du manque de contraception ;+* leurs grands-parents sont la plupart du temps issus d'un monde agricole ou ouvier, sous une forte dominante morale et religieuse où le divorce était quasiment impossible et où l'on devait s'accommoder du manque de contraception ;
-* leurs parents ont vécu les années 60 et le choc de la révolte de 1968, étape qui a causé sur notre société des confusions morales importantes et un rejet de l'autorité ''a priori''<ref>Voir la [[petite histoire de la littérature névrotique]].</ref>.+* leurs parents ont vécu les années 60 et le choc de la révolte de 1968, étape qui a causé sur notre société des confusions morales importantes et un rejet de l'autorité ''a priori''<ref>Cf. [[Génération baby boom et génération névrose]].</ref>.
-Or cette double tradition, incohérente dans ses principes, a le mauvais goût de durer dans l'inconscient collectif plus qu'on ne pourrait le penser, le rendant tantôt révolutionnaire et tantôt réactionnaire si l'on veut verser dans le schématisme. Or, malgré une prédominance de l'intellect dans notre société<ref>Sujet de nombreux articles sur ce site.</ref>, la plupart des gens sont souvent persuadés d'avoir abandonné la tradition, de l'avoir digérée, d'en avoir fait un fait passé et mort<ref>Voir [[Foucault et le passé mort]].</ref>, de baigner en plein libre arbitre. Mais la plus petite contrainte ou le plus petit événement extérieur porteur de pression implique de manière automatique un repli vers le comportement traditionnel et sûr, sans prise de conscience ''a posteriori'' du caractère dangereux de cette démarche. Ce phénomène montre à quel point prendre conscience d'une aliénation n'est souvent que le premier pas vers la libération envers cette aliénation, mais qu'en aucun cas, la seule prise de conscience suffit. Un travail de fond doit être mené pour se débarrasser des réflexes acquis.+Or cette double tradition, incohérente dans ses principes, a le mauvais goût de durer dans l'inconscient collectif plus qu'on ne pourrait le penser, le rendant tantôt révolutionnaire et tantôt réactionnaire si l'on veut verser dans le schématisme. Or, malgré une prédominance de l'intellect dans notre société, la plupart des gens sont souvent persuadés d'avoir abandonné la tradition, de l'avoir digérée, d'en avoir fait un fait passé et ''mort''<ref>Voir [[Foucault et le passé mort]].</ref> et donc de bénéficier de leur {{G|libre arbitre}}.
-Dans le cas qui nous occupe, la prise de conscience d'un problème d'image par rapport à la tradition, d'identification rassurante avec la tradition, ne s'est souvent pas produite chez la mère despotique. Il y a donc, comme dans une large part de la société névrotique<ref>Cf. [[La genèse de la société névrotique]].</ref>, au contraire, une certitude de la liberté qui n'est guidée que par un seul principe : ''les bonnes intentions''. La tradition est dans ce schéma la ''caution'' qui fait que la mère despotique sait alors que le père ne sait pas, que le père s'il n'est pas absent, doit rester en retrait par rapport à la mère despotique qui le représente comme absent dans son inconscient, comme cela a toujours été dans son imagerie traditionnelle. Car pour être une mère parfaite, il est clair qu'il faut avoir le rôle phare de l'éducation des enfants. De quel droit et selon quelle tradition le père doit{{T}}il se mêler de l'éducation des enfants, si ce n'est en instance punitive suprême (chose de moins en moins répandue d'ailleurs) ?+Cependant, les choses ne sont pas si simples. En effet, la plus petite contrainte ou le plus petit événement extérieur porteur de pression induit le plus souvent un repli automatique (et inconscient) vers le comportement traditionnel. Cela montre qu'une prise de conscience intellectuelle de ses propres modèles ne suffit souvent pas pour être certain de ne pas les appliquer ''à notre insu''.
-La tradition comme ''caution'' est une arme à double tranchant car elle génère chez la femme moderne un profond désarroi quant à sa vie de femme : comme en effet, lutter pour garder cette tradition, pour conserver ces rites du passé qui permettent à la mère d'être le parent le plus important et le plus présent et à la fois avoir une vie professionnelle épanouie, pouvoir penser à sa carrière et à son développement personnel ? L'alchimie de ces deux dimensions est, selon moi, perdue d'avance, même si elle est un des traits de la mère parfaite. La mère parfaite veut souvent être parfaite en tout, du point de vue personnel comme professionnel, tout obstacle la gênant ou gênant le développement qu'elle a prévu pour ses enfants engageant des logiques conflictuelles.+=== Mère despote et père obligatoirement absent ===
-== Bonnes intentions et logique de la preuve ==+Dans le cas qui nous occupe, la prise de conscience d'un problème d'image par rapport à la tradition, d'identification rassurante avec la tradition, ne s'est souvent pas produite chez la mère despotique. Il y a donc, comme dans une large part de la société névrotique<ref>Cf. [[La genèse de la société névrotique]].</ref>, au contraire, une certitude de la liberté qui n'est guidée que par un seul principe : ''les bonnes intentions''. La tradition est dans ce schéma la ''caution'' qui fait que la mère despotique sait alors que le père ne sait pas, que le père s'il n'est pas absent, doit rester en retrait par rapport à la mère despotique qui le représente comme absent dans son inconscient, comme cela a toujours été dans son imagerie traditionnelle. Car pour être une mère parfaite, il est clair qu'il faut avoir le rôle phare de l'éducation des enfants. De quel droit et selon quelle tradition le père doit-il se mêler de l'éducation des enfants, si ce n'est en instance punitive suprême (chose de moins en moins répandue d'ailleurs) ?
-Ce manque de conscience par rapport à la tradition laisse la mère parfaite dans les bras d'un fonctionnement par ''bonnes intentions''. Il faut noter que ce mode de fonctionnement éducatif est très pernicieux, cela pour plusieurs raisons.+La tradition comme ''caution'' est une arme à double tranchant car elle génère chez la femme moderne un profond désarroi quant à sa vie de femme : comme en effet, lutter pour garder cette tradition, pour conserver ces rites du passé qui permettent à la mère d'être le parent le plus important et le plus présent et à la fois avoir une vie professionnelle épanouie, pouvoir penser à sa carrière et à son développement personnel ? L'alchimie de ces deux dimensions est, souvent, perdue d'avance, même si elle est un des objectifs de la mère parfaite. La mère parfaite veut souvent être parfaite en tout, du point de vue personnel comme professionnel, tout obstacle la gênant ou gênant le développement qu'elle a prévu pour ses enfants engageant des logiques conflictuelles. Il suffit que se rajoute la volonté d'être une {{G|femme moderne}} (au sens social du terme) et non pas seulement une {{G|mère}}, pour les choses deviennent vite ingérables pour la mère.
-La première est qu'il ne postule pas de cadre rigoureux dans lequel l'enfant doit s'épanouir en respectant des règles. Il est donc souvent arbitraire aux bonnes intentions de la mère qui sont des bonnes intentions d'adulte regardant souvent ses propres enfants comme plus mûrs qu'ils ne le sont, car ne parvenant pas à saisir l'essence de cette enfance en perpétuelle mutation. C'est l'ouverture à un règne de décalages désastreux dans les relations que l'enfant entretient avec sa mère d'abord, puis avec les autres membres de la famille, puis enfin avec le reste de la société (école, amis, etc.) :+== Fonctionnement de la névrose de la mère parfaite ==
-* l'enfant ne comprend pas le «non» et le vit comme une blessure profonde,+ 
-* l'enfant ne comprend pas la valeur de l'argent,+=== Bonnes intentions et manque de règles ===
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 +Ce manque de conscience par rapport à la tradition laisse la mère parfaite dans les bras d'un fonctionnement basé sur les ''bonnes intentions''. Il faut noter que ce mode de fonctionnement éducatif est très pernicieux, cela pour plusieurs raisons.
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 +La première est qu'il ne postule pas de cadre rigoureux dans lequel l'enfant doit s'épanouir en respectant des ''règles''. Il est donc souvent ''arbitraire'' aux bonnes intentions de la mère qui sont des bonnes intentions d'adulte regardant souvent ses propres enfants comme plus mûrs qu'ils ne le sont. La mère parfaite ne parvient pas, en effet, à saisir l'essence de cette enfance en perpétuelle mutation. La mère parfaite ''projette'' sa propre volonté d'adulte sur des enfants dont le chemin d'autonomisation est personnel, ce qui occasionne nombre de décalages de comportements entre volonté et réalité.
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 +=== Difficultés de relation de l'enfant avec le reste du monde ===
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 +Les relations que l'enfant entretient avec sa mère sont par conséquent soumises aux bonnes intentions changeantes de la mère, véritable référent incompréhensible souvent de l'enfant. Le risque est grand que les relations entre mère et enfant s'enveniment, tout comme peuvent s'envenimer les relations de l'enfant avec les autres membres de la famille, puis enfin avec le reste de la société (école, amis, etc.). Typiquement :
 +* l'enfant ne comprend pas le « non » et le vit comme une blessure profonde,
 +* l'enfant ne comprend pas la valeur des choses, notamment de l'argent,
* l'enfant ne fait pas de jeux de son âge ou ne s'habille pas comme on devrait être habillé à son âge, * l'enfant ne fait pas de jeux de son âge ou ne s'habille pas comme on devrait être habillé à son âge,
* l'enfant devient incontrôlable<ref>Cf. [[Le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français]].</ref> * l'enfant devient incontrôlable<ref>Cf. [[Le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français]].</ref>
-La seconde est que la logique des bonnes intentions est une logique névrotique très dangereuse pour la mère, car elle est, à la fois le départ et l'aboutissement de ses raisonnements : les bonnes intentions interviennent en premier, c'est souvent un désastre pour l'enfant qui devient alors, dans l'esprit de la mère quelqu'un de méchant s'il n'accepte pas les conséquences de ces bonnes intentions dont il n'a souvent que faire. La mère tente de culpabiliser l'enfant de ses réactions, ce qui marche souvent, mais laisse un enfant dans un état psychologique de désarroi complet. Ou il a obéit à sa mère en ne comprenant pas pourquoi faire cela à ce moment, ou il a refusé d'obéir et s'est fait chargé avec une culpabilité qui n'était pas la sienne.+=== La culpabilité de la mère ===
-Le corrolaire de la systématisation des bonnes intentions est ''la logique de la preuve''. Afin de se garantir du fait que des intentions bonnes impliquent naturellement des conséquences bonnes pour l'enfant, la mère parfaite cherchera avidement des preuves. Au lieud e s'ouvrir sur un côté affectif qu'elle ne connaît souvent que peu, elle cherchera intellectuellement à se démontrer et à démontrer à ses détracteurs que ce qu'elle fait est bien. ''La preuve intellectuelle soutient la morale''<ref>Voir [[O trop puissant intellect]].</ref>. dans ces accès de recherche de la preuve, la mère parfaite est une mère despotique, cela avec ses enfants et avec son conjoint, car elle ''sait'' mieux que les autres (elle en a la «preuve») que ce qu'elle fait est bien. D'une manière générale, les mères voulant être parfaites sont des personnes dont le côté cérébral est surdimensionné par rapport au côté affectif, aussi étrange que cela puisse paraître, des genres de monstres froids et sans possibilité de voir et de ressentir ce qui se passe chez l'autre, fut-il enfant ou conjoint.+La logique des bonnes intentions est une logique ''névrotique'' qui est aussi dangereuse pour la mère que pour l'enfant. En effet, la mère suivant la logique des bonnes intentions est une mère qui projette sa culpabilité sur son enfant, la culpabilité justement de ''n'être pas'' une mère parfaite. Mais, en raison de l'impossibilité d'accepter consciemment cette idée de ne pas être une mère parfaite, la mère devient despote et fait de son mieux pour être une mère parfaite, tout en culpabilisant de ne pas y arriver et de voir, chaque jour, dans les comportements de l'enfant, le résultat de son échec.
-Les bonnes intentions sont donc le trait originel de la logique despotique de la mère voulant être parfaite, c'est en quelque sorte son armure, qui fait que rien ni personne ne peut lui reprocher des choses. Ne parvenant pas à voir plus loin que ces bonnes intentions, les conséquences de ces dernières ne sont jamais examinées pour ce qu'elles sont et, notamment, suivant les axes de l'efficacité (on pourrait dire pouvoir de nuisibilité à l'ambiance familiale) et effets sur la psychologie de l'enfant.+Cette logique des bonnes intentions est la plupart du temps, à la fois, le point de départ et l'aboutissement des raisonnements de la mère suivant le schéma suivant :
 +* la mère demande à l'enfant quelque chose basée sur ses bonnes intentions (coupables) d'adulte) ;
 +* l'enfant sent qu'il est vu comme gentil s'il obéit et méchant s'il désobéi, sans vraiment pouvoir attacher à ce sentiment une règle absolue ;
 +* si l'enfant n'oébit pas, la mère tente de culpabiliser l'enfant de ses réactions (projection de la culpabilité maternelle) ;
 +* lorsque cette culpabilisation marche, l'enfant entre dans un état psychologique de désarroi complet (il a souvent obéit à sa mère en ne comprenant pas pourquoi faire cela à ce moment, car la situation n'obéit pas à des règles logiques mais au pouvoir absolu de la mère) ;
 +* lorsque cette culpabilisation n'a pas fonctionné, il a refusé d'obéir et s'est trouvé chargé d'une culpabilité qui n'était pas la sienne.
-== Les antécédents sacrificiels ==+C'est pour cette raison que les règles de l'éducation de l'enfant doivent être des règles logiques et reproductibles. C'est au travers de ces règles et des limites qui y sont associées que l'enfant construit son jugement de ce qu'il est bien de faire et de ce qu'il ne faut pas faire. Sans règle et sans limite, l'enfant vit sous le pouvoir dictatorial des sentiments d'une mère desposte, elle-même sous le pouvoir dictatorial d'une logique inconsciente de la culpabilité. L'enfant prend donc mécaniquement une partie de la névrose de la mère.
-Nous noterons brièvement, sans rentrer dans une psychanalyse un peu simpliste, que les antécédents de la mère parfaite sont souvent d'avoir eu une mère parfaite, inflexible, doctrinaire, despotique. Cette mère de la mère s'est «sacrifiée» pour ses enfants, qui ne lui ont jamais donné que du malheur notamment lorsqu'ils sont partis. Bien entendu, ce tableau est un peu schématique mais il montre que la mère parfaite possède très souvent une combinaison des deux névroses suivantes :+=== La logique de la preuve ===
-* un complexe d'infériorité par rapport à sa propre mère (voir la partie suivante pour le détail de ce fardeau),+
-* une dette à rembourser pour payer le sacrifice de sa mère de son propre sacrifice.+
-Dans le premier comme dans le second cas, il est nécessaire de montrer que les impulsions inconscientes de la mère parfaite ont quelque chose d'irrationnel. Dans le premier cas, ce complexe d'infériorité se teinte très fortement d'un ''complexe d'être une mauvaise mère'', cela dû au fait que la femme moderne travaille alors que souvent, sa propre mère ne travaillait pas<ref>Encore une génération à attendre pour que ce complexe commence à s'estomper.</ref>. Dans la démarche d'être une mère parfaite, il y a refoulement du complexe de mauvaise mère, par rapport à la mère sacrificielle dont elle a bénéficié, voire a épuisé, voire dont elle a gâché la vie. Il y a donc, dans le syndrome de la mère parfaite, un syndrome plus profond qui est la relation avec la mère sacrificielle, sans notion de relativité d'époque et de contraintes que vit la femme moderne et que ses propres parents ne connaissaient pas. Le poids de cette dette ainsi que les complexes liés à la mère, référent unique de l'éducation incontestable (car la mère parfaite est parfaite, donc par le fait que sa mère ait dû être parfaite pour élever des enfants parfaits, sa mère à elle est la source de cette perfection), font de la mère parfaite une femme pour laquelle il est à soupçonner quelque névrose.+Le corrolaire de la logique des bonnes intentions est ''la logique de la preuve''. Afin de se garantir du fait que des intentions bonnes impliquent naturellement des conséquences bonnes pour l'enfant, la mère parfaite cherchera avidement des ''preuves'', avant tout pour se prouver à elle-même qu'elle est une mère parfaite.
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 +Au lieu de s'ouvrir sur un côté affectif qu'elle ne connaît souvent que peu (les deux logiques que nous étudions étant très intellectuelles), elle cherchera intellectuellement à se démontrer et à démontrer à ses détracteurs que ce qu'elle fait est ''bon pour l'enfant''. Dans ces accès de recherche de la preuve, la mère parfaite est une mère despotique, cela avec ses enfants et souvent, de la même manière, avec son conjoint, car elle ''sait'' mieux que les autres que ce qu'elle fait est bien, car elle en a la « preuve » (sous-entendue intellectuelle).
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 +D'une manière générale, les mères voulant être parfaites sont des personnes dont le côté cérébral est ''surdimensionné'' par rapport au côté affectif. Or le surdimensionnement de l'intellect provoque souvent la névrose.
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 +Les bonnes intentions sont donc le trait originel de la logique despotique de la mère voulant être parfaite, c'est en quelque sorte son armure, qui fait que rien ni personne ne peut lui reprocher des choses, à commencer par elle-même. Ne parvenant pas à voir plus loin que ces bonnes intentions, les conséquences de ces dernières ne sont jamais examinées pour ce qu'elles sont, et non pas pour ce qu'elles devaient produire. Cet état de faits peut provoquer une certaine nuisibilité à l'ensemble de la famille, à commencer par le couple.
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 +Nous pourrions pointer cette logique des bonnes intentions comme un héritage de la tradition française catholique. En effet, si les intentions sont bonnes, quelques soient les conséquences, on peut s'inventer des justifications pour avoir commis des erreurs. Cette tradition des bonnes intentions est très ancrée dans notre culture inconsciente française<ref>Un des derniers exemples en date est l'affaire de l'Arche de Zoé, summum de la logique des bonnes intentions induisant des actes répréhensibles pénalement.</ref>.
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 +=== Des antécédents sacrificiels ===
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 +Nous noterons brièvement, sans rentrer dans une psychanalyse un peu simpliste, que les antécédents de la mère parfaite sont souvent d'avoir eu, elle aussi, une mère parfaite, inflexible, doctrinaire, despotique. Cette mère de la mère s'est « sacrifiée » pour ses enfants et l'a montré, tout comme elle a montré le malheur causé par leur départ (culpabilisation de l'enfant devenu adulte). Bien entendu, ce tableau est un peu schématique mais il montre que la mère parfaite possède très souvent une combinaison des deux névroses suivantes :
 +* un complexe d'infériorité par rapport à sa propre mère,
 +* la volonté de la dette due au sacrifice de sa propre mère par son propre sacrifice.
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 +Dans le premier comme dans le second cas, il est nécessaire de montrer que les impulsions inconscientes de la mère parfaite ont quelque chose d'irrationnel. Dans le premier cas, ce complexe d'infériorité se teinte très fortement d'un ''complexe d'être une mauvaise mère'', cela dû au fait que la femme moderne travaille alors que souvent, sa propre mère ne travaillait pas. Dans la démarche d'être une mère parfaite, il y a refoulement du complexe de mauvaise mère, par rapport à la mère sacrificielle dont elle a bénéficié, voire a épuisé, voire dont elle a {{G|gâché}} la vie.
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 +Il y a donc, dans le syndrome de la mère parfaite, un syndrome plus profond qui est la relation avec la mère sacrificielle :
 +* sans notion de relativité d'époque et de contraintes que vit la femme moderne et que ses propres parents ne connaissaient pas,
 +* sans remise en question de la soi-disante perfection de la mère supposée sacrificielle.
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 +C'est le côté passé personnel qui émerge de la tradition, où l'incarnation de la tradition de la femme au foyer, ménagère et mère parfaite, qui s'incarne dans l'image forte de la mère parfaite de la fille devenant mère parfaite à son tour. Nous sommes en présence de ce que l'on pourrait nommer une ''névrose générationnelle''.
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 +== La place du père ==
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 +De plus, dans un couple où la mère se dit parfaite ou cherche à approcher de la perfection, le père est souvent absent, quand bien même il tenterait d'être présent. Il sent souvent qu'il n'est pas à sa place dans les conflits et que ses méthodes peuvent être totalement décalées dans les marchandages pétris des bonnes intentions de la mère parfaite. Bien entendu, certains pères soutiennent aussi cette démarche des bonnes intentions et partent du principe que si l'intention des parents est bonne, il ne tient qu'à l'enfant que cette intention soit traduite par un bon comportement. Or, pourtant, les choses sont souvent plus complexes que cela.
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 +Notons que le père n'a pas de place véritable dans un couple dont la mère a le syndrome de la mère parfaite. Il peut être relégué au rôle de l'amusement de l'enfant. Dans ce cas, la mère parfaite ''infantilisera'' son mari en le cantonnant dans un rôle d'enfant, tout cela parce qu'elle a l'illusion de ''maîtriser'' l'enfant. Mais souvent, elle reprochera à son mari d'être un enfant, alors qu'elle-même ne laisse pas d'autre place dans le couple pour le mari qu'en tant qu'autre enfant. La seconde solution est qu'elle place le père à l'écart, le rendant ''de facto'' un père absent, avec les conséquences catastrophiques de cela peut avoir sur l'enfant, sur sa sexualisation et sur sa vie future.
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 +D'une certaine manière, la névrose de la mère parfaite force sur les points faibles de son mari :
 +* si ce dernier n'est pas impliqué a priori, il deviendra absent ;
 +* si son mari n'est pas mûr, il reprendra une place d'enfant psychologique auprès de sa propre femme.
 + 
 +Ce deuxième cas est très difficile à découvrir pour une mère en analyse, car il lui faut comprendre qu'elle a eu un effet néfaste sur les comportements de son propre mari, en l'infantilisant et alors même qu'elle lui reproche les comportements dans lesquels elle l'emprisonne. Pour peu que le mari ait eu une mère despote, la boucle est bouclée. Une fois encore, nous entroyons un pattern de névrose générationnelle, au niveau du père cette fois.
== La vie de l'enfant avec une mère parfaite == == La vie de l'enfant avec une mère parfaite ==
 +
 +=== Des facilités pour l'enfant ===
La vie d'un enfant sous la domination d'une mère parfaite n'est pas toujours difficile, on pourrait même dire plus : elle comporte souvent trop de facilités : La vie d'un enfant sous la domination d'une mère parfaite n'est pas toujours difficile, on pourrait même dire plus : elle comporte souvent trop de facilités :
* cadeaux inopinés et injustifiés tout le temps, * cadeaux inopinés et injustifiés tout le temps,
-* mansuétude de la mère dans les jeunes années du développement de l'enfant (avec rigueur souvent excessive à l'adolescence),+* mansuétude (injustifiée) de la mère dans les jeunes années du développement de l'enfant, suivie d'une rigueur souvent excessive (et injustifiée) à l'adolescence,
* état fusionnel entre la mère et l'enfant, avec projection des angoisses de la mère ou des passions de la mère dans l'enfant, * état fusionnel entre la mère et l'enfant, avec projection des angoisses de la mère ou des passions de la mère dans l'enfant,
-* défense inconditionnelle de l'enfant dans des situations ne le méritant pas.+* défense inconditionnelle de l'enfant dans des situations ne le méritant pas,
 +* etc.
-De plus, dans un couple où la mère se dit parfaite ou cherche à approcher de la perfection, le père est souvent absent, même quand il est présent. Il sent souvent qu'il n'est pas à sa place dans les conflits et que ses méthodes peuvent être totalement décalées dans les marchandages faits des bonnes intentions de la mère parfaite. Bien entendu, certains pères soutiennent aussi cette démarche des bonnes intentions et partent du principe que si l'intention des parents est bonne, il ne tient qu'à l'enfant que cette intention soit bien reçue et bien acceptée. Or, pourtant, les choses sont souvent plus complexes que cela.+=== Le futur de l'enfant de la mère parfaite ===
L'enfant avec une mère parfaite entre dans une voie dans laquelle se profile un choix clair : ou l'enfant se révolte à certain moment contre sa mère et ses bonnes intentions, ou il ne le fait pas. Dans le premier cas, la crise se passera probablement à l'adolescence (étant entendu que l'adolescence peut évoluer de l'âge de dix ou onze ans jusqu'à la trentaine<ref>Cf. [[L'éternelle adolescence]].</ref>. Dans le second cas, marqué par des dispositions tyranniques d'une mère qui sait tout en raison de sa perfection, l'enfant subira le poids de ce passé jusqu'à ce qu'il ou elle soit en mesure de résoudre ce problème avec un psychanalyste. Notons que d'ailleurs, pour ce genre de cas, la cure psychanalytique peut être trop brutale pour la personne en raison d'une nécessité de fondation de toute une série de valeurs qui auraient dû être inculquées dès l'enfance, et que par conséquent, un psychanalyste intelligent pourra conclure au fait que la personne doit vivre avec son malaise sans pouvoir espérer être une personne normale un jour. C'est dans ce cas que la perfection pourra se transmettre d'une génération à l'autre et d'endommagement des enfants se perpétuer au travers des générations. L'enfant avec une mère parfaite entre dans une voie dans laquelle se profile un choix clair : ou l'enfant se révolte à certain moment contre sa mère et ses bonnes intentions, ou il ne le fait pas. Dans le premier cas, la crise se passera probablement à l'adolescence (étant entendu que l'adolescence peut évoluer de l'âge de dix ou onze ans jusqu'à la trentaine<ref>Cf. [[L'éternelle adolescence]].</ref>. Dans le second cas, marqué par des dispositions tyranniques d'une mère qui sait tout en raison de sa perfection, l'enfant subira le poids de ce passé jusqu'à ce qu'il ou elle soit en mesure de résoudre ce problème avec un psychanalyste. Notons que d'ailleurs, pour ce genre de cas, la cure psychanalytique peut être trop brutale pour la personne en raison d'une nécessité de fondation de toute une série de valeurs qui auraient dû être inculquées dès l'enfance, et que par conséquent, un psychanalyste intelligent pourra conclure au fait que la personne doit vivre avec son malaise sans pouvoir espérer être une personne normale un jour. C'est dans ce cas que la perfection pourra se transmettre d'une génération à l'autre et d'endommagement des enfants se perpétuer au travers des générations.
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Version du 2 janvier 2008 à 12:59

Sommaire

Introduction

Cet article expose un syndrome étonnant à notre époque car chargé d'un passé collectif profond : le syndrome de la mère parfaite, et le despotisme qui en découle très souvent. Il n'est pas sans rapport avec le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français. Nous allons tenter, dans cet article, de faire la part des choses entre le mythe, le fantasme et la réalité quant au comportement de certaines mères et à l'impact profondément négatif qu'elles peuvent avoir malgré elles sur leurs enfants.

Avant d'aller plus loin dans la réflexion, notons qu'il n'est pas dans notre but de mettre la mère en défaut, ni de critiquer a priori le rôle de la mère tel qu'il est souvent, ni même de nier qu'il y a ait des mères dont le but soit de viser vers une certaine perfection de l'éducation (ce qui est déjà un non sens logique, comme nous allons le voir). Il s'agit plus d'une tentative de séparer des problématiques mêlées, actuelles et passées, qui brouillent les pistes de l'éducation des enfants actuels et qui laissent, au regard de la société toute entière, de véritables despotes détruire de manière durable l'équilibre psychologique de leurs enfants pour de bonnes intentions.

Pouvoir et présence des mères

La notion de pouvoir des mères est une notion très complexe au sein de notre société car ce mot recouvre diverses influences :

  • certaines influences sont issues de la tradition française en termes d'éducation,
  • d'autres de l'inconscient collectif actuel portant des traces inavouées de cette tradition,
  • d'autres de l'héritage éducatif personnel de la mère,
  • d'autres enfin de la personnalité de la mère et de ses relations avec d'autres enfants, ses frères et sœurs en premier lieu.

Derrière un certain nombre de pathologies importantes chez l'enfant, on retrouve souvent le spectre de la mère. Ceci n'est bien entendu pas un cas général, mais si le père peut être source de pathologies psychologiques de l'enfant, notamment par son absence[1], la mère possède souvent, de part sa présence souvent envahissante, un pouvoir que n'a pas le père dans le quotidien de l'enfant.

Dans ce sens, on peut parler d'un certain pouvoir de la mère sur l'enfant, ne serait-ce que parce qu'encore aujourd'hui, les mères sont souvent plus présentes que les pères au sein de l'éducation des enfants. Or, cette présence n'est pas seulement un avantage, elle peut être aussi néfaste au point que la mère va exercer un effet parfois désastreux sur l'émancipation de l'enfant, par cette omniprésence. En quelque sorte, cette présence est à double tranchant, car l'enfant devra un jour ou l'autre entrer en conflit avec sa mère s'il veut acquérir une certaine liberté. Les enfants qui n'en sont pas capables verront leur vie d'adulte pénalisée par cette prédominance de l'image de la mère.

Nous allons tenter de comprendre pourquoi et comment se perpétue ce pouvoir despotique de la mère voulant être parfaite dans un certain nombre de cas, en passant en revue un certain nombre de dimensions du problème. Puis nous reviendrons aux problèmes rencontrés par les enfants et leur psychologie ainsi qu'aux problèmes de base auxquels les parents devront répondre pour permettre l'émancipation de leur enfant.

Tradition et inconscient collectif

Un passé aux influences contradictoires

La tradition, même si on peut la remettre en cause de manière intellectuelle, est très souvent plus vivace qu'il n'y paraît. Pour les parents âgés de la trentaine aujourd'hui et nés dans les années 70, le problème est double :

  • leurs grands-parents sont la plupart du temps issus d'un monde agricole ou ouvier, sous une forte dominante morale et religieuse où le divorce était quasiment impossible et où l'on devait s'accommoder du manque de contraception ;
  • leurs parents ont vécu les années 60 et le choc de la révolte de 1968, étape qui a causé sur notre société des confusions morales importantes et un rejet de l'autorité a priori[2].

Or cette double tradition, incohérente dans ses principes, a le mauvais goût de durer dans l'inconscient collectif plus qu'on ne pourrait le penser, le rendant tantôt révolutionnaire et tantôt réactionnaire si l'on veut verser dans le schématisme. Or, malgré une prédominance de l'intellect dans notre société, la plupart des gens sont souvent persuadés d'avoir abandonné la tradition, de l'avoir digérée, d'en avoir fait un fait passé et mort[3] et donc de bénéficier de leur « libre arbitre ».

Cependant, les choses ne sont pas si simples. En effet, la plus petite contrainte ou le plus petit événement extérieur porteur de pression induit le plus souvent un repli automatique (et inconscient) vers le comportement traditionnel. Cela montre qu'une prise de conscience intellectuelle de ses propres modèles ne suffit souvent pas pour être certain de ne pas les appliquer à notre insu.

Mère despote et père obligatoirement absent

Dans le cas qui nous occupe, la prise de conscience d'un problème d'image par rapport à la tradition, d'identification rassurante avec la tradition, ne s'est souvent pas produite chez la mère despotique. Il y a donc, comme dans une large part de la société névrotique[4], au contraire, une certitude de la liberté qui n'est guidée que par un seul principe : les bonnes intentions. La tradition est dans ce schéma la caution qui fait que la mère despotique sait alors que le père ne sait pas, que le père s'il n'est pas absent, doit rester en retrait par rapport à la mère despotique qui le représente comme absent dans son inconscient, comme cela a toujours été dans son imagerie traditionnelle. Car pour être une mère parfaite, il est clair qu'il faut avoir le rôle phare de l'éducation des enfants. De quel droit et selon quelle tradition le père doit-il se mêler de l'éducation des enfants, si ce n'est en instance punitive suprême (chose de moins en moins répandue d'ailleurs) ?

La tradition comme caution est une arme à double tranchant car elle génère chez la femme moderne un profond désarroi quant à sa vie de femme : comme en effet, lutter pour garder cette tradition, pour conserver ces rites du passé qui permettent à la mère d'être le parent le plus important et le plus présent et à la fois avoir une vie professionnelle épanouie, pouvoir penser à sa carrière et à son développement personnel ? L'alchimie de ces deux dimensions est, souvent, perdue d'avance, même si elle est un des objectifs de la mère parfaite. La mère parfaite veut souvent être parfaite en tout, du point de vue personnel comme professionnel, tout obstacle la gênant ou gênant le développement qu'elle a prévu pour ses enfants engageant des logiques conflictuelles. Il suffit que se rajoute la volonté d'être une « femme moderne » (au sens social du terme) et non pas seulement une « mère », pour les choses deviennent vite ingérables pour la mère.

Fonctionnement de la névrose de la mère parfaite

Bonnes intentions et manque de règles

Ce manque de conscience par rapport à la tradition laisse la mère parfaite dans les bras d'un fonctionnement basé sur les bonnes intentions. Il faut noter que ce mode de fonctionnement éducatif est très pernicieux, cela pour plusieurs raisons.

La première est qu'il ne postule pas de cadre rigoureux dans lequel l'enfant doit s'épanouir en respectant des règles. Il est donc souvent arbitraire aux bonnes intentions de la mère qui sont des bonnes intentions d'adulte regardant souvent ses propres enfants comme plus mûrs qu'ils ne le sont. La mère parfaite ne parvient pas, en effet, à saisir l'essence de cette enfance en perpétuelle mutation. La mère parfaite projette sa propre volonté d'adulte sur des enfants dont le chemin d'autonomisation est personnel, ce qui occasionne nombre de décalages de comportements entre volonté et réalité.

Difficultés de relation de l'enfant avec le reste du monde

Les relations que l'enfant entretient avec sa mère sont par conséquent soumises aux bonnes intentions changeantes de la mère, véritable référent incompréhensible souvent de l'enfant. Le risque est grand que les relations entre mère et enfant s'enveniment, tout comme peuvent s'envenimer les relations de l'enfant avec les autres membres de la famille, puis enfin avec le reste de la société (école, amis, etc.). Typiquement :

  • l'enfant ne comprend pas le « non » et le vit comme une blessure profonde,
  • l'enfant ne comprend pas la valeur des choses, notamment de l'argent,
  • l'enfant ne fait pas de jeux de son âge ou ne s'habille pas comme on devrait être habillé à son âge,
  • l'enfant devient incontrôlable[5]

La culpabilité de la mère

La logique des bonnes intentions est une logique névrotique qui est aussi dangereuse pour la mère que pour l'enfant. En effet, la mère suivant la logique des bonnes intentions est une mère qui projette sa culpabilité sur son enfant, la culpabilité justement de n'être pas une mère parfaite. Mais, en raison de l'impossibilité d'accepter consciemment cette idée de ne pas être une mère parfaite, la mère devient despote et fait de son mieux pour être une mère parfaite, tout en culpabilisant de ne pas y arriver et de voir, chaque jour, dans les comportements de l'enfant, le résultat de son échec.

Cette logique des bonnes intentions est la plupart du temps, à la fois, le point de départ et l'aboutissement des raisonnements de la mère suivant le schéma suivant :

  • la mère demande à l'enfant quelque chose basée sur ses bonnes intentions (coupables) d'adulte) ;
  • l'enfant sent qu'il est vu comme gentil s'il obéit et méchant s'il désobéi, sans vraiment pouvoir attacher à ce sentiment une règle absolue ;
  • si l'enfant n'oébit pas, la mère tente de culpabiliser l'enfant de ses réactions (projection de la culpabilité maternelle) ;
  • lorsque cette culpabilisation marche, l'enfant entre dans un état psychologique de désarroi complet (il a souvent obéit à sa mère en ne comprenant pas pourquoi faire cela à ce moment, car la situation n'obéit pas à des règles logiques mais au pouvoir absolu de la mère) ;
  • lorsque cette culpabilisation n'a pas fonctionné, il a refusé d'obéir et s'est trouvé chargé d'une culpabilité qui n'était pas la sienne.

C'est pour cette raison que les règles de l'éducation de l'enfant doivent être des règles logiques et reproductibles. C'est au travers de ces règles et des limites qui y sont associées que l'enfant construit son jugement de ce qu'il est bien de faire et de ce qu'il ne faut pas faire. Sans règle et sans limite, l'enfant vit sous le pouvoir dictatorial des sentiments d'une mère desposte, elle-même sous le pouvoir dictatorial d'une logique inconsciente de la culpabilité. L'enfant prend donc mécaniquement une partie de la névrose de la mère.

La logique de la preuve

Le corrolaire de la logique des bonnes intentions est la logique de la preuve. Afin de se garantir du fait que des intentions bonnes impliquent naturellement des conséquences bonnes pour l'enfant, la mère parfaite cherchera avidement des preuves, avant tout pour se prouver à elle-même qu'elle est une mère parfaite.

Au lieu de s'ouvrir sur un côté affectif qu'elle ne connaît souvent que peu (les deux logiques que nous étudions étant très intellectuelles), elle cherchera intellectuellement à se démontrer et à démontrer à ses détracteurs que ce qu'elle fait est bon pour l'enfant. Dans ces accès de recherche de la preuve, la mère parfaite est une mère despotique, cela avec ses enfants et souvent, de la même manière, avec son conjoint, car elle sait mieux que les autres que ce qu'elle fait est bien, car elle en a la « preuve » (sous-entendue intellectuelle).

D'une manière générale, les mères voulant être parfaites sont des personnes dont le côté cérébral est surdimensionné par rapport au côté affectif. Or le surdimensionnement de l'intellect provoque souvent la névrose.

Les bonnes intentions sont donc le trait originel de la logique despotique de la mère voulant être parfaite, c'est en quelque sorte son armure, qui fait que rien ni personne ne peut lui reprocher des choses, à commencer par elle-même. Ne parvenant pas à voir plus loin que ces bonnes intentions, les conséquences de ces dernières ne sont jamais examinées pour ce qu'elles sont, et non pas pour ce qu'elles devaient produire. Cet état de faits peut provoquer une certaine nuisibilité à l'ensemble de la famille, à commencer par le couple.

Nous pourrions pointer cette logique des bonnes intentions comme un héritage de la tradition française catholique. En effet, si les intentions sont bonnes, quelques soient les conséquences, on peut s'inventer des justifications pour avoir commis des erreurs. Cette tradition des bonnes intentions est très ancrée dans notre culture inconsciente française[6].

Des antécédents sacrificiels

Nous noterons brièvement, sans rentrer dans une psychanalyse un peu simpliste, que les antécédents de la mère parfaite sont souvent d'avoir eu, elle aussi, une mère parfaite, inflexible, doctrinaire, despotique. Cette mère de la mère s'est « sacrifiée » pour ses enfants et l'a montré, tout comme elle a montré le malheur causé par leur départ (culpabilisation de l'enfant devenu adulte). Bien entendu, ce tableau est un peu schématique mais il montre que la mère parfaite possède très souvent une combinaison des deux névroses suivantes :

  • un complexe d'infériorité par rapport à sa propre mère,
  • la volonté de la dette due au sacrifice de sa propre mère par son propre sacrifice.

Dans le premier comme dans le second cas, il est nécessaire de montrer que les impulsions inconscientes de la mère parfaite ont quelque chose d'irrationnel. Dans le premier cas, ce complexe d'infériorité se teinte très fortement d'un complexe d'être une mauvaise mère, cela dû au fait que la femme moderne travaille alors que souvent, sa propre mère ne travaillait pas. Dans la démarche d'être une mère parfaite, il y a refoulement du complexe de mauvaise mère, par rapport à la mère sacrificielle dont elle a bénéficié, voire a épuisé, voire dont elle a « gâché » la vie.

Il y a donc, dans le syndrome de la mère parfaite, un syndrome plus profond qui est la relation avec la mère sacrificielle :

  • sans notion de relativité d'époque et de contraintes que vit la femme moderne et que ses propres parents ne connaissaient pas,
  • sans remise en question de la soi-disante perfection de la mère supposée sacrificielle.

C'est le côté passé personnel qui émerge de la tradition, où l'incarnation de la tradition de la femme au foyer, ménagère et mère parfaite, qui s'incarne dans l'image forte de la mère parfaite de la fille devenant mère parfaite à son tour. Nous sommes en présence de ce que l'on pourrait nommer une névrose générationnelle.

La place du père

De plus, dans un couple où la mère se dit parfaite ou cherche à approcher de la perfection, le père est souvent absent, quand bien même il tenterait d'être présent. Il sent souvent qu'il n'est pas à sa place dans les conflits et que ses méthodes peuvent être totalement décalées dans les marchandages pétris des bonnes intentions de la mère parfaite. Bien entendu, certains pères soutiennent aussi cette démarche des bonnes intentions et partent du principe que si l'intention des parents est bonne, il ne tient qu'à l'enfant que cette intention soit traduite par un bon comportement. Or, pourtant, les choses sont souvent plus complexes que cela.

Notons que le père n'a pas de place véritable dans un couple dont la mère a le syndrome de la mère parfaite. Il peut être relégué au rôle de l'amusement de l'enfant. Dans ce cas, la mère parfaite infantilisera son mari en le cantonnant dans un rôle d'enfant, tout cela parce qu'elle a l'illusion de maîtriser l'enfant. Mais souvent, elle reprochera à son mari d'être un enfant, alors qu'elle-même ne laisse pas d'autre place dans le couple pour le mari qu'en tant qu'autre enfant. La seconde solution est qu'elle place le père à l'écart, le rendant de facto un père absent, avec les conséquences catastrophiques de cela peut avoir sur l'enfant, sur sa sexualisation et sur sa vie future.

D'une certaine manière, la névrose de la mère parfaite force sur les points faibles de son mari :

  • si ce dernier n'est pas impliqué a priori, il deviendra absent ;
  • si son mari n'est pas mûr, il reprendra une place d'enfant psychologique auprès de sa propre femme.

Ce deuxième cas est très difficile à découvrir pour une mère en analyse, car il lui faut comprendre qu'elle a eu un effet néfaste sur les comportements de son propre mari, en l'infantilisant et alors même qu'elle lui reproche les comportements dans lesquels elle l'emprisonne. Pour peu que le mari ait eu une mère despote, la boucle est bouclée. Une fois encore, nous entroyons un pattern de névrose générationnelle, au niveau du père cette fois.

La vie de l'enfant avec une mère parfaite

Des facilités pour l'enfant

La vie d'un enfant sous la domination d'une mère parfaite n'est pas toujours difficile, on pourrait même dire plus : elle comporte souvent trop de facilités :

  • cadeaux inopinés et injustifiés tout le temps,
  • mansuétude (injustifiée) de la mère dans les jeunes années du développement de l'enfant, suivie d'une rigueur souvent excessive (et injustifiée) à l'adolescence,
  • état fusionnel entre la mère et l'enfant, avec projection des angoisses de la mère ou des passions de la mère dans l'enfant,
  • défense inconditionnelle de l'enfant dans des situations ne le méritant pas,
  • etc.

Le futur de l'enfant de la mère parfaite

L'enfant avec une mère parfaite entre dans une voie dans laquelle se profile un choix clair : ou l'enfant se révolte à certain moment contre sa mère et ses bonnes intentions, ou il ne le fait pas. Dans le premier cas, la crise se passera probablement à l'adolescence (étant entendu que l'adolescence peut évoluer de l'âge de dix ou onze ans jusqu'à la trentaine[7]. Dans le second cas, marqué par des dispositions tyranniques d'une mère qui sait tout en raison de sa perfection, l'enfant subira le poids de ce passé jusqu'à ce qu'il ou elle soit en mesure de résoudre ce problème avec un psychanalyste. Notons que d'ailleurs, pour ce genre de cas, la cure psychanalytique peut être trop brutale pour la personne en raison d'une nécessité de fondation de toute une série de valeurs qui auraient dû être inculquées dès l'enfance, et que par conséquent, un psychanalyste intelligent pourra conclure au fait que la personne doit vivre avec son malaise sans pouvoir espérer être une personne normale un jour. C'est dans ce cas que la perfection pourra se transmettre d'une génération à l'autre et d'endommagement des enfants se perpétuer au travers des générations.

Si crise il y a, il faut souligner toute la violence de la crise dans laquelle la mère, faisant usage du chantage aux sentiments, usera de tous les moyens de pression psychologiques les plus abjects pour faire plier l'enfant ou l'adolescent, ainsi que de toutes les punitions les plus arbitraires et les plus injustifiées (par rapport à la gravité des faits reprochés ou par rapport au moment où ils ont été commis). Dès lors, même extraits de cette dépendance, les enfants des mères parfaites peuvent ne pas s'en tirer sans séquelles et eux-mêmes doivent beaucoup travailler sur eux au delà ce conflit, pour avancer dans la vie.

Quelques faits et pièges à connaître

Il n'y a pas de solutions pour bien élever les enfants et même si ces solutions existaient, la plupart d'entre nous ne pourraient les appliquer pour des raisons d'incompatibilité avec leur tempérament personnel. Pourtant quelques faits constants doivent être soulignés :

  • l'enfant nécessite une image maternelle et paternelle, de l'amour et des attentions ;
  • l'enfant n'est pas le jouet des parents ;
  • l'enfant est une personne, mais pas encore un adulte ;
  • l'enfant a besoin de limites, sans elles, il part à la dérive ;
  • l'enfant ne peut pas faire son éducation seul et nécessite de l'autorité (à ne pas confondre avec autoritarisme) ;
  • l'enfant est en perpétuelle mutation, c'est pourquoi il faut sans arrêt ajuster les limites à son âge et à ses aspirations tout en remettant jamais en cause le noyau dur des barrières imposées ;
  • faire plaisir à l'enfant n'est pas un but en soin, au contraire, il vaut mieux éveiller le désir de l'enfant.

Que ces lignes puissent à tout le moins faire réfléchir des mères qui, en voulant être parfaites, en arrivent à détruire leurs enfants et leur psychologie.