A propos de Michel Onfray

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Qu'est-ce que la philosophie ? Comment l'enseigner ? Michel Onfray, avec son « Université Populaire », entend répondre à un « besoin de sens » qu'il ressent chez ses participants (plus de six cents à chacune de ses conférences, retransmises tous les étés sur une radio publique).

Drapé derrière une démarche classique, celle du philosophe de l'agora, accommodé au parfum du « rebelle » très en vogue dans nos sociétés insatisfaites depuis le Romantisme, les messages de Michel Onfray sont un remarquable outil de pouvoir, de manipulation et de business.

Sous couvert d'une « nouvelle » façon de faire de la philosophie (en puisant dans des auteurs que l'histoire officielle n'a pas semblé bon de retenir), Michel Onfray fait de la philosophie comme on lui a appris à en faire, de la même manière, en s'appuyant sur des sources différentes certes, mais en ne révolutionnant rien. C'est, d'ailleurs, en un sens, le rôle qui lui convient le mieux. Car, dès lors qu'il « crée » de la philosophie (comme avec son Traité d'athéologie), nous découvrons soudain un auteur navrant et non créatif, empli de citations mal comprises et recyclant de la manière la plus grossière les poncifs sociaux les plus en vogue et les plus ridicules, poncifs qui sont sa cible favorite chez ceux qu'il ne cesse de critiquer.

Cet article a pour but d'analyser quelques uns des discours de Michel Onfray, philosophe qui, si son intelligence est incontestable et sa « culture » impressionnante quantitativement, véhicule un certain nombre d'idéologies haineuses, indignes d'un réel philosophe.

Sommaire

Petit historique du cas Michel Onfray

Une blessure adolescente : l'inanité de l'establishment de la philosophie française

Michel Onfray a suivi une formation de professeur de philosophie. Il y constata que le monde de la philosophie française, notamment au travers des institutions publiques (lycée, faculté, recherche) était un monde consanguin dans lequel des gens autorisés s'autorisaient à penser sur des thèmes philosophiques, tout en pratiquant une ségrégation systématique avec ceux qui n'était pas de leur monde ou qui n'avaient pas envie de penser de la même façon.

Blessé par ce constat que personne dans le milieu dont il avait rêvé ne portait haut les couleurs de la philosophie (au sens où les gens pourraient rêver cette discipline), Michel Onfray réalise que le « milieu » est composé d'hommes et de femmes qui, sous couvert de philosophie, ne sont que des gens bornés, cloîtrés, fermés et donneurs de leçons. Cette blessure est le grand moteur du positionnement contre du « contre philosophe », auteur de la Contre histoire de la philosophie.

Le blocage dans le positionnement « contre »}

Il y a malheureusement peu de choses à dire quant à ce constat, si ce n'est le fait qu'il soit un peu caricatural, et que beaucoup de gens le vivent quand, au sortir de l'adolescence, ils réalisent que le milieu parfait auquel ils avaient voulu appartenir et dont ils avaient idolâtré les qualités, est composé d'êtres humains, petits et mesquins, luttant comme des bêtes pour leur morceau de territoire.

Pour autant, il existe un choix, voilé à Michel Onfray de par son passé, le choix de poursuivre sur sa voie sans se résigner mais sans se positionner de manière aussi simpliste « contre ». Cette posture « contre » positionne, en effet, le « rebelle » dans le référentiel même de celui qu'il critique. Ainsi, en se positionnant « contre », on est dans le même monde, mais dans une idéologie qui se définit contre l'idéologie dominante. Ce positionnement est dit adolescent[1].

Onfray, cet éternel adolescent

Cette adolescence de l'esprit n'est pas sans résonner avec l'adolescence de l'esprit de toute une caste de philosophes oubliés, qui sont, chez celui qui critiquant la philosophie de ses pairs n'en use pas moins des mêmes méthodes, aussi d'éternels adolescents, à commencer par Nietzsche lui-même.

Cette éternelle adolescence a pour conséquence de distordre un certain nombre de perceptions de la réalité et implique notamment :

  • une incapacité à prendre du recul sur les choses, et donc une propension à les lire au premier degré ;
  • une haine de la vieillesse et, par delà cette image, du père symbolique, donc de l'autorité, de la sagesse, de l'ordre, du conservatisme ;
  • une attirance pour la notion de nouveauté, de jeunesse, de rébellion, de plaisir immédiat ;
  • une incompréhension des pensées profondes, des divers degrés de lecture ;
  • une passion affichée qui se doit de trancher avec les archétypes de l'autorité installée ;
  • un cynisme supposant que soi est le centre du monde et que personne n'a rien compris à rien sauf soi-même ;
  • un égoïsme forcené tournant facilement à l'égotisme et à la mégalomanie.

Comme chez beaucoup de philosophes adolescents, on trouvera chez Michel Onfray une pensée simple, cynique, « hédoniste », égocentrique, critique, une pensée de laquelle tous les concepts un tant sot peu complexes ne sont que des pures constructions de l'intellect, sans réalité aucune dans le monde. L'éternel adolescent ne connaît pas la frontière entre lui-même et le monde. Ainsi, il « projette », il voit dans le monde ce qu'il ne peut voir en lui-même. Il voit dans ce monde le négatif de ce qu'il croît être. Ainsi, s'il est persuadé d'être dans le vrai, le monde sera obligatoirement dans l'erreur ; s'il se trouve beau, il trouvera le monde laid, à moins que l'autre ne vienne flatter son propre ego.

Ce blocage, comme on va le voir, dans ce positionnement « contre » adolescent, fonde, chez Michel Onfray, le coeur récurrent de sa névrose.

Le constat de bon sens : la base de l'argumentaire marketing

Michel Onfray, comme tous les philosophes auxquels il se réfère et comme la plupart de ceux auxquels il ne se réfère pas, possède ce « sens du constat ». D'une façon général, il est le digne fils de sa formation, car tous les philosophes excellent dans la « science du constat ». On pourra noter que derrière ce constat, a priori partagé et souvent de bon sens, on retrouve dans l'ensemble de la philosophie le même travers : orienter ledit constat pour « vendre » ses propres solutions.

Michel Onfray, à la suite de son passage dans le parcours dit « normal » de l'enseignement philosophique, rejeta tout en bloc, gardant avec lui l'image un peu naïve qu'une autre façon de faire de la philosophie, qu'une philosophie collaborative inspirée des philosophes de l'Agora, était possible. Il démissionna de l'Education Nationale et créa, avec certain de ses amis, l'« Université Populaire de Caen ». Cette université, auto-proclamée, a durant un temps défrayé la chronique dans l'establishment français de la philosophie. Faire des cours alors qu'on a démissionné du poste habilité à cette tâche était, en effet, perçu comme « socialement incorrect ».

Michel Onfray en fera un symbole marketing et un argument de vente : il bâtira même son curriculum sur ce refus suivi d'une volonté de construire un enseignement parallèle, chose bien étrange lorsqu'on y regarde de plus prêt car :

  • il joue de sa caution d'enseigner au travers de son ancien poste de professeur de philosophie ;
  • il joue de sa démission pour rendre publicitaire une démarche de contre discours.

Une fois encore, Michel Onfray prend la suite de mon maître à penser Nietzsche : il devient le philosophe incompris, l'archétype romantique du « philosophe maudit », que l'« on » veut faire taire parce ses discours disent une vérité que la société a depuis longtemps interdit de révéler. Nous sommes en pleine « mission prophétique », pour un philosophe qui, nous le verrons, montre une détestation indéfectible à tout ce qui touche de près ou de loin à la religion.

Une critique (justifiée) de l'enseignement philosophique français

Pour en revenir au problème de l'enseignement philosophique, la formation philosophique pose probablement moins de problèmes du fait des hommes qui l'enseignent que du fait de la séparation complète des compétences scientifiques et littéraires qui conduisent une frange limitée et homogène des étudiants à choisir cette voie. Certes, les chercheurs de tout bord ont souvent la mauvaise habitude de chercher à garder quelque mainmise sur leur domaine. Cependant, l'homogénéité de la formation non scientifique des apprentis philosophes est plus préoccupante que les types d'enseignements, forcément biaisés (à commencer par celui de Michel Onfray), qu'on leur prodigue.

Car, le problème est que pour « penser le monde », les apprentis philosophes n'en ont souvent pas les moyens :

  • pas assez d'enseignements de la logique pour parvenir à décrypter la manipulation ou les belles phrases ou pour pouvoir construire des raisonnements argumentés sans conjecture et en ne postulant rien de commode en cours de route,
  • pas assez de cours de mathématiques, de physique et de biologie pour comprendre la science qui les entoure et qui tisse notre quotidien (Michel Onfray dirait « notre modernité »),
  • pas assez de cours d'économie pour pouvoir réfléchir sur le monde économique (et les cours de Michel Onfray sur « l'hédonisme social » tendent à montrer que les conjectures économiques des philosophes hédonistes sont parfois totalement ridicules et décalées par rapport à la réalité du domaine),
  • pas assez de cours d'histoire de l'art pour comprendre les mouvements artistiques et des notions très contestables de l'histoire de la pensée, voire de l'histoire tout court.

L'apprenti philosophe est devenu une sorte de « philosophe de café-philo », capable de parler de tout, sans réellement connaître quelque chose à la vie ou au monde qui l'entoure, de sortir ses certitudes sans pouvoir construire d'argumentaire logiquement correct et complet. En un mot comme en cent : le philosophe d'aujourd'hui est capable d'ergoter.

Michel Onfray n'a pas fait sa psychanalyse

Michel Onfray a malheureusement subi cet enseignement et, qu'il le veuille ou non, il peut apparaître comme un pur produit de ce dernier, n'ayant pas remis en cause en lui un héritage lourd à porter, comme nous allons le montrer dans la suite de cet article. Cet héritage se manifeste souvent au travers d'approximations éhontées ou de contre vérités indubitables au sein même de raisonnements dont la simplicité étonne parfois de la part de quelqu'un de si « intelligent ».

Nous pouvons, à cette occasion, constater que Michel Onfray, même s'il pense que « penser » est un travail sur soi, n'est pas rompu à l'exercice qu'est le travail sur soi : la remise en cause profonde de l'ensemble de nos croyances. Comme tous les éternels adolescents, il est aveuglé par sa propre personne et ne peut faire la distinction entre « penser sur soi » de manière intellectuelle et voir en soi les croyances incrustées afin de les nettoyer.

En effet, avant de parler du monde, il est nécessaire de savoir qui nous sommes. Michel Onfray nous donne la leçon sur ce que nous sommes, comme nous allons le voir, sans savoir qui il est. Ceci illustre une nouvelle fois, cette névrose adolescente dont nous parlions auparavant.

D'ailleurs, dans cette démarche toute égocentrique, toute « je m'auto-proclame philosophe », nous retrouvons la manière dont la psychanalyse est enseignée en cours de philosophie. Celle-ci s'illustre par un décalage patent entre les mots et soi-même. Car la psychanalyse est encore trop souvent utilisée par les apprentis philosophes comme une « caution », comme un moyen de lire des choses cachées dans la conscience des autres, mais en aucun cas de se remettre en question et de lire des choses cachées en soi-même. D'une manière générale, l'establishment de la philosophie française use de cette caution comme d'un argument de pouvoir et donc de protection, usant de cette technique de manière asymétrique vers le monde, comme argument para-scientifique de poids.

Cette démarche est d'ailleurs parfaitement identique entre Michel Onfray et le milieu de la philosophie dont il est issu : on parle psychanalyse mais on est loin d'avoir un jour tenté de faire la sienne ; tout comme on critique, sans réaliser que dans le contenu de cette critique, on se positionne dans le même référentiel que ceux que l'on critique et qu'en guise d'arguments, nous n'apportons que des opinions.

La philosophie ou « la science de l'opinion »

Nous touchons là à un des grands mythes de la philosophie occidentale, un mythe des plus navrants et des plus troublants. Chaque philosophe, quand il parle, se positionne dans l'hypothèse où son raisonnement étant juste (cette assertion pouvant être critiquée), il fait un pas vers la vérité, au travers de son discours.

Or cette hypothèse est fausse et la foire d'empoigne de la philosophie occidentale ne cesse de le prouver. Chacun a des vues différentes sur les choses, selon sa propre sensibilité. Nous ne sommes donc pas dans le monde de la pensée avec la philosophie occidentale, mais dans le monde de l'opinion, opinions qui, bien entendu, peuvent être argumentées. C'est cette foi aveugle dans la seule raison, la « raison pure », qui crée ce désagréable malentendu. La philosophie n'est pas affaire de pensée ou de logique, mais est affaire d'opinion. Ceci explique pourquoi la philosophie dériva aussi vite dans le domaine politique, pour que les philosophes, sous couvert d'intellectualisme, puissent exprimer leurs opinions personnelles, en les vendant comme des pensées philosophiques. Bien entendu, la portée de telles « pensées » se trouve, la plupart du temps, limitée à savoir si l'on partage ou non l'opinion.

La philosophie n'est que palabres autour d'opinions, toutes plus contingentes les unes que les autres, opinions qui n'ont de sens, la plupart du temps, que pour un auteur à une date donnée de l'histoire, relativement à l'ensemble de ceux qui ne pensaient pas pareil que lui.

Inutile donc de chercher dans la philosophie des réponses aux grandes questions humaines : le lecteur n'y trouvera que l'opinion plus ou moins bien argumentée d'une personne singulière.

Il en va de même pour Onfray dont la névrose adolescente fait de ses opinions, souvent malgré lui, de véritables caricatures de pensées.

Onfray, the preacher

Michel Onfray : le Zarathoustra moderne

Michel Onfray a donc créé, il y a quelques années, son Université Populaire avec pour but de traiter différemment les questions existentielles, « pour assouvir le besoin de sens » (sic), que les « hédonistes » qui viennent le voir (souvent des professeurs de l'institution qu'il quitta) veulent entendre traiter.

Michel Onfray s'y positionne en « professeur pour professeurs », ce qui est assez pernicieux dans la mesure où il prétend faire mieux que l'enseignement classique tout en faisant en quelque sorte contre ce dernier. Il ergote devant une audience d'adultes qu'il est capable de subjuguer de son verbe (notamment les belles femmes), au lieu de tenter d'intéresser, comme il le fit par le passé, aux subtilités de Platon ou de Freud, des adolescents « corrompus » par le monde consumériste et standardisé dans lequel ils vivent.

Dans les formes que prennent cet enseignement alternatif (pas de contrôle, par de lois, un gourou devant une assemblée béate), on pourra noter l'étonnante forme de prêche que les oraisons d'Onfray prennent. L'orateur se positionne en donneurs de leçons comme un Zarathoustra moderne, en tant que celui qui apporte du sens, prêchant ses ouailles et leur permettant à la fin de réagir sur le canevas que lui a tissé. Le discours doctoral est transformé en « prêche doctorale », avec débat, mais avec le sous-entendu supplémentaire que le conférencier Onfray fait mieux que ses collègues, qu'il apporte plus de sens, qu'il comble un vide, qu'il répond à une demande d'un certain public. La démarche est donc loin d'être neutre car elle est une reproduction du modèle classique dans lequel une légitimité auto-proclamée revendique ouvertement la prérogative d'apporter des solutions, de combler le vide de sens.

Quête de sens et manipulation des masses

Il y a là tous les ingrédients pour manipuler la foule qui écoute, que cette dernière soit dans la fosse ou derrière son poste de radio, car le travail d'Onfray, en prétendant combler le vide, se place sur le plan des solutions et non des problèmes. Il y a donc une démarche comparable à une doctrine religieuse ou politique : venez me voir et vous saurez comment être heureux en pensant. Le jeu sur le bonheur de penser est typiquement du ressort des grands mécanismes utilisés par les preachers américains : celui de prétendre rendre les gens « heureux ».

Bien entendu, Onfray se défend de cette interprétation en l'anticipant, en voulant se placer à l'extérieur de la démarche à la fois religieuse et politique (quoique ses cours ne cessent de se politiser avec le temps).

Quand on a fréquenté les « cafés-philo », on voit ce que peut être le niveau de débat dit philosophique sur n'importe quel thème : un déballage d'idées reçues parfaitement contingent, une impossibilité de tenir des raisonnements basés sur des idées complexes en raison d'une lecture projective des arguments et des concepts[2]. Le débat final des cours de Michel Onfray sert donc de caution pour que tout le monde en ait pour son argent (au sens figuré car l'université est gratuite même si les livres sont payants), que le public soit satisfait, qu'il ait l'impression d'avoir pu user de son « droit de parole » - et surtout de son « devoir d'écouter la bonne parole ».

Car, quand Michel Onfray nous parle de « ceux qui surfent sur la vague philosophique » (sic) en faisant de l'argent avec des livres « faciles », nous ne pouvons que constater le flagrant délit de projection. Michel Onfray est un champion du « surf sur la vague philosophique », et ses livres sont, souvent, des best-sellers.

« Preaching » et « réponses au besoin de sens », prêches gratuites et livres payants, charisme et discours intellectuel du philosophe aux cheveux longs, l'artillerie du marketing sectaire est l'apanage de ce surdoué de la communication et du marketing.

L'Université Populaire, un nouveau genre de mouvement sectaire ?

La structure du mouvement sectaire est souvent basée sur une attaque, comme mouvement « sectaire », de ce qui contrarie les libertés du mouvement. Pour une secte, c'est la société qui est sectaire de ne pas accepter son existence. Michel Onfray, c'est à la fois une prêche régulière et des lectures projectives, mais aussi une machine financière, c'est à la fois un discours contre l'establishment social de la philosophie à quoi s'ajoute une sympathie pour quelques courants « alter » ou « libéraux » selon les cas, c'est une volonté de donner des solutions dans le penser « libre et heureux » ; « Michel Onfray », c'est une « marque ». En conclusion, l'Université Populaire ressemble beaucoup à un mouvement sectaire dont Michel Onfray, lui-même, serait le gourou.

La structure sectaire tente d'utiliser les médias pour la glorification de son gourou et c'est ce qu'Onfray fait à l'aide de son Université ainsi que l'aide des médias publics. Il s'est construit l'image d'un gourou « isolé » (mais aimant la foule et les applaudissements), en dehors du brouhaha parisien et du système. Malgré cette distance, il reste très sensible à ce qu'on parle de lui, très sensible aux critiques (comme tout adolescent qui se sent attaqué dans sa nature même dès lors que l'on exprime un désaccord avec lui), et très sensible au fait d'attirer quantité de gens à chacune de ses « messes ».

Ces méthodes de manipulation sont tout à fait connues. « L'université est anti-fasciste » nous dit Onfray, cela résume beaucoup de ce discours creux, trendy, en opposition adolescente avec le reste de la société. Le sillon que creuse Onfray, c'est « l'épicurisme moderne », un genre de développement personnel à la sauce anglo-saxonne, égoïste mais plein d'une bonne conscience à la française, inscrit dans la droite lignée de notre héritage catholique et de notre tradition politique emprunte de communisme.

Bien entendu, il ne faut pas entendre le discours de Michel Onfray au premier degré pour y voir ses filiations en filigrane. L'auteur lui-même serait profondément choqué de le voir ainsi rapprocher de tout ce qu'il abhorre le plus. Pourtant, nous verrons dans la suite de cet article que cette filiation existe et qu'elle peut s'illustrer de manière très aisée, quoiqu'en dise l'intéressé.

L'Université de Michel Onfray dérange-t-elle ?

Au delà des discours, il n'est pas certain que l'Université Populaire de Michel Onfray dérange, comme les sectes inoffensives ne dérangent pas vraiment. Tout comme il est très contestable que les cours qui en sont issus puissent élever le doute personnel, plus que la voie traditionnelle d'enseignement de la philosophie, même si cette dernière s'avère imparfaite. C'est la philosophie qui doit être questionnée, la « traditionnelle », si tant est que ce concept recouvre quelque chose, comme celle de Michel Onfray.

Car, pour Michel Onfray, qu'est-ce que le «gai savoir» ? C'est une façon personnelle de prêcher, de pouvoir lire des livres et en écrire, de pouvoir en vivre, et de valoriser sa personne en tant que gourou mégalomane (et sexuellement ouvert), d'avoir une horde d'admirateurs(trices), d'être une « rock star » de la philosophie ? Il est et reste le fruit de son système, un fruit très bien médiatisé, un des plus beaux succès, somme toute de l'Education Nationale, à qui il aurait fait moins de publicité en y restant.

Avec les années, Michel Onfray est devenu l'apôtre d'une religion de la vraie philosophie, de l'alter-philosophie dont lui serait le dieu, décidant ce qu'il est bon de lire ou de ne pas lire, et comment on doit lire un tel ou un tel. Sa mégalomanie grandiloquence et charismatique en a fait un phénomène de société bien français, très socialement correct dans l'archétype du français obtus, hautain, baiseur hédoniste et donneur de leçons.

Etude de cas : le « Traité d'athéologie »

Nous allons dans cette partie nous intéresser à une étude de cas au travers du livre Traité d'athéologie de Michel Onfray. Loin d'être un de ses essais les plus brillants, ce livre haineux montre un Michel Onfray au sommet de ses travers projectifs, simplificateurs, illogiques, incultes et grossiers. Ce livre mérite la palme de la bêtise de ces dernières années, et est indigne du plus adolescent des philosophes qui soient. Enchaînant contre-vérités sur contre-vérités, mensonge sur assimilation groteque, Michel Onfray se montre dans un jour moins publicitaire que dans ses cours radio diffusés.

Ce livre eut un certain écho dans les milieux athées extrémistes car le ton pamphlétaire haineux contre les trois monothéismes, l'acharnement simplificateur et réducteur, l'agressivité à tendance raciste devait flatter dans le sens du poil certains lecteurs friands de poncifs et d'erreurs de toutes sortes, du point de vue logique, historique et philosophique.

En l'espace de quelques temps, l'« alter philosophe » est devenu « contre philosophe », radicalisant sa position et, finalement, rameutant autour de lui des extrémistes anarchistes ou libertaires, très éloignés de sa cible première de lecteurs, des gens en proie au doute généré par la pression du « socialement correct ».

Cadre du livre

Lorsque Michel Onfray parle d'athéisme, cela se nomme « athéologie », peut-être parce qu'« athéisme » rime avec « extrémisme ».

Le lecteur pourra chercher en vain un cadre rigoureux à l'étude, un cadre qui fonderait cette « athéologie » comme une discipline philosophique à part entière, qui exposerait selon quels concepts l'étude va s'appuyer, suivant quelle optique, quelle méthode logique ou philosophique. Cet essai aurait pu être une variation philosophique sur la grande controverse qui agita le monde des mathématiques au début du XXème siècle, quand cette discipline questionnait ses fondements et ses axiomes. Tout comme les mathématiciens se demandaient si les mathématiques venaient de Dieu ou étaient une création purement humaine, le philosophe Michel Onfray aurait pu se poser la question d'une fondation de la philosophie sur une base athée pur, sans relation avec la notion de Dieu.

En lieu et place de cette étude métaphysique, Michel Onfray nous sert un coup de gueule affectif et illogique empli des plus bêtes poncifs que l'on trouve dans tous les quotidiens de la place, et qui a l'outrecuidance de prétendre à la fondation philosophique d'une nouvelle sous-partie de la philosophie.

Peut-être est-ce dû au fait qu'Onfray, en « contre philosophe » se « contre-fiche » du lectorat classique des livres de philosophie. Peut-être visait-il une autre audience, plus nombreuse... et plus lucrative. Peut-être son hédonisme avait-il atteint un besoin de reconnaissance médiatique personnelle ? Peut-être son manque de culture scientifique ne l'avait pas rendu sensible aux grandes questions métaphysiques que semblaient ouvrir son chantier titanesque ?

Onfray est parti de l'Education Nationale, mais on comprend pourquoi. Le vieil establishment français, pour tout imparfait qu'il soit, n'aurait jamais permis la publication d'un tel monument de bêtises et de haines primaires, du moins sous son haut patronat.

Un problème de méthode

Le discours d'Onfray est étonnamment primitif, jusqu'à l'utilisation de formules qui logiquement ne démontrent rien , tout en prétendant présenter un argumentaire. Quand nous disions auparavant que la philosophie était opinion, la philosophie de Michel Onfray ressemble à une discussion de café du commerce.

Jouons le jeu d'Onfray. Notons « X », une communauté de personnes quelconque, ayant une doctrine. Je cite :

Je ne méprise pas les [gens appartenant à la communauté X], je ne les trouve ni ridicules, ni pitoyables, mais je désespère qu'ils préfèrent les fictions apaisantes des enfants aux certitudes cruelles des adultes.

Qui prononce cette phrase ? Monseigneur Lustiger en parlant de la naïveté manipulée des consuméristes athées, ou Onfray en parlant des « croyants » ?

Continuons :

La crédulité des hommes dépasse ce que l'on imagine. Leur désir de ne pas voir l'évidence, leur envie d'un spectacle plus réjouissant, même s'il relève de la plus absolue des fictions, leur volonté d'aveuglement ne connaît pas de limites.

Qui dit cela ? Un imam islamiste en parlant des valeurs de l'homme occidental athée, uniquement basées sur l'argent, la réputation sociale et le pouvoir ? Staline en parlant de l'endoctrinement des masses au mirage du communisme ? Ou Onfray parlant des « croyants » ?

Bien sûr ces phrases sont issues du Traité. Le problème est que l'on pourrait retourner comme on le veut toutes ces phrases dans la bouche de n'importe quel religieux, tenant de l'athéisme compris. Car le bas blesse ici : on ne peut pas faire un livre sur l'athéisme, sans faire un traité de théologie, et sans être soi-même, en un sens, un théologien, un religieux.

Nous aurions tous aimé que la puissance intellectuelle de Michel Onfray parvienne là où aucun philosophe n'était parvenu auparavant : poser les bases théoriques d'un athéisme qui ne serait pas une doctrine de structure religieuse. L'écueil était si énorme, ni consubstantiel avec le sujet de fond de ce traité que Michel Onfray, s'il avait été un philosophe digne de ce nom, aurait dû se poser cette question avant de parler de ses opinions. Mais nous voyons bien que ce texte n'est pas un texte de philosophie.

Notons que pour quelqu'un qui prétend hériter de Nietzsche, la filiation est abusive, car Nietzsche était souvent d'une implacable logique (quoique défendant des thèses parfois contestables), logique que l'on ne trouve pas dans Onfray, logique qu'Onfray aurait pu apprendre chez Kant, tout « contre philosophe » qu'il est, et tout haineux qu'il est vis-à-vis de ce dernier.

Que dire alors de ces invectives, très classiques, qui sont similaires en tous points aux fleurs vénéneuses que les tenants des religions diverses ne cessent de s'envoyer, se critiquant les uns les autres ? Onfray entre avec la bannière du « fanatisme athée » dans la bataille pour attaquer les autres fanatismes religieux. Difficile à défendre, même « pour la bonne cause ». Tout cela sent la morale, mais une morale qui ne se dit pas : une morale « personnelle » peut-être, la morale du gourou qui ne comprend pas qu'il prétend penser mais ne pense pas plus loin que ceux qu'il critique (et dans ce livre, on serait tenté de penser qu'il pense moins loin).

Là encore, le bas blesse. Onfray voudrait profiter de la vague athée modérée actuelle pour pousser les gens à glisser du culte de la laïcité, version loi de 1905, vers « l'athéisme forcené ». Fort heureusement, il existe des athées tolérants, tout comme il existe des croyants tolérants. Onfray ne fait partie, lui, ni d'un groupe ni d'un autre, car l'adjectif « tolérant » lui est parfaitement inconnu, comme on va le voir.

Onfray, the « atheist » preacher

Les citations suivantes sont assez navrantes, à tel point que l'on se demande si celui qui a écrit cela était seulement un peu intelligent - nous entendons au sens philosophique et, bien entendu pas au sens commercial.

Michel Onfray parle des croyants comme de gens trop disciplinés car complètement manipulés. Ces derniers lui inspirent de la « pitié » (on notera le champ sémantique religieux). Extrait :

Dès lors je ressens ce qui toujours monte du plus profond de moi quand j'assiste à l'évidence d'une aliénation : une compassion pour l'abusé doublée d'une violente colère contre ceux qui les trompent avec constance. Pas de haine pour l'agenouillé, mais une certitude de ne jamais pactiser avec ceux qui les invite à cette position humiliante et les y entretiennent. Qui pourrait mépriser des victimes ? Et comment ne pas combattre leurs bourreaux ?

Onfray rêve d'un ennemi, d'une autorité qui contraindrait les croyants à se prosterner. Une nouvelle fois, revenons à sa blessure : Onfray, dans son refus de l'autorité, dans son refus de se soumettre au monstre « Education Nationale », voit des gens soumis à des monstres partout. Cette compassion qu'il éprouve pour les « victimes » est une erreur fondamentale : il « voit » des victimes là où elles ne sont pas ; il voit du monde uniquement ce qu'il en comprend. Quel contresens affligeant pour quelqu'un entamant un livre sur les religions.

Quelques commentaires basiques peuvent être ajoutés :

  • « l'évidence d'une aliénation » : les tribunaux civils et pénaux de tous les pays savent ce que sont les évidences pour les «témoins» ; les psys aussi (mais Onfray ne se sert de la psychanalyse que quand ça l'arrange[3] ;
  • « compassion » : nous sommes en pleine tradition judéo-chrétienne ;
  • « comment ne pas combattre leurs bourreaux ? » : voilà clairement exposée la déclaration de guerre de l'athéisme contre les religions aliénantes, à comprendre « les autres religions ».

Le « preacher » athée va plus loin. Les croyants sont fous :

Tant que la religion reste entre soi et soi, après tout, il s'agit seulement de névroses, psychoses et autres affaires privées.

En même temps, on trouve en introduction du livre :

Je ne méprise pas les croyants.

Cette versatilité est étonnante, très adaptée à un propos destructuré et incohérent, dont le seul but est d'épancher une haine personnelle, un éternel positionnement « contre ». Onfray ne comprend rien, ne cherche pas à comprendre mais il ergote de manière haineuse et philosophiquement stérile.

L'artillerie lourde des traités de théologie

Même si le livre est navrant, il est bon de citer quelques exemples concrets afin d'illustrer cette critique. Au fur et à mesure du livre, nous découvrons qu'il s'agit bien, dans le fond, d'un traité de théologie, parsemé d'attaques dont le ton agressif laisse perplexe.

La forme est, par ailleurs, celle d'un discours de type marketing, voire publicitaire, articulé autour de trois axes.

D'illustres prédécesseurs ont acheté mon produit

Onfray se cherche des cautions dans les grands philosophes de l'histoire. Il use donc du raisonnement fallacieux qui veut que, comme d'autres ont dit et écrit des bêtises avant lui, ces bêtises soient vraies. Là où le raisonnement est pernicieux n'est pas dans le fait qu'il use d'une bibliographie, mais qu'il use de ces dires anciens comme arguments à une polémique, alors même qu'à l'époque, ces auteurs étaient tout sauf consensuels.

Nous pourrions aussi revenir sur cet usage très contradictoire de la bibliographie : quand certains auteurs ont écrit des choses qui vont dans le sens d'Onfray, alors, ces écrits sont vrais, même s'ils sont toujours méconnus. En revanche, dès que l'auteur ne trouve pas grâce auprès d'Onfray, les écrits sont des tissus de mensonge. Là encore, le philosophe nous donne ses opinions personnelles, mais d'une façon très grossière, c'est-à-dire sans le moindre argumentaire crédible. Nous sommes dans le niveau du « c'est de la merde », dans la pensée adolescente.

Pour Onfray, bien évidemment, Nietzsche est le point de départ et les philosophes ayant revendiqué être ses héritiers « spirituels » sont les cautions de l'ouvrage. Bien entendu, au sein d'un siècle d'anti-cléricalisme militant en France, les exemples sont plutôt simples à trouver chez des noms qui flattent le grand public français dans le sens du poil[4].

Le produit des concurrents est mauvais

Onfray recherche ensuite dans le passé des religions concurrentes des incohérences théologiques manifestes (pour les non initiés), des incertitudes sur qui a dit quoi, ou qui a fait quoi, ou qui a écrit quoi, ou comment les autres ont interprété « faussement » des choses depuis des siècles. Il s'appuie dans cette partie sur le fait de susciter chez le lecteur la peur du complot.

Ce mécanisme est à la base de l'approche mercantile de la philosophie : on ne vend pas son produit (l'athéisme) sans vouloir « prendre des parts de marché » sur les autres. Le « marché » est dans ce cas composé de gens intéressés par en savoir un peu plus sur les religions et intéressés par le domaine philosophique. Pour Onfray, la stratégie de vente repose sur une idée force : « déconstruire les trois monothéismes », ses principaux concurrents.

De plus, reprocher que la contradiction soit l'apanage de la religion est là encore le témoignage d'un incroyable manque de perspective, car la philosophie est comme la théologie : une foire d'empoigne souvent bien stérile dans laquelle de nombreux auteurs ne font que confronter leurs opinions personnelles.

Les vendeurs concurrents sont des gens dangereux

Troisième étape, Onfray tente de montrer que les « vendeurs de religion » sont des gens dangereux. Dans cet axe, il commence à user de tous les amalgames pour faire peur au potentiel « client » et pour le dissuader d'aller acheter ailleurs. Les mots sont à l'image de l'absence de pensée philosophique :

Des guerres, des expéditions punitives, des massacres, des assassinats, du colonialisme, des ethnocides, des génocides, des Croisades, des Inquisitions, aujourd'hui l'hyper terrorisme planétaire...

Ces diatribes ne sont, malheureusement, pas sans rappeler Staline ou Hitler parlant de leurs concurrents religieux. On apprend donc que « la religion » - concept indéfini - est responsable de tous les maux de la Terre. Onfray a désigné l'ennemi à abattre.

Le programme politique d'Onfray

Onfray procède alors à la construction d'un véritable programme politique basé sur le leitmotiv suivant : tout ce qui touche de près ou de loin à une religion est une absurdité nocive.

Le programme politique se décompose en trois actes :

  • « déconstruire les monothéismes » - se prendrait-il pour Derrida ?
  • « déconstruire le christianisme », ou comment Jésus est une pure invention ;
  • « déconstruire les théocraties », ou la lutte contre l'islam, fondamentalement mauvais car générant forcément des régimes théocratiques.

Le livre n'en finit pas de basculer dans les discours de plus en plus limites. Exhibant le « concept » d'« arrière monde », sans l'étayer ne serait-ce qu'un petit peu, Onfray tente de trouver un argumentaire pour nous dire que tout ce qu'il y a dans les livres saints ne sont que billevesées : le paradis et l'enfer, la morale, les anges, etc. Religion, foi, superstition, etc., tout cela rime avec « arrière monde ». A l'instar d'un Nietzsche, on est en droit de se demander si ce qu'Onfray n'a pas écrit a le droit d'exister.

La partie sur le christianisme traite de l'« invention » de Jésus, du fait que tous les croyants sont des névrosés, et pire que cela, qu'ils ont été contaminés par Saint-Paul, archétype de l'hystérique[5]. Heureusement, le « psy » Onfray veille et a détecté ce fait nouveau dans l'histoire du christianisme. L'état chrétien est une dictature qui passe par la culture de la « culpabilité » et de la « pulsion de mort ». Par extension, le raisonnement est vrai pour les juifs et les musulmans. Ces attaques contre le christianisme sont parfaitement absurdes, inacceptables car fausses. Peut-être Onfray est-il plus discret avec le judaïsme de peur de se faire traiter d'« antisémite » ?

La partie sur les théocraties est probablement la partie la moins inepte parce qu'elle parle enfin de l'establishment religieux en tant que groupement d'hommes hypocrites se servant de l'image de Dieu pour manipuler les foules. Bien sûr, Onfray avec sa finesse légendaire confond théocratie et islam, et islam et Dieu dans une longue diatribe aux accents un peu racistes.

Une haine étrange de l'islam

La conclusion du Traité est un acharnement, bien de saison, sur l'islam que, manifestement, Onfray ne connaît pas du tout. Répandant une haine islamophobe, Onfray, le « contre philosophe », se fait l'apôtre des confusions les plus regrettables, servant à appuyer son discours intolérant et fascisant.

Soyons clairs, Moïse et Mohammed sont des « bouchers ». De plus, Onfray fait de terribles contresens, si naïfs qu'on hésite à les croire « voulus », sur la Guerre Sainte, le « Djihad », qui est une guerre contre soi-même et non contre les autres, au sens du Coran. Pour un philosophe, cette inculture est inacceptable. Par ailleurs, nous dit-il avec le jugement de l'homme du XXIème siècle, le Coran est antisémite et encourage les musulmans à exterminer les non musulmans. Quelle lecture absurde et primitive, totalement contraire au texte et la lecture des théologiens islamiques depuis quatorze siècles. Michel Onfray conclut que l'islam est « incompatible avec les Lumières », alors que la civilisation islamique a inspiré les Lumières. Cette représentation, si elle est fausse, n'en est pas moins, elle-aussi, de saison.

Mais Onfray sait-il seulement que les Lumières attaquaient l'abus de pouvoir dans sa forme religieuse et civile, mais non la foi ? Là encore, quel manque de culture philosophique. A force de ne lire que les « contre philosophes », le « contre philosophe » Onfray s'embourbe dans la négation de faits pourtant reconnus par tous.

Nous avons ensuite droit à la comparaison entre islam et nazisme sur la « négation du concept d'universalité » (ce qui est grotesque quand on connaît l'islam qui prône l'universalité du message prophétique) et sur les tatouages pratiqués parfois en Islam durant certains siècles. Puis, Onfray parle de « fascisme musulman » en parlant de l'Iran des années Khomeiny.

L'islam, pratiqué de manière tolérante au travers de la planète dans un grand nombre de pays, est passé sous silence, au profit d'une confusion entre le régime de Khomeiny, présenté comme un modèle de société islamique et l'islam[6]. Cette confusion grossière est elle aussi inacceptable car, une nouvelle fois, totalement fausse. Si Onfray ne sait ce qu'est la charia, il ne lui suffit pas de lancer des contresens et des absurdités pour créer une vérité.

Une «laïcité combative», mais contre quoi ?

Onfray défend ensuite une « laïcité combative » qui est en fait un athéisme qui voudrait remettre en cause l'article 18 des droits de l'homme :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.

Cet article devrait être plus souvent publié par nos médias tant son sens premier a été oublié. On y trouve la possibilité d'exprimer sa religion en privé {mais aussi en public}, ce qui fait mal à l'athéiste militant Onfray :

Tant que la religion reste entre soi et soi, après tout, il s'agit seulement de névroses, psychoses et autres affaires privées.

La « laïcité combative » semble rejoindre la volonté de « faire taire » les religions dans l'espace public. Cela s'apparente à s'y méprendre à des tendances anti droits de l'homme que l'on trouvait chez les Maoïstes ou les Staliniens.

Certaines affirmations de la partie sur la laïcité sont, par ailleurs, plus qu'étranges :

Nombre de militants de la cause [laïque] ressemblent à s'y méprendre à des cléricaux.

Ici, Onfray nous parle des célébrations civiles inspirées d'une cérémonie jadis religieuse (comme le mariage). Il accuse les militants laïques de tolérer la structure de rite religieux de certains actes civils, et donc, trouve que ces militants ne sont pas assez extrémistes. Nous sommes en pleine vision stalinienne de la société, l'objectif étant, pour Onfray, de détruire toutes les traces des rites religieux dans la vie civile. Cela peut faire froid dans le dos.

Onfray en rajoute sur l'attaque d'une laïcité « trop tiède » :

Car en mettant à égalité toutes les religions et leur négation, comme y invite la laïcité qui triomphe aujourd'hui, on avalise le relativisme : égalité entre la pensée magique et la pensée rationnelle, entre la fable, le mythe et le discours argumenté, entre le discours thaumaturgique et la pensée scientifique, entre la Torah et le « Discours de la méthode », le Nouveau Testament et la « Critique de la Raison Pure », la Coran et la « Généalogie de la morale ». Moïse vaut Descartes, Jésus, Kant et Mahomet, Nietzsche...

Que nous propose donc Onfray ? De faire des autodafés des livres religieux ? D'effacer de nos mémoires notre tradition judéo-chrétienne ? De gommer notre histoire ? D'oublier la religion comme un fait éternel ? Quel est au juste le but de cette diatribe ? De faire comme Mao durant la « révolution culturelle » : de détruire toute trace du passé sous prétexte qu'il est de près ou de loin lié à une religion ?

Michel Onfray, le révisionniste

Les tenants de la laïcité française, les athées modérés et tolérants, pourront éprouver une certaine perplexité devant un tel déversement de haine. Onfray prône l'oubli du passé personnel et collectif, le refoulement, la destruction des liens avec un passé dans lequel la tradition religieuse joua un grand rôle, et pas seulement un rôle négatif.

Onfray, dans son Traité, prône le « révisionnisme » historique ; il souhaite réécrire l'histoire (ainsi que celle de la philosophie dans sa Contre histoire de la philosophie), une histoire à charge, une histoire contre la mémoire et confondant les interprétations de certains extrémistes religieux avec le fait religieux, fait indéniable depuis la naissance de l'humanité. Comment Onfray peut-il, en « philosophe », nier l'existence d'écrits dans tous les siècles sur la question religieuse, depuis la fameuse quête de Gilgamesh retrouvée dans la bibliothèque de Ninive, jusqu'aux écrits de psychologues comme w:Abraham Maslow sur l'ethnographie de la « révélation religieuse » (expérience paroxystique) ? Quel gonflement insupportable de l'ego le porte à de pareilles mises en scènes négationnistes ?

En un sens, Onfray ne fait que retenter la réinterprétation communiste de l'histoire de France[7] que l'on connut dans les années 60 et 70. Onfray, en tout bon « contre philosophe », « oublie » tout simplement de parler des philosophes croyants, quand il souhaite défendre la thèse d'une éradication du religieux et des traces du religieux dans les esprits, comme dans les cœurs, comme dans la société.

Loin de reconnaître le fait religieux et de l'étudier dans ses dérives, Onfray veut le réduire à néant, le fait ainsi que ses héritages, et l'histoire qui lui est associée. Onfray apparaît ici au sommet de l'égotisme, tout comme son maître Nietzsche, un cœur sec et haineux, un révisionniste dangereux, un maoïste primaire déguisé en hédoniste. Onfray pourrait se targuer d'être le prophète fanatique de l'athéisme.

Onfray en plein Oedipe

Quand Onfray dit :

A l'heure où se profile un ultime combat - déjà perdu... - pour défendre les valeurs des Lumières contre les propositions magiques, il faut promouvoir une laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l'islam qui le combat. Ni la Bible, ni le Coran.

Nous nageons dans les fantasmes et les peurs d'un « névrosé charismatique » qui veut refaire le monde à son image, et qui veut propager ses solutions à ses propres problèmes psychologiques à « ses ouailles ». Pourquoi cette peur de notre histoire, de nos traditions, pourquoi cette intolérance avec ceux qui croient, pourquoi ne pas se contenter d'une pacifique cohabitation entre croyants et non croyants ? Pourquoi vouloir créer de nouvelles guerres de religion (l'athéisme extrême en étant une) ?

Notons que Michel Onfray n'en est pas à son coup d'essai, ni à sa première défense de cette thèse néo-maoïste :

On fustige parfois mon antichristianisme agressif au motif que la France ne serait plus catholique et que je tirerais sur une ambulance, activité inutile et incertaine... Or je crains l'inverse : la moindre adhésion aux pratiques rituelles de terrain - encore que... - se double d'une soumission viscérale aux idéaux chrétiens qui travaillent le corps et l'âme du plus grand nombre comme jamais. Cette religion apparemment absente détermine encore les pensées, les comportements et les réactions avec la complicité d'une laïcité qui singe à s'y méprendre les valeurs bibliques.

Ainsi s'exprime-t-il dans La philosophie féroce. On voit bien quelle est l'ampleur effrayante de la paranoïa d'Onfray envers les religions. Une nouvelle fois, il confond les écritures saintes avec certains principes moraux, parfois contestables, qu'en ont tiré, de manière pas toujours légitime, les religions au sens de « structure religieuse ». Comme avec Nietzsche, nous nageons en plein délire personnel. Le spectre du père, archétype de l'autorité, s'est pour Nietzsche comme pour Onfray, incarné dans l'horrible concept « religion » ; le père, c'est « Dieu » ; « tuer le père », c'est « tuer Dieu ».

Vices de forme et de logique à chaque étage

Est-il besoin de rappeler, dans ces conditions, les erreurs conceptuelles que fait Onfray ? Peut-être oui, au moins pour que le net garde des traces de cette affaire scandaleuse (comment Grasset a pu publier une chose pareille ?).

Dans l'esprit d'Onfray, le croyant est un imbécile parce qu'il croît de manière volontaire, par choix intellectuel, par volonté d'adhérer à une superstition. Le reste du raisonnement découle de ce contresens terrifiant expliqué par l'article Qu'est-ce que la foi ?. La foi, rappelons-le à ce preacher des temps modernes, est un sentiment qui, comme l'amour, ne rentre pas dans les cases de la raison. Pascal l'avait dit il y a bien longtemps, mais il semble que cela soit toujours un « scoop » pour certains « philosophes ». Il n'y a donc pas d'antinomie entre foi et raison.

Onfray suppose aussi qu'un athée peut comprendre les livres saints. Or, même en théologie, l'histoire de l'ésotérisme nous indique que la compréhension des livres saints est loin d'être facile. On sait, depuis des siècles, que l'athée et le croyant ne lisent pas de la même façon les livres saints, le premier les lisant de manière littérale (plus intellectuelle), le second de manière plus symbolique (plus affective et plus dirigée vers lui-même).

Les théologiens ont pour fonction de fournir au croyant une lecture exotérique des textes saints, ce qui signifie qu'ils expliquent les versets aux croyants en fonction de leur grande culture religieuse et historique. On a souvent confondu lecture littérale et lecture exotérique, alors que ces deux lectures sont très souvent distinctes. La lecture littérale est celle de l'athée, tandis que la lecture exotérique est celle du théologien. Ainsi, certains versets controversés du Coran sont-ils l'objet d'explications exotériques précises.

Certains mystiques sont même allés jusqu'à dire qu'on trouvait un sens différent à chaque lecture suivant le palier spirituel sur lequel on se trouvait. L'athée est au palier zéro. Le croyant sincère est au premier palier, au palier exotérique. Pour Ibn Arabi, le Coran comporte sept lectures qui sont autant de paliers spirituels, à séparer de la lecture littérale, encore différente de la lecture exotérique.

Onfray oublie ces points majeurs et, en ce sens, il désinforme de la manière la plus éhontée. De plus, il est incohérent car il est le premier à critiquer les interprétations hâtives de son maître Nietzsche, interprétations de lecteurs qui lisent soi-disant de manière « trop littérale ». Peut-il affirmer qu'il ne faille pas étudier pour comprendre Kant ? Pourquoi lui, l'athée extrémiste, pourrait comprendre la Bible ou le Coran sans faire aucun effort, sans s'y intéresser, en méprisant a priori le message du texte saint ? Il y a désinformation manifeste dans cette critique primaire des religions, tout cela dans le but commercial de vendre un message hédonisto-maoïste.

La vérité sur Onfray

Nous approchons de la conclusion sur ce livre navrant. Est-il seulement possible de lire le Traité d'Onfray au degré où il l'écrit, tant ce livre est empli de poncifs inacceptables, d'amalgames répugnants, de haine peureuse déguisée en raison et d'apologie du totalitarisme ? Onfray est-il un gourou maoïste ou un opportuniste «hédoniste» ?

Le cas Onfray est un cas, somme toute, banal : un philosophe très intelligent qui, à l'instar de son maître Nietzsche, a écrasé son cœur sous le poids d'une intelligence furieuse, vengeresse et destructrice. Il se peut qu'il jouisse de son corps (et encore on peut se le demander), il se peut qu'il jouisse de sa pensée haineuse, mais il serait très étonnant qu'il jouisse de son cœur.

Onfray projette ses névroses sur le monde, fait d'êtres abrutis et aliénés ; il voue un culte à ses deux idoles, Nietzsche et « la raison », raison que son esprit a pervertie en un générateur de haine, en une volonté de révisionnisme - tout comme son maître.

A l'instar d'un Nietzsche[8], il pense que sa lucidité est exceptionnelle et que son destin est de nous sauver de nos aliénations, dans l'éradication complète de toute référence au religieux, dans la recherche systématique de destruction de passé. Il ne comprend pas que sa haine l'aveugle et lui fait troquer un culte contre un autre, des anciens rites contre des nouveaux rites. Il ne comprend pas que le message des livres saints est une chose, et le discours religieux en est une autre ; comme sa lecture de Nietzsche est une chose et le texte de ce dernier une autre.

Etant donné qu'il n'explique jamais pourquoi attaquer les livres saints, qu'il ne démontre jamais le lien structurel entre religion et crimes, entre foi et névrose, qu'il ne fait qu'affirmer sans jamais démontrer, qu'il ne fait que recycler des idées intolérantes sans les argumenter, on pourra voir en Onfray un comportement psychotique, comme dans Nietzsche.

Onfray a bâti une théorie de l'hédonisme pour rechercher une valorisation personnelle que son enfance ne lui a probablement pas donnée, comme Nietzsche. Même « Onfray l'hédoniste » est faux. Ses livres sont une façon de se rendre important, de lutter contre un complexe d'infériorité, de bâtir, comme son maître à penser, des théories globales au lieu de se contenter de vivre. Car Onfray, dans son malheur, ne sait pas vivre car il ne sait pas ressentir : il ne sait qu'intellectualiser. Au point que même le mot « hédoniste » est perverti par l'emploi qu'il en fait.

Michel Onfray n'est pas un être enviable. Il est complexé, et doit alterner phases de prétentions et phases de doutes extrêmes. Dans ses phases négatives, il en veut à la terre entière comme jadis, lorsqu'il quitta l'Education Nationale.

Il a créé une nouvelle Education Nationale qui est l'Université Populaire en référence au Maoïsme. L'« ennemi » Education nationale est donc terrassé. Il s'attaque naturellement à l'« ennemi société judéo-chrétienne », à l'« ennemi islam », à l'« ennemi philosophie » avec sa Contre-histoire. Le monde d'Onfray est peuplé d'ennemis...

Dans ses phases positives, il se gargarise d'un hédonisme intellectuel, en rêvant de le vivre comme les anciens, « pour de vrai », en dehors des livres et des conférences. Que dire de cette peur de son corps qui va se dégrader avec l'âge et qui lui rendra un certain hédonisme sexuel inaccessible ?

Onfray est un genre de maniaco-dépressif de et dans la philosophie - tout comme Nietzsche.

Jamais il ne soigna cette petite névrose d'enfance, cette absence de reconnaissance qui se pervertit au fil du temps en mégalomanie délirante. Aujourd'hui, il projette. La contre histoire de la philosophie est le fruit de cette projection : il voit de l'hédonisme partout. Un jour, peut-être se présentera-t-il aux élections pour vendre sa société totalitaire néo-maoïste.

Hier la philosophie classique était inepte à ses yeux, aujourd'hui la religion est un tissu de bêtises, demain, autre chose sera la cible de sa rancœur et de sa haine de lui-même. La pulsion de mort qu'il voit dans le christianisme est encore une projection : elle n'est que sienne. Onfray projette encore et encore son pathos, n'étant jamais sorti de son adolescence[9].

Michel Onfray, en étant « contre philosophe », est un symbole de l'« anti-vie ».

Un succès sur la pente descendante

Nous devrions nous interroger sur le succès de cet homme et sur le fait que le Traité ait « agressé » ou « dérangé » une bonne partie de son lectorat d'avant. Les défenseurs les plus fervents d'Onfray sont désormais les militants de l'athéisme libertaire intégriste, eux-mêmes en perte de repères. Pour le reste, interrogeons-nous sur notre capacité à publier les pamphlets intolérants et haineux de psychotiques.

Il n'est pas certain qu'Onfray n'ait pas commis, là, la grosse bêtise de sa carrière, ni même qu'il ne parvienne jamais à accepter que ce livre ait été une énorme bêtise, bien qu'il ait aussi été un gros succès de librairie.

Décrédibilisé auprès de ceux qui auraient bien voulu d'un philosophe tolérant, prônant un « hédonisme judéo-chrétien » pacifique, auprès de ses admirateurs de toujours, il rallie désormais des suffrages qui lorgnent vers un extrémisme plus dangereux. Les intellectuels le trouvent un peu limite, ce qui se comprend, et son aura en a pris un grand coup depuis l'édition mal à propos de ce tissu de bêtises.

Il est possible qu'un jour, on ne parle plus de Michel Onfray. Mais en attendant que ce monsieur étanche sa haine, j'ai bien peur que son venin ne se répande dans les esprits qu'il s'est donné pour mission de sortir de leur aliénation. C'est pour ceux qui doutent qu'il m'a semblé important d'écrire cet article, car le personnage ne vaut guère que l'on s'intéresse à ses livres navrants.