Cinquante-huitième nuit

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Dinarzade ne fut pas si matineuse cette nuit que la précédente : elle ne laissa pas néanmoins d’appeler la sultane avant le jour :

Si vous ne dormez pas, ma sœur, lui dit-elle, je vous prie de continuer l’histoire du troisième calender.

Scheherazade la poursuivit ainsi, en faisant toujours parler le calender à Zobéide :

« Madame, un des dix seigneurs borgnes m’ayant tenu le discours que je viens de vous rapporter, je m’enveloppai dans la peau du mouton, saisi du couteau qui m’avait été donné, et après que les jeunes seigneurs eurent pris la peine de me coudre dedans, ils me laissèrent sur la place et se retirèrent dans leur salon. Le roc dont ils m’avaient parlé ne fut pas longtemps à se faire voir : il fondit sur moi, me prit entre ses griffes, comme un mouton, et me transporta au haut d’une montagne.

« Lorsque je me sentis à terre, je ne manquai pas de me servir du couteau, je fendis la peau, me développai et parus devant le roc, qui s’envola dès qu’il m’aperçut. Ce roc est un oiseau blanc d’une grandeur et d’une grosseur monstrueuse ; pour sa force, elle est telle qu’il enlève les éléphants dans les plaines et les porte sur le sommet des montagnes, où il en fait sa pâture.

« Dans l’impatience que j’avais d’arriver au château, je ne perdis point de temps, et je pressai si bien le pas qu’en moins d’une demi-journée je m’y rendis, et je puis dire que je le trouvai encore plus beau qu’on ne me l’avait dépeint.

« La porte était ouverte ; j’entrai dans une cour carrée, et si vaste qu’il y avait autour quatre-vingt-dix-neuf portes de bois de santal et d’aloès, et une d’or, sans compter celles de plusieurs escaliers magnifiques qui conduisaient aux appartements d’en haut, et d’autres encore que je ne voyais pas. Les cent que je dis donnaient entrée dans des jardins ou des magasins remplis de richesses, ou enfin dans des lieux qui renfermaient des choses surprenantes à voir.

« Je vis en face une porte ouverte, par où j’entrai dans un grand salon où étaient assises quarante jeunes dames d’une beauté si parfaite que l’imagination même ne saurait aller au delà. Elles étaient habillées très magnifiquement. Elles se levèrent toutes ensemble sitôt qu’elles m’aperçurent, et, sans attendre mon compliment, elles me dirent avec de grandes démonstrations de joie :

« Brave seigneur, soyez le bienvenu, soyez le bienvenu. »

Et une d’entre elles prenant la parole pour les autres :

« Il y a longtemps, dit-elle, que nous attendions un cavalier comme vous : votre air nous marque assez que vous avez toutes les bonnes qualités que nous pouvons souhaiter, et nous espérons que vous ne trouverez pas notre compagnie désagréable et indigne de vous. »

« Après beaucoup de résistance de ma part, elles me forcèrent de m’asseoir dans une place un peu élevée au-dessus des leurs, et comme je témoignais que cela me faisait de la peine :

« C’est votre place, me dirent-elles, vous êtes de ce moment notre seigneur, notre maître et notre juge, et nous sommes vos esclaves, prêtes à recevoir vos commandements. »

« Rien au monde, madame, ne m’étonna tant que l’ardeur et l’empressement de ces belles filles à me rendre tous les services imaginables. L’une apporta de l’eau chaude et me lava les pieds ; une autre me versa de l’eau de senteur sur les mains ; celles-ci apportèrent tout ce qui était nécessaire pour me faire changer d’habillement ; celles-là me servirent une collation magnifique, et d’autres enfin se présentèrent le verre à la main, prêtes à me verser d’un vin délicieux, et tout cela s’exécutait sans confusion, avec un ordre, une union admirable, et des manières dont j’étais charmé. Je bus et mangeai ; après quoi toutes les dames s’étant placées autour de moi, me demandèrent une relation de mon voyage. Je leur fis un détail de mes aventures qui dura jusqu’à l’entrée de la nuit. »

Scheherazade s’étant arrêtée en cet endroit, sa sœur lui en demanda la raison.

Ne voyez-vous pas bien qu’il est jour, répondit la sultane ; pourquoi ne m’avez-vous pas plus tôt éveillée ?

Le sultan, à qui l’arrivée du calender au palais des quarante belles dames promettait d’agréables choses, ne voulant pas se priver du plaisir de les entendre, différa encore la mort de la sultane.


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