Le despotisme de la mère parfaite

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Cet article expose un syndrome étonnant à notre époque car chargé d'un passé collectif profond : le syndrome de la mère parfaite, et le despotisme qui en découle très souvent. Il n'est pas sans rapport avec le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français. Nous allons tenter, dans cet article, de faire la part des choses entre le mythe, le fantasme et la réalité quant au comportement de certaines mères et à l'impact profondément négatif qu'elles peuvent avoir malgré elles sur leurs enfants.

Avant d'aller plus loin dans la réflexion, notons qu'il n'est pas dans notre but de mettre la mère en défaut, ni de critiquer a priori le rôle de la mère tel qu'il est souvent, ni même de nier qu'il y a ait des mères dont le but soit de viser vers une certaine perfection de l'éducation (ce qui est déjà un non sens logique, comme nous allons le voir). Il s'agit plus d'une tentative de séparer des problématiques mêlées, actuelles et passées, qui brouillent les pistes de l'éducation des enfants actuels et qui laissent, au regard de la société toute entière, de véritables despotes détruire de manière durable l'équilibre psychologique de leurs enfants pour de bonnes intentions.

Sommaire

Pouvoir et présence des mères

La notion de pouvoir des mères est une notion très complexe au sein de notre société car elle mélange une grande quantité de notions, dont certaines sont issues de la tradition, d'autres de l'inconscient collectif présent portant des traces inavouées de cette tradition, d'autres de l'héritage éducatif personnel, et enfin les derniers de la personnalité de la mère et de ses relations avec d'autres enfants, ses frères et sœurs en premier lieu[1].

Derrière un certain nombre de pathologies importantes chez l'enfant, on retrouve souvent le spectre de la mère. Ceci n'est bien entendu pas un cas général, mais si le père peut être source de pathologies psychologiques de l'enfant, notamment par son absence[2], la mère possède souvent, de part sa présence souvent envahissante, un pouvoir que n'a pas le père dans le quotidien de l'enfant.

Dans ce sens, on peut parler d'un certain pouvoir de la mère sur l'enfant, ne seraitce que parce qu'encore aujourd'hui, les mères sont souvent plus présentes que les pères au sein de l'éducation des enfants. Or, cette présence n'est pas seulement un avantage, elle peut être aussi néfaste au point que la mère va exercer un effet parfois désastreux sur l'émancipation de l'enfant, par cette omniprésence. En quelque sorte, cette présence est à double tranchant, car l'enfant devra un jour ou l'autre entrer en conflit avec sa mère s'il veut acquérir une certaine liberté. Les enfants qui n'en sont pas capables verront leur vie d'adulte pénalisée par cette prédominance de l'image de la mère.

Nous allons tenter de comprendre pourquoi et comment se perpétue ce pouvoir despotique de la mère voulant être parfaite dans un certain nombre de cas, en passant en revue un certain nombre de dimensions du problème. Puis nous reviendrons aux problèmes rencontrés par les enfants et leur psychologie ainsi qu'aux problèmes de base auxquels les parents devront répondre au cours de l'émancipation de leur enfant.

Tradition et inconscient collectif

La tradition, même si on peut la remettre en cause de manière intellectuelle, est très souvent plus vivace qu'il n'y paraît. Pour les parents âgés de la trentaine aujourd'hui et nés dans les années 70, le problème est double :

  • leurs grandsparents sont la plupart du temps issus d'un monde agricole, sous une forte dominante morale et religieuse où le divorce était quasiment impossible et où l'on devait s'accommoder du manque de contraception ;
  • leurs parents ont vécu les années 60 et le choc de la révolte de 1968, étape qui a causé sur notre société des confusions morales importantes et un rejet de l'autorité a priori[3].

Or cette double tradition, incohérente dans ses principes, a le mauvais goût de durer dans l'inconscient collectif plus qu'on ne pourrait le penser, le rendant tantôt révolutionnaire et tantôt réactionnaire si l'on veut verser dans le schématisme. Or, malgré une prédominance de l'intellect dans notre société[4], la plupart des gens sont souvent persuadés d'avoir abandonné la tradition, de l'avoir digérée, d'en avoir fait un fait passé et mort[5], de baigner en plein libre arbitre. Mais la plus petite contrainte ou le plus petit événement extérieur porteur de pression implique de manière automatique un repli vers le comportement traditionnel et sûr, sans prise de conscience a posteriori du caractère dangereux de cette démarche. Ce phénomène montre à quel point prendre conscience d'une aliénation n'est souvent que le premier pas vers la libération envers cette aliénation, mais qu'en aucun cas, la seule prise de conscience suffit. Un travail de fond doit être mené pour se débarrasser des réflexes acquis.

Dans le cas qui nous occupe, la prise de conscience d'un problème d'image par rapport à la tradition, d'identification rassurante avec la tradition, ne s'est souvent pas produite chez la mère despotique. Il y a donc, comme dans une large part de la société névrotique[6], au contraire, une certitude de la liberté qui n'est guidée que par un seul principe : les bonnes intentions. La tradition est dans ce schéma la caution qui fait que la mère despotique sait alors que le père ne sait pas, que le père s'il n'est pas absent, doit rester en retrait par rapport à la mère despotique qui le représente comme absent dans son inconscient, comme cela a toujours été dans son imagerie traditionnelle. Car pour être une mère parfaite, il est clair qu'il faut avoir le rôle phare de l'éducation des enfants. De quel droit et selon quelle tradition le père doitil se mêler de l'éducation des enfants, si ce n'est en instance punitive suprême (chose de moins en moins répandue d'ailleurs) ?

La tradition comme caution est une arme à double tranchant car elle génère chez la femme moderne un profond désarroi quant à sa vie de femme : comme en effet, lutter pour garder cette tradition, pour conserver ces rites du passé qui permettent à la mère d'être le parent le plus important et le plus présent et à la fois avoir une vie professionnelle épanouie, pouvoir penser à sa carrière et à son développement personnel ? L'alchimie de ces deux dimensions est, selon moi, perdue d'avance, même si elle est un des traits de la mère parfaite. La mère parfaite veut souvent être parfaite en tout, du point de vue personnel comme professionnel, tout obstacle la gênant ou gênant le développement qu'elle a prévu pour ses enfants engageant des logiques conflictuelles.

Bonnes intentions et logique de la preuve

Ce manque de conscience par rapport à la tradition laisse la mère parfaite dans les bras d'un fonctionnement par bonnes intentions. Il faut noter que ce mode de fonctionnement éducatif est très pernicieux, cela pour plusieurs raisons.

La première est qu'il ne postule pas de cadre rigoureux dans lequel l'enfant doit s'épanouir en respectant des règles. Il est donc souvent arbitraire aux bonnes intentions de la mère qui sont des bonnes intentions d'adulte regardant souvent ses propres enfants comme plus mûrs qu'ils ne le sont, car ne parvenant pas à saisir l'essence de cette enfance en perpétuelle mutation. C'est l'ouverture à un règne de décalages désastreux dans les relations que l'enfant entretient avec sa mère d'abord, puis avec les autres membres de la famille, puis enfin avec le reste de la société (école, amis, etc.) :

  • l'enfant ne comprend pas le «non» et le vit comme une blessure profonde,
  • l'enfant ne comprend pas la valeur de l'argent,
  • l'enfant ne fait pas de jeux de son âge ou ne s'habille pas comme on devrait être habillé à son âge,
  • l'enfant devient incontrôlable[7]

La seconde est que la logique des bonnes intentions est une logique névrotique très dangereuse pour la mère, car elle est, à la fois le départ et l'aboutissement de ses raisonnements : les bonnes intentions interviennent en premier, c'est souvent un désastre pour l'enfant qui devient alors, dans l'esprit de la mère quelqu'un de méchant s'il n'accepte pas les conséquences de ces bonnes intentions dont il n'a souvent que faire. La mère tente de culpabiliser l'enfant de ses réactions, ce qui marche souvent, mais laisse un enfant dans un état psychologique de désarroi complet. Ou il a obéit à sa mère en ne comprenant pas pourquoi faire cela à ce moment, ou il a refusé d'obéir et s'est fait chargé avec une culpabilité qui n'était pas la sienne.

Le corrolaire de la systématisation des bonnes intentions est la logique de la preuve. Afin de se garantir du fait que des intentions bonnes impliquent naturellement des conséquences bonnes pour l'enfant, la mère parfaite cherchera avidement des preuves. Au lieud e s'ouvrir sur un côté affectif qu'elle ne connaît souvent que peu, elle cherchera intellectuellement à se démontrer et à démontrer à ses détracteurs que ce qu'elle fait est bien. La preuve intellectuelle soutient la morale[8]. dans ces accès de recherche de la preuve, la mère parfaite est une mère despotique, cela avec ses enfants et avec son conjoint, car elle sait mieux que les autres (elle en a la «preuve») que ce qu'elle fait est bien. D'une manière générale, les mères voulant être parfaites sont des personnes dont le côté cérébral est surdimensionné par rapport au côté affectif, aussi étrange que cela puisse paraître, des genres de monstres froids et sans possibilité de voir et de ressentir ce qui se passe chez l'autre, fut-il enfant ou conjoint.

Les bonnes intentions sont donc le trait originel de la logique despotique de la mère voulant être parfaite, c'est en quelque sorte son armure, qui fait que rien ni personne ne peut lui reprocher des choses. Ne parvenant pas à voir plus loin que ces bonnes intentions, les conséquences de ces dernières ne sont jamais examinées pour ce qu'elles sont et, notamment, suivant les axes de l'efficacité (on pourrait dire pouvoir de nuisibilité à l'ambiance familiale) et effets sur la psychologie de l'enfant.

Les antécédents sacrificiels

Nous noterons brièvement, sans rentrer dans une psychanalyse un peu simpliste, que les antécédents de la mère parfaite sont souvent d'avoir eu une mère parfaite, inflexible, doctrinaire, despotique. Cette mère de la mère s'est «sacrifiée» pour ses enfants, qui ne lui ont jamais donné que du malheur notamment lorsqu'ils sont partis. Bien entendu, ce tableau est un peu schématique mais il montre que la mère parfaite possède très souvent une combinaison des deux névroses suivantes :

  • un complexe d'infériorité par rapport à sa propre mère (voir la partie suivante pour le détail de ce fardeau),
  • une dette à rembourser pour payer le sacrifice de sa mère de son propre sacrifice.

Dans le premier comme dans le second cas, il est nécessaire de montrer que les impulsions inconscientes de la mère parfaite ont quelque chose d'irrationnel. Dans le premier cas, ce complexe d'infériorité se teinte très fortement d'un complexe d'être une mauvaise mère, cela dû au fait que la femme moderne travaille alors que souvent, sa propre mère ne travaillait pas[9]. Dans la démarche d'être une mère parfaite, il y a refoulement du complexe de mauvaise mère, par rapport à la mère sacrificielle dont elle a bénéficié, voire a épuisé, voire dont elle a gâché la vie. Il y a donc, dans le syndrome de la mère parfaite, un syndrome plus profond qui est la relation avec la mère sacrificielle, sans notion de relativité d'époque et de contraintes que vit la femme moderne et que ses propres parents ne connaissaient pas. Le poids de cette dette ainsi que les complexes liés à la mère, référent unique de l'éducation incontestable (car la mère parfaite est parfaite, donc par le fait que sa mère ait dû être parfaite pour élever des enfants parfaits, sa mère à elle est la source de cette perfection), font de la mère parfaite une femme pour laquelle il est à soupçonner quelque névrose.

La vie de l'enfant avec une mère parfaite

La vie d'un enfant sous la domination d'une mère parfaite n'est pas toujours difficile, on pourrait même dire plus : elle comporte souvent trop de facilités :

  • cadeaux inopinés et injustifiés tout le temps,
  • mansuétude de la mère dans les jeunes années du développement de l'enfant (avec rigueur souvent excessive à l'adolescence),
  • état fusionnel entre la mère et l'enfant, avec projection des angoisses de la mère ou des passions de la mère dans l'enfant,
  • défense inconditionnelle de l'enfant dans des situations ne le méritant pas.

De plus, dans un couple où la mère se dit parfaite ou cherche à approcher de la perfection, le père est souvent absent, même quand il est présent. Il sent souvent qu'il n'est pas à sa place dans les conflits et que ses méthodes peuvent être totalement décalées dans les marchandages faits des bonnes intentions de la mère parfaite. Bien entendu, certains pères soutiennent aussi cette démarche des bonnes intentions et partent du principe que si l'intention des parents est bonne, il ne tient qu'à l'enfant que cette intention soit bien reçue et bien acceptée. Or, pourtant, les choses sont souvent plus complexes que cela.

L'enfant avec une mère parfaite entre dans une voie dans laquelle se profile un choix clair : ou l'enfant se révolte à certain moment contre sa mère et ses bonnes intentions, ou il ne le fait pas. Dans le premier cas, la crise se passera probablement à l'adolescence (étant entendu que l'adolescence peut évoluer de l'âge de dix ou onze ans jusqu'à la trentaine[10]. Dans le second cas, marqué par des dispositions tyranniques d'une mère qui sait tout en raison de sa perfection, l'enfant subira le poids de ce passé jusqu'à ce qu'il ou elle soit en mesure de résoudre ce problème avec un psychanalyste. Notons que d'ailleurs, pour ce genre de cas, la cure psychanalytique peut être trop brutale pour la personne en raison d'une nécessité de fondation de toute une série de valeurs qui auraient dû être inculquées dès l'enfance, et que par conséquent, un psychanalyste intelligent pourra conclure au fait que la personne doit vivre avec son malaise sans pouvoir espérer être une personne normale un jour. C'est dans ce cas que la perfection pourra se transmettre d'une génération à l'autre et d'endommagement des enfants se perpétuer au travers des générations.

Si crise il y a, il faut souligner toute la violence de la crise dans laquelle la mère, faisant usage du chantage aux sentiments, usera de tous les moyens de pression psychologiques les plus abjects pour faire plier l'enfant ou l'adolescent, ainsi que de toutes les punitions les plus arbitraires et les plus injustifiées (par rapport à la gravité des faits reprochés ou par rapport au moment où ils ont été commis). Dès lors, même extraits de cette dépendance, les enfants des mères parfaites peuvent ne pas s'en tirer sans séquelles et eux-mêmes doivent beaucoup travailler sur eux au delà ce conflit, pour avancer dans la vie.

Quelques faits et pièges à connaître

Il n'y a pas de solutions pour bien élever les enfants et même si ces solutions existaient, la plupart d'entre nous ne pourraient les appliquer pour des raisons d'incompatibilité avec leur tempérament personnel. Pourtant quelques faits constants doivent être soulignés :

  • l'enfant nécessite une image maternelle et paternelle, de l'amour et des attentions ;
  • l'enfant n'est pas le jouet des parents ;
  • l'enfant est une personne, mais pas encore un adulte ;
  • l'enfant a besoin de limites, sans elles, il part à la dérive ;
  • l'enfant ne peut pas faire son éducation seul et nécessite de l'autorité (à ne pas confondre avec autoritarisme) ;
  • l'enfant est en perpétuelle mutation, c'est pourquoi il faut sans arrêt ajuster les limites à son âge et à ses aspirations tout en remettant jamais en cause le noyau dur des barrières imposées ;
  • faire plaisir à l'enfant n'est pas un but en soin, au contraire, il vaut mieux éveiller le désir de l'enfant.

Que ces lignes puissent à tout le moins faire réfléchir des mères qui, en voulant être parfaites, en arrivent à détruire leurs enfants et leur psychologie.