Le culte de l'enfant roi dans l'inconscient collectif français

Un article de Caverne des 1001 nuits.


Plus de cinquante pour cent de décisions d'achat dans un couple sont motivées par l'enfant. Ce simple chiffre, effrayant, est l'arbre cachant la forêt. Plus qu'une forêt, notre société est malade de ses enfants et des comportements dits normaux qu'on accepte chez eux et pis, que l'on encourage.

Sommaire

Du désir d'enfant à la volonté intellectuelle d'avoir un enfant

Si l'on reprend l'histoire du XXème siècle, le culte de l'enfant roi apparaît chez l'enfant comme une pathologie il y a environ 15 ans[1], soit quelques années après que la contraception soit entrée dans les mœurs sociales comme une habitude légale. Il n'est bien sûr pas question de remettre en cause la contraception, ni sa légalisation légitime. Il faut cependant - et c'est le grand travers de notre société - regarder les conséquences en face d'une telle maîtrise intellectuelle de la procréation, cela afin d'éviter le tabou (et même si quelque part, le discours est forcément politiquement incorrect au regard de notre société).

La conséquence de la légalisation de la contraception au niveau psychologique et au niveau de l'inconscient collectif est le fait que l'enfant est devenu un bien de consommation comme un autre. L'enfant dans notre monde est voulu et non pas désiré. Il est le plus souvent le fruit d'une réflexion intellectuelle et non pas d'un mouvement du cœur, d'une envie.

Cette modification est très profonde, car dans la psychologie de l'enfant, la place qui lui est réservée au sein du couple et au sein de l'histoire de ses parents qu'il n'a pas choisis, est fondamentalement différente. On veux désormais faire un enfant comme on veut une voiture. On entend partout que l'on a besoin d'un enfant - comme on aurait besoin d'un ordinateur pour écrire ses chroniques en lignes.

Cette volonté peut aller parfois si loin que le recours à la procréation assistée médicalement se généralise, même hors des problématiques de stérilité physiologiques. La science se met à envisager des utérus artificiels, dont le but est que tout un chacun puisse {« avoir un enfant ».

Enfant, volonté et désir

La transformation psychologique qui mène du désir d'enfant à la volonté d'avoir un enfant est très significative de la mentalité que nous avons héritée du XXème siècle, cette certitude que l'homme pouvait maîtriser son destin et son histoire, de manière individuelle dans le cas qui nous occupe, mais aussi de manière collective (dans le cas de théories fascistes ou communistes). L'homme est devenu une machine intellectuelle qui doit se maîtriser et maîtriser son futur. Cela commence naturellement par asservir la procréation à son bon vouloir.

Le risque, pour l'enfant, est d'être postulé, au sein du couple, à une place qu'il ne devrait jamais endosser. Etant très souvent incapables de différencier l'enfant de l'adulte[2], les adultes font tout pour séduire l'enfant, pour éviter les conflits avec l'enfant, pour permettre naïvement à l'enfant d'apprendre seul la vie. Cette attitude navrante se traduit par la pathologie de l'enfant roi. Un enfant roi est un enfant n'ayant jamais connu de limites, un enfant qui donc est dans une position de désarroi intense dès lors que la moindre des contradictions vient le perturber - quand par exemple, ses parents ne lui achètent pas ce qu'il veut, tout de suite.

L'enfant d'aujourd'hui est trop souvent dépourvu de cadre et de limites, et la responsabilité, malheureusement, n'en incombe pas qu'aux parents[3]. L'inconscient collectif social, poussé par l'{« enfant roi consommateur », encourage cette postulation de l'enfant en tant que dictateur du couple, en tant qu'arbitre, un arbitre au comportement incohérent car non encore formé.

Le rôle de l'inconscient collectif

On pourra poser la question du pourquoi du silence de la société envers des enfants qui deviennent des périls pour eux-mêmes et pour les autres dès l'adolescence (voire même avant). Pourquoi la société semble-t-elle encourager à ce point cette vision absurde et inepte des relations entre parents et enfants, relations qui peuvent être saines si elles sont basées sur un cadre, un respect mutuel des différences et une non interchangeabilité des rôles.

Une ébauche de réponse se fonde sur la constatation des tabous incrustés dans notre inconscient collectif social à soulever la question de l'éducation des enfants. Pourquoi ? Une des pistes pouvant conduire à la réponse à cette question est que la notion d'éducation est, aujourd'hui, fortement teintée d'histoire du XXème siècle. Quand on dit éducation, on pense «contraintes», «brutalité», «manipulation», «fascisme», «totalitarisme». Quand on dit autorité avec ses enfants, on pense «violence», on pense «autoritarisme». Quand on dit «limites», on pense à des principes moraux - symbole de l'ultime horreur sociale - voire carrément religieux. On pense endoctrinement. De là vient la culpabilité d'infliger cela à l'enfant.

Car, les parents actuels sont les dignes héritiers d'un siècle dont on nous dit qu'il a détruit toutes les grandes utopies. Cette destruction s'est accompagnée d'une mise en place de tabous à de nombreux endroits, de conclusions historiques simples, de peurs que les adultes colportent sans trop savoir si elles sont les leurs ou si elles ne sont que légendes. Ces peurs, les adultes les projètent sur leurs enfants, de la manière la plus basique qui soit :

  • en les considérant à la fois comme leurs égaux voire leurs maîtres, mais aussi comme des objets de consommation ;
  • en se débattant avec leurs caprices afin de leur construire un cocon totalement décalé des contraintes du monde réel.

Le message social, de son côté, ne vaut pas mieux : il est culpabilisant et moralisateur. Il est de bon ton de dire qu'un enfant ne doit avoir de contraintes pour se développer, de dire qu'un enfant peut apprendre la vie seul. Tout message inverse est de suite interprété comme celui d'un tortionnaire ou d'un réactionnaire dans une opinion publique où l'héritage de 68 fait long feu : pas de contrainte, pas d'autorité, plus de liberté[4].

Les dangers pour la construction de l'enfant

Les conséquences sur les enfants sont multiples :

  • les enfants s'habituent vite à ne trouver leur plaisir que dans l'abdication des autres (et en particulier des adultes) face à leur volonté propre ;
  • les enfants n'apprennent pas la notion du temps, de la patience ;
  • ils s'imbibent des angoisses temporelles de leurs parents et vivent tout retard, dans le plaisir immédiat, comme une blessure profonde ;
  • ils deviennent insensibles au désir mais sont pilotés par le vouloir (à l'instar de leurs parents) ;
  • les enfants vivent dans la course constante au plaisir immédiat, reformulent la peur de l'autorité de leur parents de manière extrême et peuvent devenir asociaux[5].

La période d'adolescence montre des enfants complètement déstructurés[6], qui peuvent avoir contribué à l'explosion du couple de leurs parents (pour peu que l'estimation des limites à imposer soit divergente entre les deux membres du couple), qui peuvent battre leurs parents, les insulter, avoir des comportements violents sans que l'empathie ne leur ait été inculquée[7], sans que le souci de l'autre - même dans une version minimale - ne leur ait été enseigné ou même montré comme exemple.

Les enfants rois devenus adolescents sont souvent contestataires, très souvent sans raison, par principe, ayant appris le refus de l'autorité dans le fait que leurs parents aient abdiqué leur autorité des années auparavant. Ils sont facilement manipulables par une idéologie du refus, de l'opposition brutale, du dialogue haineux et simpliste lors de l'adolescence. Ils ne savent pas de quoi ils parlent, mais n'agissent qu'en négatif, qu'en opposition, qu'en réaction par rapport à un monde qui, justement, ne les traite pas comme les rois qu'ils croyaient être.

Sitôt sortis de l'adolescence, ces enfants voteront. Du fait de leur manque absolu de maturité, ils sont une chair à canon extrêmement docile pour ceux qui peuvent les brosser dans le sens de leur poil contestataire.

Insatisfaction et inadaptation chroniques à l'âge adulte

Ce tableau n'est pas un tableau catastrophiste car, si le phénomène prend de l'ampleur, il est difficile de le mesurer statistiquement et d'estimer véritablement les enfants touchés par ces logiques. Ce tableau sombre cherche à montrer que le péril s'annonce si rien ne se produit au sein d'une opinion publique qui laisse faire, qui cautionne et qui montre dans les médias de nouvelles pathologies mentales de l'enfant sans les mettre en perspective par rapport à notre histoire.

Le pire, pour ces enfants et pour les adultes qu'ils seront un jour, est de les élever dans la logique de l'insatisfaction et du malheur chronique. Les bonnes intentions des parents, qui peuvent se transformer en un véritable enfer au quotidien pour tout le monde, mènent à rendre leurs enfants malheureux car ces bonnes intentions génèrent littéralement une insatisfaction structurelle. La relation à l'autre, construite durant l'enfance, en est profondément modifiée, altérée : une certaine frange des nouvelles générations est sacrifiée sur l'autel des grands principes d'éducation de l'enfant roi. Ces enfants-là, quelque soit leur milieu social partent avec un handicap[8]. Une fois adulte, les anciens enfants rois errent de révolte en révolte n'ayant rien appris de l'autre Ils restent bloqués dans leur égoïsme aux relents paranoïaques[9]. Le monde est odieux et « méchant » car il ne les prend pas pour les rois qu'ils avaient toujours cru être.

Conclusion

Il faut se méfier de l'héritage que nous laissons à nos enfants, et par conséquent se méfier de celui que nous avons reçu de nos parents. Il est important de réaliser qu'élever des enfants est une responsabilité[10] et que si, spontanément, nous ne nous sentions pas prêt à revenir sur nous-mêmes pour résoudre nos problèmes enfouis[11], nous nous devons de le faire pour nos enfants, afin de ne pas les charger de combats périmés et d'idées absurdes, et de ne pas les affubler des clés de l'insatisfaction latente.

Notes

  1. Voir le livre du pédiatre Aldo Naouri Les pères et les mères à ce sujet.
  2. Cf. L'éternelle adolescence.
  3. Notons que cette dernière n'en incombe pas non plus à l'école comme on voudrait trop souvent le faire croire, l'école étant souvent le dernier endroit où l'enfant se trouve face à une autorité légitime.
  4. Voir la génèse de la société névrotique.
  5. On pourra se référer aux études de Dolto sur les adolescents pour entrevoir les pathologies développées plus tard.
  6. Cf. l'éternelle adolescence.
  7. Cf. Le manque d'empathie comme culture.
  8. Le handicap psychologique est bizarrement un débat absent dans notre société. Alors que l'on nous pilonne avec les inégalités matérielles, voulu probablement par là cultiver notre culpabilité, il est très rare de parler des inégalités psychologiques des enfants, et de la responsabilité de leurs parents dans les troubles psychologiques de l'enfant.
  9. En Chine, toute la génération des jeunes adultes est issue de familles aux enfants uniques, trop gâtés de par ce statut imposé par le gouvernement chinois pour réduire la natalité. Cette génération commence à poser un certain nombre de problèmes structurels à la Chine, en raison de leur égocentrisme forcené et de leur absence de compréhension de la société chinoise. Cela a même poussé le gouvernement chinois à prendre des mesure pour réapprendre la «vie en collectivité» (sic) à ces enfants privilégiés mais parfaitement ingérables.
  10. Cf. Pouvoir et persona.
  11. Ce que Jung nomme l'individuation.