Histoire XXXI

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Version du 17 avril 2008 à 16:45 par 1001nuits (Discuter | Contributions)
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C'était un jour de rébellion ! Pensez si je m'en rappelle. Des voitures déchiquetées gisaient un peu partout ; des groupes de gens se rassemblaient devant les étals des magasins pour organiser les assauts. Moi ? J'étais là. Seulement là. Je ne me souviens pas avoir appartenu à un quelconque groupe ou même adressé la parole à quelqu'un. Les marchands discutaient avec les clients en fureur pour tenter de leur imposer leur manière de voir la situation. Les émeutes rugissaient non loin, à quelques rues de là. On entendait clairement les cris et les détonations. Certains étaient vautrés sur des motos monoblocs qui avaient la souplesse et la résistance de véritables engins de guerre.

En passant, je tentais de ne pas me faire remarquer. Quand on a ma gueule, il faut se méfier car on vous prend facilement pour un voleur. Alors, quand les gens sont un peu échauffés... Mais c'était un jour sans. Rien à voler. Tout le monde était sorti dans la rue. Depuis le temps qu'on leur imposait cette loi, ils trouvaient le moyen de ne gueuler que maintenant. " La goutte d'eau qui fait déborder le vase ", disaient-ils. Mais je n'en croyais rien. C'était des lâches. Tous des lâches. Et depuis longtemps, personne n'osait lever le petit doigt pour défendre qui ou quoi que ce fût. Alors bon. Ca, c'était pour s'amuser, pour montrer qu'ils existaient. Et une fois de plus, on leur ferait les habituelles promesses et tout le monde rentrerait chez soi, satisfait pour un bout de temps. En fait, je pense qu'ils n'y croyaient pas vraiment. Mais vu de l'extérieur, ils jouaient bien les clowns contrariés.

Moi, comme quelques autres ébahis, je n'avais pas grand chose à défendre si ce n'était ma croûte de pain et quelques vêtements fatigués. Mais la violence gratuite se justifie toujours. Au pire, on n'avait qu'à ne pas se trouver là à ce moment. C'est tout. Et c'est pour cela que je méfiais.

C'est dur d'être sur ces gardes quand on vous repère au premier coup d'œil. Si vous avez l'air de surveiller les gens, on peut vous accuser de vouloir voler leurs biens. Et c'est quand on ne regarde pas derrière soi que l'on ramasse un vil coup suivi d'un rire qu'il ne vaut mieux pas décrire. Il faut donc garder la mesure. C'est difficile mais réalisable.

Ce qui les tuera tous, c'est leur volonté de gagner sur les autres ou même de ne penser qu'à eux. Comment voulez-vous vous en tirer seul ? Peut-être deviendront-ils comme nous. De toute façon, cela n'a guère d'importance.

Je passe devant une maison. Une voix masculine et autoritaire en sort priant la maîtresse de maison de fermer la porte pendant qu'il va voir ce qu'il se passe. Moi qui ne suis pas loin, je le hèle pour lui raconter ce que je sais, que c'est dangereux, et c'est alors qu'il me frappe d'un direct au menton. Je roule sur le pavé, étourdi. Je me mets en boule afin de parer tout autre coup moins franc encore, mais voyant que rien ne survient, je me relève alors que sa femme me porte assistance en me gratifiant de commentaires absurdes sur les tendances brutales de son mari. Je vois le monde depuis une sorte de cocon qui semble plonger loin à l'intérieur de moi. Elle me soigne le visage et me propose de me rafraîchir chez elle. Je suis dans la salle de bains où je me rase après la douche. Ma figure me renvoie une image plus honnête et je me trouve presque normal. De plus j'ai conservé la ligne dans les forêts de béton où l'on ne mange pas tous les jours. La maîtresse de maison entre alors que je suis encore nu pour m'apporter des affaires que je devine appartenir à son mari, puis elle sort. La tête me tourne au point que je crois me voir depuis l'intérieur de mon crâne comme au travers de petites fenêtres qui s'éloignent. Je deviens fou. J'ai envie d'embrasser la femme qui se trouve devant moi. Je cherche à l'attraper alors qu'elle m'évite en riant. J'ai du mal à coordonner mes mouvements je bute. C'est comme si on contrôlait mon corps à ma place. Je l'attrape mais je soupçonne qu'elle s'est laissée faire, je m'allonge sur elle dans un grand canapé puis je suis saisi par une main qui suit un bruit de porte et des grognements son visage a peur je décolle dans les airs et traverse la fenêtre dehors je me relève j'ai du sang sur la figure et sur les mains je cours parce que je sens que je ne dois pas rester là un cliquetis dans mon dos une balle fait voler de la terre à mes pieds je m'entrave je cours encore change de rue les gens fuient le canon qui crache pas le temps de réfléchir je bute l'autre suit une fenêtre vole une moto

Voilà l'histoire. Vous me dites qu'il a été tué. Soit. J'ai la tête qui tourne. On va me raccompagner chez moi ? Ma femme m'attend ? Ma femme ?



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