La dictature des bonnes intentions

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Sommaire

[modifier] Introduction

La France est un pays sous le joug d'une dictature brutale et impitoyable : la dictature des bonnes intentions. Cette maladie touche tous les partis politiques, les syndicats et les médias, mais aussi, ce qui est beaucoup plus grave, la plupart des intellectuels et des artistes. Ce diktat horrifiant est le fruit d'une véritable névrose collective, touchant le plus grand nombre au mépris d'un bon sens oublié, encore en vigueur, miraculeusement, dans certains autres pays voisins d'Europe.

La France est génératrice de termes qui créent les tabous sociaux. Ainsi, au bout d'années de cette culture des bonnes intentions, l'inconscient collectif, voire même le conscient collectif est intoxiqué, parasité, par cette voix sociale et morale permanente indiquant quel est le bien et quel est le mal. La plupart des conflits actuels, des revendications et des polémiques publiques tournent, en réalité, autour de la morale. Les conséquences sont désastreuses en ce que les réels problèmes abordés ne sont jamais résolus en raison de tabous moraux.

On pouvait se douter que se débarrasser aussi rapidement de l'influence des principes catholiques de culpabilité et de manichéisme était un leurre. Si les idées peuvent progresser vite sur le papier, les mentalités, elles, mettent du temps pour évoluer. Lorsque certains principes sont brutalement refoulés, ils se projettent toujours d'une nouvelle façon.

[modifier] L'ère mitterrandienne

Le résultat de ce volontaire abandon de valeurs catholiques dans la révolte de 1968 qui apporta de grandes avancées sociales mais aussi des choses fondamentalement discutables (et dont on commence à peine à parler), a vu naître une société « de gauche » en 1981, prompte à établir de nouvelles bases morales très liées à la politique de l'époque de François Mitterrand. Pour Mitterrand, la politique est un jeu d'échecs complexe dont les pièces sont manipulables, qu'elles soient des individus ou même l'esprit collectif français.

Mitterrand parvient le tour de force de se faire élire en 1981 avec les communistes (union de la Gauche), et de faire passer la même année une certaine vision de la politique de gauche : - abolition de la peine de mort, - augmentation du SMIC et des allocations, - création de l'impôt sur la fortune, - autorisation des radios locales privées, - abrogation du délit d'homosexualité.

Mitterrand met un coup de barre violent en 1983 avec son premier plan de rigueur. Les cadeaux sont terminés et la rupture avec les communistes est consommée. Durant ces années, tout se passe comme si Mitterrand préparait sa réélection de 1988, sans ménager les leviers qu'il considère comme importants pour assurer sa victoire.

A une logique qu'il connaît bien, la logique catholique traditionnelle, le bain politique dans lequel il a baigné au début de sa carrière, il substitue une morale de gauche généralisée, usant de tout son pouvoir de manipulation pour dresser les français les uns contre les autres et leur faire absorber de nouvelles règles morales qui vont les stériliser durablement.

De 1983 à 1985, l'affaire « Touche pas à mon pote », petits badges soit disant anti-racistes vendus par l'association SOS-Racisme, est le climax de la manipulation mitterrandienne. Le but de cette manipulation est de faire grimper l'extrême droite pour diviser la droite, en parvenant à convaincre l'opinion que le racisme gagne du terrain et qu'il n'a jamais été aussi haut. Le fait est que mettre de l'huile sur un feu déjà un peu animé provoque la victoire de la droite en 1986, aux élections législatives et la première cohabitation avec Chirac tout comme elle place le Front National à un niveau jamais atteint.

Le mal fait est considérable, notamment dans l'inconscient collectif français où la manipulation mitterrandienne a construit un tabou sur le racisme. Non que le racisme n'existe pas en France, surtout dans les années 80, mais dans le sens où la suspicion du racisme devient un trait légitime de la France de l'époque, ce trait étant associé à une image morale du bien. Les comportements s'exacerbent sous la pression. On voit ainsi des médias rivaliser d'investissements et d'imprécations pour se faire considérer comme les médias les moins racistes qu'il puisse exister. Les faits racistes prennent des proportions médiatiques terribles. Si le racisme n'est pas attaqué concrètement durant cette période, la France arbore de plus en plus des syndromes de schizophrénie sociale.

Les intellectuels sont les premières victimes de cette manipulation de masse. Aucun à l'époque n'ose proclamer publiquement que ces campagnes sont des campagnes de manipulation de grande échelle. Mitterrand adoube les intellectuels de gauche à sa botte et les place stricto sensu dans la boîte qu'il leur a prévue. Dans cette vaste farce, Mitterrand joue sur des traits fondamentaux de l'intellectuel de gauche et de son penchant prononcé pour les bonnes intentions. Il use de ses leviers pour dicter lui-même les bonnes intentions de gauche qu'il est convenable d'avoir sous son règne.

Ces pratiques sont remarquables tant il parvient à adouber non seulement les intellectuels mais aussi les artistes, qu'il adoube grâce aux moyens publics de la culture subventionnée étatique. La personne de Jack Lang lui sera d'un très grand secours pour faire de la culture son instrument de manipulation des artistes, qui, avec les intellectuels, sont les seules personnalités crédibles et a priori sans étiquette politique à pouvoir le contredire, dans l'opinion publique[1].

Mitterrand bénéficiera toujours de cette aura qu'il a construite très finement entre 1981 et 1983 pour les résultats visibles d'une politique de gauche et entre 1983 et 1986 pour le changement de morale de l'opinion publique. Il jouera dès 1986 un rôle de "sage bienveillant", gardien des traditions morales et de l'ordre intellectuel qu'il a créés, et cela jusqu'à la fin de son second septennat.

[modifier] L'ère du mitterrandisme moral

Si Chirac a vu que Mitterrand tenter d'instrumentaliser le Front National pour diviser la droite, Chirac n'a jamais réalisé que Mitterrand avait laissé à la France bien plus que cela notamment dans les nouveaux principes moraux de gauche qu'il fallait à tout prix défendre. A tel point que Chirac lui-même, oublieux d'une tradition de droite faite de principes différents de ceux de l'ère mitterrandienne, a joué depuis le début de son arrivé au poste de président de la République la carte du mitterrandisme moral, devenu depuis un véritable terrorisme intellectuel.

Très étrangement, aucun intellectuel engagé ne semble s'être aperçu de la disparition du joug moral mitterrandien si bien que les règles mitterrandiennes morales, débarrassées de leur gourou, ont évolué, seules, vers une surenchère de bonnes intentions. Bien entendu, du temps de Mitterrand, lorsque la surenchère prenait des allures de mouvement incontrôlable, Mitterrand lui-même intervenait pour donner le droit chemin et faire cesser les dérives. Dans le cas actuel, personne ne semble se rendre compte d'une telle influence, étant donné que pour la première fois dans l'histoire de France, la gauche comme la droite usent du mitterrandisme moral comme outil conjoint. On a parfois même l'impression que cela se fait à leur insu (notamment pour la droite).

Il en résulte un pays en plein désarroi moral et politique. Moral tout d'abord car la mondialisation ne possède pas ces composantes morales mitterrandiennes mais s'appuie sur des règles froides et dégagées d'affects. Politique ensuite car comme jamais auparavant, les partis politiques ne se sont ressemblés autant. Même le courant altermondialiste peut être vu comme une dérive extrémiste de la moralité mitterrandienne non comprise comme un jeu politique nécessaire, mais entrevue comme une morale de remplacement au « catholicisme libéral ». Tout se passe comme si la « génération Mitterrand » était si endoctrinée par le grand maître qu'elle construise elle-même, jour après jour, avec un zèle et une énergie incroyable, les liens pour s'aliéner.

[modifier] Construction des tabous et perversion des principes

Depuis quelques années, la perversion des principes de la République Française et de l'esprit Français procède à une véritable construction systématique de tabous sur tous les sujets à problème. Ce mouvement, largement appuyé par de nombreux intellectuels encore sous la dominante d'une pensée empreinte d'un mitterrandisme moral, est réparti à gauche comme à droite dans un même but incompréhensible : un immobilisme piloté par la peur.

Certes, les français n'ont pas, en la personne de Jacques Chirac, le « grand timonier » qu'était Mitterrand ou De Gaulle, un homme à principes en qui on pouvait avoir confiance pour ce qui était du devenir de la France : la peur semble donc être le nouveau prince.

Durant cette phase intermédiaire, dans l'attente d'un prochain homme fort à convictions, les personnalités politiques, intellectuelles, médiatiques et artistiques françaises, malgré elles la plupart du temps, ont une tendance à se couler dans une certaine médiocrité. Cette médiocrité s'explique mal car elle n'est pas reflétée de la même manière dans les pays voisins, et elle cristallise sur elle les peurs des changements du monde et toutes les aliénations faciles. De plus cette médiocrité rend les gens timorés, sans cesse occupés à marcher sur des œufs lorsqu'un sujet sensible est abordé.

Ainsi, comme exemple, nous pourrions citer « l'exception culturelle française », très importante en soi pour protéger une identité et un esprit français. Cependant, le tabou qu'elle cache est le débat sur la qualité de la culture française produite actuellement, sur son originalité, sur ses capacités à se vendre à l'étranger, sur son financement public, sur le public qu'elle attire, sur les régimes sociaux qu'elle induit, etc. Il n'est pas certain qu'il y ait un problème, la culture française étant une des plus fortes des pays européens (encore que cela resterait à prouver). Mais le tabou posé sur la culture en tant qu'exception française empêche d'y voir clair. Là encore, nous pourrions y voir le symbole d'un héritage moral mitterrandien. Ne pas aborder les sujets qui pourraient fâcher le grand gourou. Sauf que, désormais, il n'y a plus de grand gourou moral.

[modifier] L'affaire du lundi de Pentecôte

L'affaire du lundi de Pentecôte représente bien à elle seule l'apogée d'une succession absurde d'applications d'une moralité des bonnes intentions.

Le premier acte de cette affaire commence avec la décision de Jean-Pierre Raffarin, fort d'une idée étrange, au sortir de la grande canicule[2] de 2003, que le lundi de Pentecôte serait travaillé à partir de 2005 pour alimenter une nouvelle caisse de sécurité sociale en charge des personnes âgées et des personnes handicapées.

Nous sommes en 2004 et à ce moment là, la plupart de l'opinion publique est plutôt d'accord avec une telle proposition, probablement parce que la dictature des bonnes intentions empêche un parti quelconque de se prononcer devant les médias alors que le sujet est encore chaud. Tous ont peur de gagner une image de non solidaires avec ceux qui souffrent... Amer constat d'une peur bien lointaine du courage politique.

Les problèmes sont pourtant légion, même à l'époque :

  • que veut dire supprimer un jour férié légalement ?
  • quel est l'impact sur le privé, sur le public, sur le droit du travail ?
  • quelle est la procédure à suivre de manière réglementaire ?
  • pourquoi créer une nouvelle caisse de sécurité sociale alors que la réforme de l'Etat prévoit la fusion des caisses existantes entre elles ?
  • ce jour sera-t-il payé ou pas et selon quelles modalités ?
  • si le jour n'est pas payé, que vont dire les syndicats ?
  • une telle décision remet-elle en cause des lois existantes dans le code du travail ?

Plusieurs mois après, les syndicats commencent à s'agiter. Le gouvernement cède sur le lundi de Pentecôte qui finalement peut être n'importe quel jour. Les syndicats déposent des requêtes au Conseil d'Etat puis appellent à la grève.

Cette histoire, très commune de nos jours dans notre pays montre :

  • une décision pleine de bons sentiments prise en dépit du bon sens et de la loi, et sans aucune vision politique ;
  • une inertie des centrales syndicales et des partis politiques paralysés par le diktat des bons sentiments ;
  • une modification dans l'urgence de la décision politique sans aucune vision ;
  • un appel à la grève dans l'urgence.

Ce détail de politique intérieure française est très révélateur à la fois du manque de « grand timonier » à la tête de la France, mais aussi d'actions absurdes menées dans un contexte de pression morale jouant sur des bonnes intentions.

Comment ne pas avoir peur que des décisions politiques importantes comme la négociation sur le traité de constitution européen aient été faites avec le même tact par les politiques français ?

[modifier] A qui profite le tabou ?

Le malheur est que le tabou ne profite plus à personne ! Comme une personne atteinte d'une névrose de famille dont, par exemple la mère aurait été atteinte d'une névrose en raison de problèmes irrésolus avec sa propre mère, la France est atteinte d'une névrose datant d'une époque où le tabou était instrumentalisé pour des raisons politiques.

Le tabou est maintenant présent, mais il ne sert plus à personne, ces raisons ayant disparu depuis longtemps. Au contraire, il dessert tout le monde : les politiques qui voient leur cote de popularité et leur crédibilité baisser continuellement, les médias qui se font un écho insupportable de ces morales des bonnes intentions, les intellectuels que plus personne n'écoute, les artistes qui ne convainquent souvent plus vraiment.

Il faut entamer un changement psychologique profond dans notre société, une véritable thérapie de groupe pour expurger les tabous et nous mettre en face des vraies réalités et des défis que nous devons relever dans un monde qui change. Cela commence par un examen des bases morales que l'ensemble du pays applique sans les avoir, véritablement, un jour, apportées à sa conscience propre.

[modifier] Notes

  1. On pourra se souvenir de la mise à mort médiatique de Thierry Le Luron par Mitterrand.
  2. Cf. Les conséquences de la canicule de l'été 2003.