Histoire VIII

Un article de Caverne des 1001 nuits.

A la même latitude que les Colonnes de Basalte de l'Ouest, s'étendait une petite ville dans de riches plaines battues par les vents. C'était l'époque de la prospérité, je ne sais si vous me comprenez. Les marchands de la ville vivaient de la vente de leurs denrées ainsi que des produits cultivés alentour.
La prospérité économique avait conduit, dans une certaine mesure, à une population calme, plus encline aux traditions artistiques que les autres citées du même continent. L'expression de ces préoccupations se traduisait par des constructions tout à fait uniques basées sur l'utilisation de perles dans la fabrication des murs. En effet, des petites bêtes à carapace fournissaient ces perles, si prisées qu'un architecte de la ville eut, un jour, l'idée de les mettre sur les murs. La technique qu'il utilisa est un peu compliquée, et j'avoue avoir oublié certains passages de l'histoire que m'a contée le voyageur.
Dans la ville, un vieillard. Reconnu : il avait été un célèbre marchand dans sa jeunesse et l'âge du repos avait pour lui sonné. Sa maison était recouverte de perles magnifiques et avait une forme de tour effilée, construite selon ses indications et par souci de tranquillité. Etant donné la petite superficie accordée à la ville, il n'avait pu empêcher que l'escalier qui menait aux pièces habitables de sa demeure - pièces du reste situées à une dizaine de mètres du sol - fût partagé entre deux habitations. Il rencontrait ses voisins, des gens fort courtois, dans l'escalier qu'il nommait volontiers un parloir pour misanthrope.
Il ne fut pas le seul touché par la vieillesse et, ses voisins, pourtant d'un âge sensiblement inférieur au sien, abandonnèrent leur demeure à leur descendance.
Des problèmes commencèrent à se poser : du bruit, des conversations inexistantes dans le parloir, voire de l'hostilité puis des insultes. En effet, un jour, le vieux avait attrapé le jeune propriétaire par le col et lui avait demandé pourquoi diantre le tranquillité avait disparu de cet escalier. Le jeune homme s'était dégagé de l'étreinte avec violence et avait insulté et menacé le vieux.
Quand il se réveilla le lendemain, la menace avait été mise à exécution. L'escalier avait été abattu. Lorsqu'il sortit de chez lui, le vieux vit un tas de décombres au dessous de sa passerelle donnant sur le vide. Bien qu'il connût les recours judiciaires à ce genre de problèmes, il décida de ne pas agir de suite et retourna vers sa demeure par la passerelle mutilée. Alors qu'il allait refermer la porte, il entendit des rires et, étonné, il ouvrit de nouveau les battants arrondis. Le jeune homme, récent propriétaire, se tenait sur le pas de sa porte, non loin du vide, et le narguait. Le vieux s'avança et demanda avec innocence :
— C'est vous le coupable de cet acte de vandalisme ?
— Vous m'avez l'air de quelqu'un de clairvoyant, vieux grigou.
— Vous, par contre, ne l'êtes pas.
— C'est reparti. Je suppose que vous n'allez pas tarder à me vouloir prendre par le col. Si vous l'osez. Cette fois, il y a juste un petit trou à passer. Et puis, si vous tombez, qui vous regrettera ? On vous mettra en boite et hop ! Finis les ennuis.
— Vous m'avez mal compris. Vous vous croyez plus fin que le monde entier. Avez-vous déjà rencontré des contrevenants aux règles de cette ville ? Des vandales ?
Le jeune ne répondait pas, et regardait le vieux, un sourire narquois à la bouche.
— Parce qu'on ne vous a jamais raconté ? Ah ! Je crois que je vais vous mettre dans la confidence. J'avais votre âge quand j'ai vu ce qu'il valait mieux ne pas faire. Un de mes camarades avait insulté un notable de la ville. J'ai cru qu'il avait raison. Mais il est allé trop loin en portant atteinte à la maison dudit. On le retrouva peu de temps après. Méconnaissable. Je me suis souvenu des leçons concernant nos demeures. Et je suis certain que vous avez ressenti un profond malaise en détruisant l'escalier. Des légendes de grand-mères, n'est-ce pas ?
L'autre appuyé contre la rambarde baillait aux corneilles et hésitait à partir avant la fin du sermon.
— Je suis désolé que notre ville auto-régule de cette façon, mais je n'y puis rien. Pour la deuxième fois, le problème me touche. Mais je suis trop vieux et trop lâche. Voyez-vous, jeune homme, en me levant ce matin, je comptais venir vous expliquer pourquoi, dans votre révolte, vous deviez éviter la destruction qui, pour une raison que j'ignore, nous est interdite. Mais le mal est fait.
Le vieux fit un pas en arrière.
— Je vous laisse. Adieu.
Il n'avait pas refermé la porte que déjà les cris du jeune homme lui parvenaient ; horribles, insoutenables, des cris provoqués par ce qui l'entourait, le surveillait et ne lui avait jamais permis le moindre geste libre.
Excédé, il hurla : " attends-moi petit ! ", se dirigea vers un placard, en sortit une vieille pioche, et commença à détruire haineusement les belles parois incrustées de perles multicolores.
Cet incident signa la fin d'une époque. La beauté avait un prix trop élevé.


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