A propos de la vérité

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Sommaire

Introduction

La philosophie est souvent définie comme la recherche de la sagesse. Au fur et à mesure des siècles, son enseignement est devenu technique, intellectuel et livresque, malgré quelques tentatives un peu pathétiques de la rendre plus concrète[1]. Cet article vise à faire comprendre pourquoi l'exercice de la philosophie tourne souvent court et à mettre dans une perspective plus large la recherche de la vérité.

Sagesse et vérité

Il ne faut pas confondre sagesse et vérité. La vérité est ce qui est détenu par le sage. Le sage, suivant les époques, enseigne ou pas, mais le plus souvent, son enseignement est oral. Si l'on se pose la question du pourquoi la tradition des sages est souvent orale et pourquoi la littérature de la sagesse est infiniment moindre que le nombre des sages qui auraient pu transmettre un savoir, on s'aperçoit que la plupart des dits sages ne trouvaient dans l'écrit qu'une arme à double tranchant. Si l'écrit peut conserver un message, il a pour contrepartie de donner ce message à des gens qui potentiellement ne le pourront comprendre et qui, par conséquent, risquent d'en faire un usage erroné suite à une mauvaise compréhension.

De plus, certaines vérités ne sont pas bonne à dire. Les paroles sincères ne sont pas agréables ; les paroles agréables ne sont pas sincères nous rappelle Lao Tse dans son livre éponyme. Encore plus est-il difficile d'écrire des vérités que personne ne souhaite entendre. Le fait même d'exposer ces vérités à qui ne peut les entendre peut engendrer bien des désagréments. C'est pourquoi les sages restent souvent silencieux et ne sont loquaces qu'avec des personnes à qui ils peuvent transmettre un enseignement oral, soit direct.

La vérité est donc souvent bien gardée, non parce qu'elle est volontairement cachée, mais parce que beaucoup ne sauraient la saisir, ceci dit sans parler d'autres natures de vérités qui, elles, parlent au plus petit nombre.

Le constat du monde

La critique

Pour obtenir les moyens d'appréhender cette réalité, l'homme où qu'il naisse doit nettoyer sa façon de penser ainsi que celle d'envisager le monde. La philosophie occidentale a perverti ces notions en inventant la critique. La critique est, en effet, un mode intellectuel de démonter le raisonnement de ses adversaires et de prouver qu'ils ont tort. Le problème fondamental de la critique est que cet exercice intellectuel possède deux travers majeurs :

  • il s'exerce la plupart du temps sans cadre transcendant ;
  • il s'exerce dans le même référentiel logique que celui des gens qui y sont critiqués.

Ainsi, la querelle entre philosophes devient triviale dans la mesure où le langage est utilisé dans le but de soutenir des combats d'egos, luttant chacun contre des notions si vagues et si floues qu'elles en sont insaisissables[2].

D'aucuns se sont tentés à une "critique de la critique" sans que l'un des deux travers que nous avons cités ne soit résolu.

Erudition et logique

Cette méthode critique a donné l'illusion à nombre de philosophes, de scientifiques et d'ésotéristes qu'ils avaient la possibilité d'affiner leur discernement sur le monde en critiquant ceux qui avaient pensé avant eux, cela au moyen de deux compétences qui devaient à tout prix être développées :

  • l'érudition, d'une part,
  • la logique de l'autre.

L'érudition leur permettait de ne pas être mis en défaut par un quelconque auteur qui aurait une importance dans le raisonnement de l'adversaire, importance tirée de l'invention de quelque concept obscur utilisé comme arme pendant le débat. La logique leur permettait, quant à elle, de jouter intellectuellement et de détecter ce qui, dans le raisonnement de l'adversaire, posait des problèmes d'inférence. Ces deux armes étant prêtes, les jouteurs étaient prêts à lutter.

Car, ces deux armes ont des côtés tout à fait pernicieux. L'érudition (dans sa définition actuelle) est dangereuse dans ce qu'elle ne permet pas à l'homme de penser par lui-même, mais elle le pousse à penser dans des canevas qui ne sont pas les siens. Ne serait-ce que pour exister au monde, l'érudit doit parler le langage de ses contemporains, langage qui pour tous est composé d'un ensemble de références communes. L'érudition a donc des conséquences néfastes sur l'homme :

  • elle bloque sa velléité de penser par soi-même ;
  • elle crée des idoles et des représentations de personnages exécrés ;
  • elle n'envisage le savoir que dans une progression, soit un savoir qui doit passer par l'encyclopédie avant de pouvoir oser s'exprimer.

L'érudition apporte donc avec elle nombre de concepts obscurs parmi lesquels le "progrès" ou l'"histoire" dont certaines étapes sont rendues "mythiques" par la force de la représentation.

La logique, de son côté, apparaît comme un garde-fous ex-nihilo, capable dans l'absolu d'analyser les raisonnements les plus complexes pour y trouver les "failles". Elle, qui est un outil si puissant, est restreinte à devenir un outil analytique qui a perdu le pouvoir d'embrasser des conceptions d'ensemble, obligatoirement plus complexes.

"Erudition" et "logique" sont des notions qui doivent être nommées autrement tant elles sont utilisées aujourd'hui d'une manière étroite. L'érudition deviendrait l'"érudition athée", tandis que la logique deviendrait la "logique restreinte", restreinte dans ce qu'elle est incapable d'embrasser des complexités importantes et qu'elle divise analytiquement sans jamais chercher à synthétiser.

Référentiel et discernement

Erudition athée et logique restreinte sont les deux armes de la classe intellectuelle dominante. Elles assurent une certaine mise en lumière sociale ainsi qu'une capacité à nier de manière argumentée tout ce qui sort du référentiel de pensée dominant. Ces deux armes, telles qu'elles sont utilisées, ne font qu'asseoir des pouvoirs individuels dont les egos prennent du plaisir à s'affronter, mais elles ne peuvent structurellement pas apporter le discernement voulu initialement.

Ce ceci explique que même les constats les plus pertinents sur notre monde ne trouvent que peu d'échos et qu'aucune action concrète ne puisse réellement sortir de ces constats. Bon nombre de philosophes ont fait des constats très pertinents sur les dysfonctionnements du monde même si les solutions qu'ils proposent sont souvent irréalistes. La plupart du temps, de toutes façons, le philosophe ne voit le monde et les autres qu'à son image uniquement, ce qui rend le plus souvent très simplistes les "solutions philosophiques" (qui se simplifient encore quand on en fait des idéologies politiques).

Certains ésotéristes célèbres ont, eux aussi, une vue particulièrement juste et actuelle sur les problèmes du monde occidental[3], mais ces vues tournent court dès lors que le constat est achevé, même si le côté spirituel de l'homme semble être une clef jouant un rôle indéfini dans la résolution du problème.

Ceci s'explique, à notre avis, par deux constatations :

  • la première est que le constat négatif est une critique, et comme toute critique, il possède les composantes de la critique.
  • la seconde est que le constat négatif ne peut apporter de solution crédible car ses solutions sont envisagées au sein même du référentiel critiqué.

Nous le voyons dans les domaines les plus diverses : en "politique", en "science", en "art", etc., domaines dans lesquels les fondamentaux du référentiel de pensée sont si puissants qu'il nous est impossible de proposer des solutions à un constat négatif fait de l'intérieur. Il ne s'agit toujours que d'infimes adaptations du modèle, de légères variations.

Un problème de perspective

Le fait est que le problème est plus profond qu'il n'y paraît. Si nous tentons de formuler dans notre référentiel occidental notre "problème", nous arrivons à : "il ne manque pas d'intelligences pour voir les dysfonctionnements, mais nous manquons d'intelligence pour les résoudre".

Nous sommes d'emblée positionnés dans une logique de la dualité : problème / solution. Nous sommes dressés pour reconnaître les "problèmes" et tenter de trouver les "solutions". Ceci est un des traits fondamentaux de l'inconscient collectif occidental, point sur lequel nous allons désormais nous attarder un peu.

La recherche de la vérité

Le discernement dans l'érudition

La toute première étape dans le chemin du discernement est de ne pas placer tout sujet intellectuel sur le même plan. Dans la démarche intellectuelle actuelle des occidentaux, on trouve cet aplanissement étrange des questions dans lequel toute question de fond doit pouvoir se traiter soit par l'érudition, soit par la logique, soit par un mélange des deux, ce qui est le cas le plus général. Or, cette approche a cela de déficient qu'elle omet un certain nombre de précautions élémentaires.

Avant de prendre un auteur pour exemple, pourrions-nous savoir qui cet auteur fut ? Fut-il sage ? Quelle fut sa vie ? Quelles furent ses actions ? Cette précaution est issue d'une sagesse, très populaire celle-là, qui vise à ne pas accepter de conseils de n'importe qui, mais de gens en qui nous pouvons avoir confiance, de personnes qui nous donnent ce conseil de manière désintéressée. Or, dans l'érudition, nous considérons un ensemble de points de vue venant de gens qui sont loin d'être tous irréprochables ou qui seraient loin de nous être proches si nous les avions en face de nous. Que ces gens, au travers d'une certaine pression sociale, nous dicte notre façon de penser est donc bien étrange.

Cette façon de faire très simple n'est pas sans rappeler des considérations d'"hygiène mentale" que l'on trouve au coeur de grandes religions. L'esprit, tout comme le corps "se nourrit" de mots, de livres et de concepts. Si nous sommes parfois obsédés par ce que nous mangeons, force est de constater que nous sommes loin de prendre autant de soin avec les nourritures de l'esprit. Combien nous avalons-nous d'aliments nocifs par jour, nous occidentaux ?

C'est pour cette raison que l'érudition n'est pas nocive en soi, elle l'est quand notre démarche nous pousse à tout absorber sans discernement, à tout avaler sans que nous n'ayons le temps de prendre du recul, à remplacer un problème suggéré par un canal par un autre problème suggéré par un autre canal.

Ainsi, il vaut mieux être moins savant mais s'être nourri aux bons arbres que d'avoir goûté tous les poisons terrestres en courant de l'un à l'autre sans prendre le temps d'éliminer les venins. Certes, cet état de non savoir (au sens courant du terme) peut faire peur, mais il est une porte vers le discernement.

Eviter la logique simpliste

De la même façon, lorsque l'on recherche la vérité, il est nécessaire d'éviter d'avoir recours à une logique simpliste trop rapidement. La plupart du temps, cette logique apparaît dans une forme duale : problème et solution, pour et contre, blanc et noir, licite et interdit, etc. Cette logique aplatit littéralement les sujets sans leur donner la profondeur ou la hauteur requise. Ainsi, certains sujets sont plus importants que d'autres, certains n'ont pas le même niveau. Dans cette démarche, il faut se méfier des concepts creux qui envahissent les discussions les plus communes, ces concepts qui ne sont que des représentations si générales qu'elles ne recouvrent plus aucune réalité.

Ne pas mépriser les différences

Sortir du référentiel qui est le nôtre implique aussi changer notre façon d'appréhender l'inconnu. Il y eut de tous temps et en tous lieux des hommes intelligents et l'étude montre que, malgré notre certitude à être "à la pointe du progrès", l'homme a perdu beaucoup de ses facultés au cours des différents siècles.

Ainsi, un exemple paradoxal de notre monde actuel est l'animosité envers les religions. La vision occidentale des religions est aujourd'hui devenue une caricature si éloignée de la réalité qu'il est étonnant que l'homme actuel se dise un homme de progrès. Combien de messages formatés entend-on autour de nous sans que ces messages ne viennent d'une quelconque connaissance véritable de ce qu'est une religion ?

Un autre exemple est le mépris envers l'homme du passé caractéristique de l'homme contemporain qui ne vénère que quelques idoles qui parsemant l'histoire des sciences et de la philosophie. Or, une telle posture est injustifiée, tout comme elle l'est lorsque cette peur mêlée de mépris se portent sur des pays effrayants situés un peu plus vers l'Orient.

Un apprentissage de ce qui est

Ce qui est est, et nous ne pourrons le changer facilement. Il sera donc nécessaire à celui qui veut progresser vers la vérité d'accepter ce fait. Les choses sont comme elles sont. Certes, elles pourraient être différentes (dans nos fantasmes) mais le fait est qu'elles sont comme elles sont. C'est là le point de départ des réflexions intérieures. Pourquoi les choses sont-elles comme elles sont ? Pourquoi les voir au travers du canevas étroit des problèmes et des solutions ? Pourquoi ne pas tenter de comprendre tout simplement ce qui est ?

Un apprentissage du coeur

Beaucoup de choses de ce monde ne rentrent ni dans une bibliographie, ni dans une démarche logique, et pourtant elles sont. Les choses du coeur font partie de cette voie et nombreux sont ceux qui oeuvrent sans que l'on ne les voit. Les nier ou tenter de les comprendre au travers de l'intellect est souvent un non sens.

Se méfier des représentations

Les représentations les plus communes, ainsi que les plus générales, sont souvent les représentations les plus aliénantes. Quelle réalité se trouve effectivement derrière de grands concepts creux ? Quelle utilité y a-t-il à comprendre ces grands concepts inventés par des gens à la personnalité peu intéressante ? Quelle finalité dans cet apprentissage intellectuel qui brouille plus qu'il n'éclaire, qui souille plus qu'il ne lave ?

Conclusion

La recherche de la vérité est un chemin long et difficile, chemin qui attire bien des ennuis à qui le mène de manière sincère. Ce chemin fait appel au coeur et non à un usage pur de l'érudition et de la logique [4].

La voie du ne pas ne pas est toujours ouverte, cette voie qui s'ouvre sur une mise en cause profonde de ce que le monde a marqué en nous. Peut-être un jour découvrirons-nous que le monde n'a pas tant de problèmes que cela ? Peut-être un jour verrons-nous que la vérité n'est pas supposée apporter le bonheur, mais la paix.

Notes

  1. Cf. A propos de Michel Onfray et A propos de Nietzsche.
  2. Cf. Le concept creux.
  3. Cf. La crise du monde moderne, de René Guénon.
  4. Selon les hindous, la voie du jnana-yoga est close depuis longtemps pour arriver à la vérité de manière intellectuelle.