A propos de Michel Foucault

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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L'approche de Foucault est résolument anti-psychologique, et pourtant elle cherche au travers des «vérités de l'époque» à toucher cet inconscient collectif. Le vrai problème de la méthode de Foucault pourrait donc être de ''construire avec la notion de vérité un objet d'étude qui n'existe pas''. L'approche de Foucault est résolument anti-psychologique, et pourtant elle cherche au travers des «vérités de l'époque» à toucher cet inconscient collectif. Le vrai problème de la méthode de Foucault pourrait donc être de ''construire avec la notion de vérité un objet d'étude qui n'existe pas''.
-Car, Jung, pour sa part, différencie ce qui est inconscient collectif de ce qui est lieu commun, sachant que ce qui est lieu commun peut être phénomène. Il suffit de regarder un peu autour de nous les manifestations sociales dominantes pour regarder quelle représentation nous avons de notre société : si nous gardions les plus importantes d'entre elles à un instant ''t'', nous n'aurions qu'une vision absurde et biaisé de la société, avec des vérités d'une partialité incroyable, immédiate. Si l'on agrémente à cette représentation fractionnaire, voire arbitraire, l'axiome de vérité, nous sommes prêts à dire n'importe quoi sur la société : nous sommes dans une démarche de ''légitimation de la pensée par la conjecture''.+Car Jung, pour sa part, différencie ce qui est inconscient collectif de ce qui est lieu commun, sachant que ce qui est lieu commun peut être phénomène. Il suffit de regarder un peu autour de nous les manifestations sociales dominantes pour regarder quelle représentation nous avons de notre société : si nous gardions les plus importantes d'entre elles à un instant ''t'', nous n'aurions qu'une vision absurde et biaisé de la société, avec des vérités d'une partialité incroyable, immédiate. Si l'on agrémente à cette représentation fractionnaire, voire arbitraire, l'axiome de vérité, nous sommes prêts à dire n'importe quoi sur la société : nous sommes dans une démarche de ''légitimation de la pensée par la conjecture''.
C'est la grande ironie des fondements théoriques de l'archéologie du savoir : introduire le concept de vérité pour légitimer la conjecture, et donc légitimer le travail des sciences humaines tel qu'il est, trop souvent encore à l'époque de Foucault, et non fonder les sciences telles qu'elles devraient être. C'est la grande ironie des fondements théoriques de l'archéologie du savoir : introduire le concept de vérité pour légitimer la conjecture, et donc légitimer le travail des sciences humaines tel qu'il est, trop souvent encore à l'époque de Foucault, et non fonder les sciences telles qu'elles devraient être.

Version du 15 juillet 2009 à 18:16

Sommaire

Foucault et le passé mort

Foucault, dans son approche phénoménologique des choses, en héritier de phénoménologues comme Heidegger ou Sartre, considère l'écriture sur le passé comme conditionnée au fait que le passé est mort. Cette mort du passé lui attribue, selon ses propres dires le rôle d'un « médecin » de l'histoire, d'un « diagnosticien » ; je dirais plutôt que sa démarche est celle d'un médecin légiste du passé.

Cette démarche, si elle est respectable et trouve tout son sens dans les doctrines de pensée des années 60 françaises et dans l'héritage de la phénoménologie, n'est jamais remise en cause formellement par les instances intellectuelles françaises. Pourquoi ?

On pourrait déjà se poser la question du pourquoi remettre en cause une démarche qui semble apporter à l'ensemble de l'intelligentsia française des satisfactions qui peuvent laisser perplexe. Foucault construit les racines d'une rébellion structurelle froide et nécessaire, d'une critique généralisée que l'on pourrait qualifier schématiquement de prétentieuse, d'une analyse des choses mortes au travers du regard de l'homme du XXème siècle.

Pourtant, on peut chercher en vain dans les années 60 des explications convaincantes aux grands problèmes de la société. Quid de l'endoctrinement des régimes totalitaires durant la période de la Deuxième Guerre Mondiale et des massacres que l'on sait ? Quid du rôle des intellectuels dans la protection bienveillante du modèle communiste envers et contre tous les messages incessants de communistes convaincus revenant d'Union Soviétique parfaitement horrifiés, cela depuis les années 20 ? Quid de la vision sociale de 1968 et de la reconversion morale des partisans de cette révolte ouvrière et estudiantine dans les années 70 et 80 ? Quid de l'héritage atroce de la Première Guerre Mondiale et de la modification de cet événement sur la texture de la société actuelle ? Quid de l'absence de philosophes et de courants philosophiques majeurs, aujourd'hui, quarante ans plus tard ? Comment peut-on louer des penseurs qui n'ont traité d'aucune de ces questions et qui, pis, semblent avoir pris soin de les éviter précautionneusement ?

Toutes ces questions restent sans réponse et l'approche de philosophes comme Foucault n'y est pas étrangère. Foucault étudie le passé comme un objet mort ? Mais le passé est-il vraiment mort ? Il est suffisant et très prétentieux d'aborder les choses avec un tel degré de certitude. Le passé est tissé en chacun d'entre nous, un passé personnel sur fond de passé collectif. Ce passé collectif nous modèle comme Jung le décrivit justement avec sa notion d' inconscient collectif. Pourquoi se convaincre que le passé est mort et peut-être autopsié par l'homme du XXème siècle, autopsie faite selon ses critères d'analyse et avec son regard d'homme du XXème justement ? Comment ne pas se méfier de l'erreur d'interprétation d'une telle démarche alors que Bloch notait déjà, dans la première moitié du XXème, le champ de mines qu'est l'analyse de l'histoire si les faits du passé sont vus par l'homme moderne et ses jugements, sans remise en perspective ?

Il y a donc bien une position alternative à celle de Foucault, position qui déclare que le passé est toujours vivant, que, par exemple, la Révolution Française vit toujours quelque part en chaque français, Foucault le premier. Si ce passé est vivant en nous, la tentation du contre-sens doit être évitée, car la lecture de ce passé est liée à la lecture de notre inconscient. On ne peut pas étudier le passé uniquement par rapport à lui-même, cela ne veut rien dire. Nous sommes acteur dans cet étude, tout comme l'est chaque esprit interprétant dans les sciences humaines. Il est donc nécessaire de le faire revivre par l'écrit, par le travail de l'historien qui balise une époque en tentant de saisir ce en quoi l'homme d'alors était différent de l'homme de maintenant, historien soumis lui aussi au risque du contre-sens et de la manipulation, mais plus habitué à ce risque inhérent à sa profession.

Or, la position de Foucault généralise le contre-sens, dogmatise le contre-sens en déclarant que le passé est étudié comme objet mort.

Premièrement, ce dernier se situe ex-nihilo de l'histoire de la France en analysant froidement avec son regard d'intellectuel français des années 60 des faits et des évolutions dont la construction ne se fit pas dans l'esprit qui était le sien ou celui de son époque, et dont le sens lui est donc a priori inaccessible, l'esprit humain n'étant pas une constante au fil des âges. Ce faisant, il juge le passé selon ses propres critères sans chercher à trouver en lui les traces humaines qui auraient fait de lui un véritable archéologue du savoir : le passé est instrumentalisé par rapport au présent. Foucault est prétentieux dans cette démarche car très narcissique dans cette sûreté de pouvoir analyser un objet qu'il considère comme abouti. Jamais il ne semble se poser la question de la légitimité de cette approche : il la postule comme licite d'emblée. Quelque part, il oublie qu'il n'est pas un témoin neutre et objectif, il oublie qu'il n'incarne pas l'objectivité parce qu'il est phénoménologue, il cache son narcissisme profond derrière une théorie qui est censée le rendre l'égal de Dieu[1].

Pourtant, des craquelures existent dans sa carapace et montrent une incohérence de positionnement assez étrange. Foucault éprouve le besoin de se positionner envers les courants de pensée de l'histoire de France, de choisir le classicisme contre le romantisme. On pourrait commencer à entrevoir dans cette démarche une quête d'identité très profonde, construite sur des questionnements envers ceux qui l'ont influencé, ou ceux à qui, justement, il en veut d'avoir spolié l'esprit français tel qu'il le considère. Comment peut-on à la fois se situer dans une tradition de pensée, penser à son rattachement à une école, et analyser le passé comme un ensemble d'objets morts, donc d'objets sans écho sur le présent ? Comment peut-on vouloir s'objectiver, se sortir de l'histoire tout en en sentant attaché à cette histoire ?

Un autre exemple est la lutte de Foucault contre la notion d'auteur, à laquelle je préfère de loin l'ironie littéraire d'un Borges, plus au fait de création que de jugement. Car quand Borges dit qu'il n'y a pas d'auteur véritable, que tout a été écrit, il s'inscrit dans une tradition du passé collectif commun, de l'inconscient collectif, une tradition du mythe par exemple, qui nous tisse depuis plus de deux millénaires (et sur lequel les écrits pendant les années 60 furent nombreux quoique peut-être un peu plus superficiels qu'on ne veut bien le dire). Borges considère que nos influences sont telles que nous n'inventons rien. De plus, l'œuvre littéraire est pour lui vivante au point qu'il lit et relit perpétuellement Les Mille et Une Nuits par exemple, y trouvant chaque fois des choses nouvelles, reflets de ses propres évolutions personnelles. Le passé est donc bel et bien vivant pour lui : le passé est vivant en lui. Foucault, au contraire, défend la vision d'objets littéraires morts que l'on peut analyser intellectuellement et froidement en dépit de leur auteur et, pis que tout, en dépit de soi-même. En un sens, dans les mots Borges et Foucault disent la même chose mais leur message est totalement opposé. Le premier parle de la richesse de l'histoire de l'humanité tandis que le second utilise le phénomène sans le creuser, de l'extérieur. Foucault s'illustre dans une foi envers une théorie de l'intellect pur. En cela, Foucault est un digne représentant de l'école de pensée phénoménologique française, et d'une texture sociale basée sur des courants en quête de reconnaissance : Foucault semble oublier le sentiment humain, dans la littérature comme dans l'homme.

Les doctrines de Foucault posent donc des questions qui peuvent apparaître quelque part comme viciées. Pour reprendre des interrogations de Kant en les tempérant par des questions posées posées par Jung, la première des questions que devrait se poser le philosophe est : suis-je légitimé à parler ? Puis-je penser ? Et que puis-je penser ? Puis-je tout intellectualiser ? Puis-je comprendre le passé et les autres ? Ne suis-je pas tissé d'idées et d'influences, de sentiments ? Quand je me sens révolté, est-ce de ma révolte personnelle par rapport à des choses qui me concernent directement, ou d'une tendance à la révolte, apprise au sein de mon milieu ? Quand je suis révolté, ai-je vraiment des choses contre lesquelles me battre à part des représentations du monde qu'on m'inculqua, qui sont des objets intellectuels dont j'ai du mal à estimer la pertinence et la véracité ?

Car, derrière cette démarche, Foucault parle des choses mortes pour vouloir en tirer une vérité, pour postuler qu'il cherche la vérité. Mais quels arguments lui font croire qu'il pourra obtenir cette vérité, en considérant justement, artificiellement de l'extérieur, des phénomènes associés à des objets qu'il juge comme étant morts alors qu'ils sont vivants, même en lui et d'abord en lui ? Foucault semble avoir des tendances au refoulement complet et généralisé, refoulement qui s'illustre dans une doctrine de la lutte, très en vogue à son époque, et dans la croyance de la toute puissance de l'homme phénoménologique au sein de son siècle.

C'est pourquoi Foucault peut donner l'impression de ne rien dire de très nouveau, d'avoir un «héritage» très nébuleux. Tous peuvent s'en proclamer pour quoi que ce soit sans que la filiation soit remise en question. Car, s'il est de bon ton d'être héritier de Foucault, cette étiquette ne recouvre aucune réalité concrète ; elle semble même appartenir aux concepts creux. Foucault a rassemblé une œuvre polymorphe qui suinte les bonnes intentions, car elle est peut être interprétée comme s'appuyant fondamentalement sur une volonté de vengeance par rapport à la société. Peut-être le mal-être de Foucault s'est-il projeté sur la société et sur ses systèmes imparfaits. Car Foucault a toujours le beau jeu, celui du diagnostic de l'homme du XXème, jamais celui de l'acteur philosophique qui propose des modèles en pâture aux intellectuels.

Quelque part, selon moi, Foucault ré-interprète l'existentialisme en prenant la névrose inéluctable de Sartre du côté de l'action contestataire. Si Sartre dépeignait la dépression névrotique comme la destinée de l'homme, la grande angoisse existentielle comme sa vérité le poussant à l'inaction ou à l'action politique, Foucault projette sa grande angoisse existentialiste sur le monde en un avatar poussant à la contestation. Vivre en société, c'est contester, quitte à contester sans conceptualiser, quitte à être dans l'erreur. C'est le summum de la non recherche de soi, c'est le summum de l'être social, c'est le summum de la soumission aux idées et à l'intellect. Quelque part, c'est aussi le summum de la soumission à l'inconscient collectif, à la loi du paraître pour plaire, à la recherche effrénée de reconnaissance sociale, au phénomène non expliqué, pris de manière brut, à la loi du singulier contre le général, à la peur ou la haine de l'abstraction, au refus de l'inconscient et de la psychologie, au jugement facile, aux idées pré-conçues, à la manipulation et à l'endoctrinement des groupes contestataires. Sommes-nous sortis de cette époque ? Je ne le crois pas.

Car aucun garde fou n'est proposé par Foucault, aucune doctrine du doute. Seulement une certitude de la puissance infinie de son intellect sur les objets morts, de l'existence d'une vérité de ces objets morts que seul lui peut prétendre à comprendre avec son regard d'homme du XXème (médecine et droit par exemple avec d'innombrables arguments contestables ou consternants).

Le poids de son influence est encore là - je dirais presque malheureusement - et il pèse sur notre société française comme un secret névrotique construit dans la plus grande intelligence et avec la plus grande méthode.

Pour sortir de l'esprit négatif de notre société, il faudra un jour critiquer Foucault.

Foucault et la psychanalyse en tant que pouvoir

Foucault a vraiment fait du mal à notre société et à la psychanalyse. Cela est peut-être explicable par son parcours personnel. Foucault voit la psychanalyse comme un pouvoir au sens punitif parce qu'en substance, il recadre les gens et les ramène dans le droit chemin social. La première fois que j'ai lu cette analyse, il y a des années, j'avoue que j'ai été un peu perplexe, ne sachant pas quoi en penser. Quelque part, j'ai adopté l'attitude agnostique face à cette phrase. Je ne comprenais pas pourquoi Foucault allait chercher des analyses pareilles.

Les années aidant, je suis revenu sur cette idée du psychanalyste, flic de l'esprit. Cette idée saugrenue peut être expliquée par deux choses : la fréquentation d'un mauvais psychanalyste par Foucault, ou la méconnaissance complète du modèle psychanalytique par Foucault, ce qui est plus grave. Car, il suffit de lire Freud pour voir que Freud fait en sorte de soigner les gens. Les gens qui viennent le voir se trouvent libérés de poids qui étaient les leurs, sans que la société n'intervienne comme modèle, sans qu'il y ait recadrage. Jung pousse encore plus loin cette logique en développant et structurant le processus d'individuation. Jung conclut que l'engagement social d'une personne individuée est alors laissée à son libre choix, choix libre justement parce qu'elle est individuée. Il n'y a donc pas de pouvoir du psychanalyste au niveau social. Il y a, pour faire ce métier, un altruisme et une empathie obligatoires, comme celles, théoriques, du médecin.

Foucault est donc dans le contre-sens, à moins que son expérience personnelle ne l'ait mis face à un psychanalyste ayant tenté, par exemple, de le ramener dans le chemin de l'hétérosexualité (je crois que seule une expérience comme cela pourrait justifier de telles assimilations). Tout comme Sartre, en refusant la psychanalyse, Foucault généralise son expérience personnelle au reste du monde et tombe dans le plus bateau des pièges interprétatifs.

Mais tout le monde n'est pas Kant.

Foucault et l'archéologie su savoir

Cet article fait suite à un article sur Foucault et le passé mort publié sur ce même site voilà quelques mois. D'une manière générale, relire Foucault est selon moi plein d'enseignements sur la façon dont le monde intellectuel français pense aujourd'hui. Ceci n'est pas tout à fait un compliment, et je crois que l'on peut trouver dans l'approche de Foucault des éléments indéniables qui expliquent des glissements vers des routes cloisonnées et hermétiques.

La démarche archéologique

Foucault, au travers de sa démarche archéologique, cherche pourquoi le passé nous a légué des visions, des mots, des systèmes, et pourquoi ces systèmes étaient ce qu'ils étaient plutôt qu'autre chose. En ce sens, il n'y a pas chez Foucault de volonté de s'inscrire dans une tradition épistémologique, ni même philosophique, mais d'inventer une nouvelle perspective de l'étude historique du savoir. En un sens, on pourrait dire que Foucault bâtit une méthode phénoménologique de l'étude du passé, ayant pour principal objectif de savoir comment le sujet s'est constitué ; c'est-à-dire comment l'homme est devenu objet d'étude pour l'homme, comment le sujet est devenu un objet pour le sujet.

Il y a dans cette démarche, indubitablement, quelque chose de nouveau dans la mesure où c'est une tentative d'approche multidimensionnelle du passé au travers de résultats qui peuvent être issus des différentes sous catégories de l'histoire : histoire des sociétés, des religions, de la philosophie, des sciences, de l'économie, de la médecine, etc. Cette approche intervient, par ailleurs, en pleine période structuraliste, période dans laquelle l'ensemble des sciences humaines se posait comme question la fondation de leur matière. En ce sens, cette démarche est une des seules tentatives de grande ampleur pour légitimer cette fondations des sciences humaines par l'exemple. On pourrait même nommer un peu hâtivement la démarche de Foucault de «sociologie du passé».

A l'inverse, on peut dire de cette démarche qu'elle est méthodologiquement très risquée, car il est difficile pour un seul homme d'avoir une capacité de synthèse telle qu'il peut embrasser sous ses champs de compétences la totalité de ces dimensions historiques.

L'obsession du vrai

Car, à la lecture de Foucault, on peut souvent se demander quel est le véritable objet de l'étude. L'étude n'a pas pour but d'être une histoire généralisée de la pensée, mais plutôt une histoire de ce que la pensée était à un certain moment et pourquoi, à ce moment, elle n'était pas différente. Car, un des buts de Foucault était de découvrir les liaisons entre les structures sociétales et la vérité telle qu'elle était dans la société, cela au travers de l'analyse des pratiques autour de la folie, de la sexualité, etc.

Il est, je crois, assez dangereux de mêler une approche phénoménologique avec une approche de la vérité. Car, au sein de l'approche phénoménologique, les phénomènes sont pris pour ce qu'ils sont. Certes, en théorie, cette collection de phénomènes permet d'établir une conceptualisation peut-être plus juste que celle couramment admise, même si, souvent, cette collection se limite au niveau de la collection et ne permet pas la conceptualisation, voire la refuse[2]. La conceptualisation est pourtant la seule manière scientifique de lier entre eux des phénomènes disparates selon l'une de leurs dimensions communes, la seule façon d'approcher la réalité en sortant de la collection de faits singuliers. Quelque part, et n'en déplaisent aux phénoménologues, les hommes ne pensent que le concept, très rarement le phénomène singulier. Par voie de conséquence, le phénomène est déjà souvent un concept ; alors même que nous voudrions le considérer comme singulier, il est chargé d'un poids sémantique relatif aux « classes» auxquelles il appartient[3]. La démarche phénoménologique est par conséquent dangereuse dans le fait d'établir des collections de phénomènes dont le niveau conceptuel peut être tout à fait varié, et donc de proposer une lecture « plate » d'un savoir hiérarchisé par la pensée.

Il est clair que ces arguments en faveur de la conceptualisation ne doivent pas laisser oublier que les concepts existants sont les premières entités de l'esprit que nous devons critiquer pour faire de la philosophie. Un concept, du fait qu'il puisse évoquer à des personnes différentes des sens différents ne peut servir de base à la construction d'une théorie. Il faut, si l'on veut s'approcher d'une discipline de type scientifique, expliciter quel sens nous associons au concept afin d'en lever la potentielle charge émotionnelle ou les sens historiques dont le philosophe peut ne pas avoir besoin. Il s'agit de définir précisément l'usage que l'on fait des concepts afin de penser sur la ligne que l'on s'est choisie.

Or, Foucault part du principe que les phénomènes que le passé lui donne en pâture sont la vision d'une vérité de l'époque. Il y a là un axiome d'une dangerosité extrême, car qui nous prouve que la vision d'une époque est la vérité de cette époque. Pis que cela, comment pouvoir affirmer sérieusement que le concept de vérité soit suffisant pour étiqueter une série de phénomènes plutôt qu'une autre. Il y a là une erreur logique fondamentale très étonnante. Depuis les Grecs anciens, on sait que la vérité est relative et les débats philosophiques des grands maîtres de philosophie est là pour prouver que la vérité universelle semble ne pas exister (sinon dans le concept de dieu, mais c'est un autre débat).

Au lieu de cela, Foucault cherche les vérités de l'époque en supposant d'une part que lui, homme du XXème siècle, il soit en mesure de les trouver alors que même les historiens les plus brillants sont très prudents à cet égard, et en supposant, chose beaucoup plus étrange qu'elles existent.

Dès lors, la démarche cesse de plaire car l'acceptation de ces deux dimensions du même axiome rend le raisonnement quelque peu naïf et induit des résultats qui sont souvent à la limite de la trivialité.

Une histoire des lieux communs ?

Nous pourrions citer la démarche parallèle de Jung qui, s'il tente aussi d'établir une histoire du sujet en tant qu'il devient objet de sa propre interrogation, aborde la question d'une toute autre façon. Jung tente de recomposer un certain inconscient collectif et prend un nombre considérable de pincettes et de garde-fous théoriques afin de ne pas tomber dans l'absurde psychanalyse des personnages du passé. Il tente de retraduire, quand il le peut, des constantes psychologiques d'une certaine civilisation et il en étudie les symboles, notamment au travers des notions de religion, de spiritualité et de rôle dans une société très collective et très peu basée sur l'individu au sens où on entend le mot aujourd'hui[4].

L'approche de Foucault est résolument anti-psychologique, et pourtant elle cherche au travers des «vérités de l'époque» à toucher cet inconscient collectif. Le vrai problème de la méthode de Foucault pourrait donc être de construire avec la notion de vérité un objet d'étude qui n'existe pas.

Car Jung, pour sa part, différencie ce qui est inconscient collectif de ce qui est lieu commun, sachant que ce qui est lieu commun peut être phénomène. Il suffit de regarder un peu autour de nous les manifestations sociales dominantes pour regarder quelle représentation nous avons de notre société : si nous gardions les plus importantes d'entre elles à un instant t, nous n'aurions qu'une vision absurde et biaisé de la société, avec des vérités d'une partialité incroyable, immédiate. Si l'on agrémente à cette représentation fractionnaire, voire arbitraire, l'axiome de vérité, nous sommes prêts à dire n'importe quoi sur la société : nous sommes dans une démarche de légitimation de la pensée par la conjecture.

C'est la grande ironie des fondements théoriques de l'archéologie du savoir : introduire le concept de vérité pour légitimer la conjecture, et donc légitimer le travail des sciences humaines tel qu'il est, trop souvent encore à l'époque de Foucault, et non fonder les sciences telles qu'elles devraient être.

Conclusion

Porte ouverte à n'importe quel glissement de sens non argumenté, poser la notion de vérité dans une archéologie des faits du passé nous invite à une représentation grossière, et tragique, de notre passé, qui par extension nous invite à représenter de manière grossière et tragique notre présent. Loin est l'enivrement prometteur de la méthode exposée au début de cet article : le sujet. Où est donc le sujet ? Comment s'est-il construit ?

En refusant la représentation classique, Foucault nous montre une représentation phénoménologique qui se donne les armes de la corrélation par usage de la conjecture (nous y reviendrons dans d'autres articles sur la notion de pouvoir ou l'étude de la folie). Foucault est un mythe qui vacille et dont les influences guident encore une partie de notre pensée française.

Notes

  1. Alors que même chez Husserl ou Heidegger, l'en-soi de l'objet reste souvent inaccessible à l'analyse phénoménologique.
  2. Cf. A propos de l'existentialisme.
  3. Cf. le concept creux et l'affectivité des concepts.
  4. Cf. Métamorphose de l'âme et de ses symboles.