A propos de l'existentialisme

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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La pensée française de la deuxième moitié du XXème siècle s'est inscrite dans une mouvance particulière, relativement cohérente dans son approche, dont les conséquences sont encore très vivaces dans l'inconscient collectif français. A la différence d'autres pays, certaines idées font, en France, long feu, endoctrinnant des générations de personnes sous le couvert d'une ouverture d'esprit très morale aux accents altruistes.

Sommaire

Replacer l'homme au centre des interrogations

Au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, un des premiers mouvements d'auteurs comme Camus ou Sartre fut de vouloir recentrer le débat sur l'individu au sein de la philosophie. Cette volonté légitime et pleine de bonnes intentions reposait sur un doute important : la remise en cause de la notion même de philosophie au sens de discipline abstraite, au sens où la philosophie était relative à l'abstraction et à la généralisation des problématiques humaines.

La démarche était, sur le fond, assez proche de celle de la psychanalyse avait emprunté durant plus d'un demi-siècle. Cependant, si la psychanalyse avait montré que l'homme n'était pas libre a priori, mais qu'au contraire, il charriait avec lui des blocages inconscients qui le pilotaient au quotidien et le rendaient sensibles à des formes poussées d'endoctrinnement, le modèle défendu par la philosophie française de cette période prend le contrepied de l'inconscient en inventant la super-conscience.

La thèse de Sartre est donc simple : défendre une vision de l'homme comme étant d'emblée un individu autonome et possédant un libre arbitre absolu, dont la seule contrepartie est la mauvaise foi.

La génèse du tabou

Une telle représentation de l'individu pourrait apparaître comme étant un peu naïve au sortir de la seconde guerre mondiale, de l'endoctrinnement massif des régimes nazi, fasciste et soviétique. Refuser de philosopher de manière abstraite pour se recentrer sur l'individu était un moyen pour échapper à ses obligations de philosophe de penser l'aliénation et ses conséqences (parmi elles, le génocide des juifs, des tziganes, des homosexuels et d'une manière générale, de tous les opposants au régime nazi). Cette attitude créait des zones d'ombre établis en véritables tabous [1].

Après la deuxième guerre mondiale, les auteurs français pouvant prétendre à être philosophes (ce que Sartre prétendait tout en se sentant inconfortable avec ce terme et ce que d'autres refuseront après lui) se dirigent progressivement vers une mise en tabou d'un certain passé français. Même si dans sa trilogie romanesque, Les chemins de la liberté, Sartre parle de la Deuxième Guerre Mondiale, il éprouve un genre de fascination morbide pour l'homme inactif et indécis. Sa lecture des individus au sein de la guerre est terne et sans relief, sans approfondissement, ni véritablement psychologique, ni politique[2] Le dépit de l'homme au sein de la guerre est mis en scène comme un dépit existentiel inéluctable et non comme un dépit circonstanciel et un héritage historique trop lourd à porter. Sartre fait de la névrose une obligation métaphysique.

L'existentialisme

Naît alors l'existentialisme qui est, là encore, une véritable illustration de la prétention française à vouloir généraliser ses problèmes au reste de l'humanité. L'existentialisme est une mise en perspective des problèmes français de «digestion» de l'histoire de France, de fascination de beaucoup de français pour le communisme, en une sublimation un peu primaire de l'homme en tant qu'homme libre et dont les doutes existentiels sont postulés comme existant a priori, comme constitutifs de la nature humaine dans son ensemble.

La philosophie de l'homme ainsi créée refuse de voir dans ces problèmes communs à l'homme français un passé collectif commun, fait de traumatismes communs et d'expériences communes. Elle refuse aussi d'envisager les conséquences d'une perte de spiritualité au sein de la société moderne, l'influence du changement de monde qu'illustre les années cinquante et soixante. Au contraire, elle transforme les conséquences psychologiques des traumatismes guerriers en une névrose constitutive de l'homme lui-même, cela dans sa plus grande globalité. Elle envisage l'homme traumatisé français comme le centre du monde, une nouvelle fois[3]

Il y a là un non sens au sein de l'approche, non sens très dommageable car, alors que la psychanalyse a beaucoup d'échos dans d'autres pays et que la psychologie se construit sur des interrogations héritées des grandes aliénations collectives[4] , Sartre place l'existentialisme en tant que philosophie anti-psychanalytique.

L'absurdité du monde

Camus, pour sa part, établit un modèle basé sur l'absurdité de la vie qui s'impose de manière métaphysique et inéluctable à l'individu. Cette absurdité peut être considérée comme une projection de Camus de sa propre incompréhension du monde sur l'ensemble des hommes. En un sens, Camus se bat avec ses démons intellectuels pour trouver une solution à un problème qu'il formule mal. Il oublie l'histoire de la pensée. Il ne cherche pas à comprendre en s'ouvrant au monde, il le condamne moralement et tente de trouver des archétypes[5] pour supporter la théorie de l'absurdité métaphysique du monde. Camus ne comprend pas la diversité du monde, il ne comprend pas l'autre qui reste une énigme pour lui, malgré l'Etranger.

Tout comme Sartre, il ne voit pas que la psychanalyse est une [rupture épistémologique majeure->153] dans l'histoire de l'humanité. En un sens, Sartre et Camus sont des penseurs de l'avant Freud[6].

Penseurs de l'endoctrinnement

Pis, ils peuvent être considérés comme des penseurs de l'endoctrinnement : ils reproduisent dans leurs écrits les mécanismes de l'endoctrinnement en faisant perdre la perpective relative du mal français de l'époque. Ils veulent en faire un mal absolu, construit dans l'homme ; ils veulent faire de la dépression la condition d'existence de l'homme ; ils veulent légitimer le tabou au profit d'idées altruistes commodes ; ils veulent instaurer la société dépressive qui refuse de se comprendre et de s'intéresser aux problèmes qui lui font mal.

Bien entendu, dans cette démarche, on peut difficilement admettre que ce courant de pensée ait été volontairement obtus. Il y a d'ailleurs un certain côté pathétique dans cette école de littérature, un côté désespéré, névrotique, que l'on remarque quand on prend un peu de recul et quand on parvient à sortir de cette tradition de sublimation de l'homme flagellé se flagellant.

Héritage judéo-chrétien

La structure de l'existentialisme est d'ailleurs parfois très proche de la vision catholique de l'homme et de ses péchés originels. L'existentialisme est un doute personnel qui postule la culpabilité et la dépression comme mode de fonctionnement obligatoire. On est dépressif parce que la vie est absurde, parce que le moi est incohérent[7] et ce principe est trainé comme un fardeau originel. On est un individu au libre arbitre absolu au sein d'une société absurde. Le résultat est de légitimer l'individu névrotique au sein de la société névrotique.

L'impact sur notre société actuelle est si grand, dans le monde des penseurs, qu'encore aujourd'hui, on notera le nombre incroyablement limité de critiques de Sartre ou de Camus, et le fait que ces auteurs soient encore et toujours au panthéon de la littérature française enseignée. Au vu de l'inconscient collectif français actuel, combien d'années, combien de générations seront nécessaires pour qu'on s'aperçoive des conséquences désastreuses de ce message ? Actuellement, des gens payent cette manipulation en ayant l'esprit encombré des problèmes tels qu'ils nous furent posés à cette époque par des penseurs ayant projeté leur propre volonté névrotique sur le monde[8].

== Le cas Foucault ==[9]

Lorsque des gens comme Foucault naissent à la philosophe (tout en refusant d'admettre qu'ils font de la philosophie), ils possèdent en eux cette représentation du monde, cette méfiance absolue de la psychanalyse prédite par Freud, cette loi des zones d'ombre et du tabou. Il creusent alors les sillons de la culpabilité et des peurs de l'endoctrinnement. En un sens, ils créent les conditions favorables pour de nouvelles aliénations : ces dernières seront toujours fondées sur de bonnes intentions, applaniront les différences structurelles en prétendant les révéler, se gargariseront d'altruisme facile, d'obsession de vérité unique et de refus de l'autorité.

Refus de conceptualiser

Un axe de l'œuvre de Foucault est de travailler sur l'archive des faits individuels, et de refuser explicitement la conceptualisation, de voir l'individu et de refuser de considérer les règles générales. Cette direction de travail pourrait être considéré comme un véritable travail de sape des fondations formelles de la société. Les imperfections de la société sont toujours survolées au profit d'une vision extrêmiste morale fondée sur l'existence de cas particuliers singuliers.

Si les intellectuels se pâment, il est important de voir que cette démarche est absolument anti-scientifique et viole les préceptes de base de la représentation statistique de la société. On ne parle plus de l'homme, on parle de certains groupes sociaux et de leurs problèmes pris ex-nihilo. La société est toujours le coupable désigné et l'individu est opprimé de fait.

Pourtant, comment prétendre construire une pensée sociale quand on refuse de conceptualiser ? Comment prétendre pouvoir partir de cas de détresse individuelle pour bâtir des modèles régissant la société en entier ? Le moyen commode est de ne pas se proclamer philosophe ; cela ote les responsabilités sociales ; cela transforme le philosophe en observateur tout puissant des défaillances sociales, en critique ayant toujours raison.

Car si on proclamait Foucault philosophe, on pourrait dire que sa pensée appartient aux penseurs de l'avant Platon : pas de véritable conscience politique et sociale, pas d'analyse à haut niveau de la chose sociale, juste une analyse stricto sensu phénoménologique de surface, pas de solution engagée proposée à part des modèles utopiques.

Régression et fuite de responsabilités

Il y a là une loi de la régression qui est inacceptable et qui de plus sert la cause opposée de celle qu'elle prétend défendre. Comment se protéger de la manipulation si on ne conceptualise pas, si on ne prend pas de recul ? Quelle fut la structure des manipulations totalitaires ? Sur quels traits psychologiques de l'homme s'appuyaient-elle ? Autant que questions qu'il faudra que la France se pose un jour en regardant son passé, autant de questions qu'il serait de la responsabilité du philosophe d'expliquer, dût-il user de toutes les techniques existantes ou en inventer de nouvelles pour y parvenir.

Les historiens marxistes de l'histoire de France ont pris leur retraire : on n'enseigne plus «la lutte des classes dans les campagnes au Moyen-Age». Une nouvelle génération les suit, sans doctrine visible (du moins pour le moment). Espérons qu'ils éclairerons progressivement les mensonges que nous portons en nous et qui font de la France ce pays prétentieux, culpabilisant, porteur de tabous, mais néanmoins merveilleux.