Histoire de ma vie X - Retrouver le sacré, par l'Indien

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Je n'aurais pas imaginé qu'il reste autant de travail à faire en moi. J'ai parfois que l'impression que tous mes gestes "naturels" sont un écho au passé, à ma double condition d'esclave et de révolté.

Voilà dix saisons, le Grand-Esprit s'est révélé à moi dans sa présence totale et ordonnée, dans sa bienveillance aussi. J'avais commencé à voir un chamane quatre automnes auparavant. Seize saisons se sont déroulées avant la révélation du Grand-Esprit, saisons durant lesquelles j'ai fait des efforts pour me souvenir, interpréter mes rêves et discuter avec les plus grands chamanes. Mais invariablement, je revenais à mes fondamentaux : des relations avec des sqwaws qui faisaient ressortir les mêmes problèmes en moi ; des relations avec les chefs des tribus trop complexes dès lors que je voyais qu'ils préféraient leur intérêt personnel à l'intérêt collectif. Des saisons de fuite.

Puis je rencontrai une femme qui avait connu un des plus grands chamanes de la région. Nous avons beaucoup parlé du Grand-Esprit. elle se disait être une étape dans ma vie, et le fait est qu'elle le fut. Peu après que le Grand-Esprit se soit révélé à moi, je ne pouvais plus continuer comme cela.

Durant l'hiver, je fis ce que je pus, essentiellement parler du Grand-Esprit à ceux qui commençaient à se demander si ce dernier ne nous avait pas abandonné étant donné le destin tragique de mon peuple. On aurait dit que les jeunes voulaient fuir les traditions et trouvaient l'homme blanc plus porteur de futur, avec ses machines toujours plus compliquées.

Puis je rencontrai ma sqwaw. Je sus que je l'avais toujours connue, que je l'avais toujours recherchée, elle. Huit saisons ont passé depuis ce jour et je suis là, à marmonner seul dans la nuit, dans cette nuit que les blancs fêtent comme symbole d'une nouvelle année. Les blancs ont de drôles d'habitudes, très intellectuelles. Ils sont joyeux quand ils doivent l'être, et ils fêtent des dates fixes dans le calendrier sans que ces dates aient une symbolique. Je ne comprends pas la symbolique du jour de l'an. Mais peut-être ne comprends-je pas les blancs d'une manière générale.

Durant ces huit saisons, je n'eus que peu de fois la liberté de travailler sur mes défauts, car j'ai eu beaucoup à faire. J'ai décidé de ne plus avoir de relations avec Couleuvre Agressive et Renard Médiocre depuis maintenant plus de dix saisons. Ce texte peut faire comprendre quelles sont mes raisons. Les rares fois où j'ai travaillé, j'ai avancé plus qu'avant, car ma sqwaw est un guide qui me révèle ce que mon coeur a toujours su. Elle me fait écouter mon coeur. Et c'est de cette écoute qu'est né ce constat : l'immensité du travail à faire sur moi pour me libérer de mes chaînes du passé.

Tous les autres indiens ne sont pas comme moi ; tous ne furent pas en train d'osciller entre rébellion et esclavage affectif. Aussi, d'autres ont des vies plus calmes. La mienne peut être racontée, même si elle est commune. Plaise au Grand-Esprit qu'il me donne la capacité de surmonter ces actes qui sont bâtis sur le terreau de mon passé dual.

Je voudrais parfois retrouver le sacré dans ma vie. Les grands chamanes sont morts aujourd'hui et je ne suis guère convaincu par les chamanes que j'ai rencontré récemment. Sacraliser certains actes de la vie afin qu'ils ne puissent pas rentrer dans l'éternelle quête de subsistance qui est notre quotidien. Un chamane me disait un jour que même la quête de subsistance est une illusion, que le Grand-Esprit pourvoie à nos besoins, même si nous pensons être les auteurs de nos actes. cela ne signifie pas qu'il ne faille pas chasser ou pécher, mais cela signifie que c'est Lui qui rend cette pèche ou cette chasse fructueuse. Aussi, il pourvoie à notre subsistance.

Car, une chose est certaine. Si mes actes ont été durant plus de trente printemps pilotés par mon enfance, dérivés presque mécaniquement de cette période sans que j'en prenne la pleine conscience, je reconnais que j'étais tout sauf libre. La liberté est la voie où l'on s'allège de ce poids du passé pour aller vers le Grand-Esprit.

Retrouver le sacré, c'est réguler sa vie par autre chose que ses propres désirs ; c'est faire taire le mauvais esprit en soi qui en veut toujours plus, ce mauvais esprit qui nous présente toujours les choses d'une façon qui nous est agréable ou nécessaire, même si, au fond, ces choses ne le sont pas. Retrouvé le sacré, c'est s'oublier soi-même pour se fondre dans la tradition qui mène au Grand-Esprit. C'est retrouver une certaine humilité, un partage des rites qui ne viennent pas de notre imagination, mais du Grand-Esprit lui-même ou de ceux qui l'ont connu. Sacraliser les choses, c'est donner un sens à notre vie, c'est nous remettre à notre place dans le Grand-Tout.



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