A propos d'Edgar Morin

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Sommaire

Introduction

Cet article se propose d'étudier brièvement la pensée d'Edgar Morin, philosophe contemporain très proche des sciences, qui au travers d'une image rigoureuse et tolérante, est le symbole d'une certaine philosophie occidentale, faite en apparence d'une volonté de tempérance. Derrière cette apparence très modérée, les messages véhiculés par Edgar Morin sont pernicieux à plus d'un titre, dans la mesure où, nous allons le voir, ils colportent bon nombre de confusions et de lieux communs du monde occidental moderne. A ce titre, la pensée elle-même d'Edgar Morin nous semble une pensée philosophique extrêmement limitée qui bloque, comme sait si bien le faire le monde scientifique, les possibilités d'un accès à un savoir plus profond.

Un homme de son temps

Edgar Morin est un homme du XXème siècle[1]. Il est à l'image d'une génération qui plaça une foi déraisonnable en des mythes politiques et philosophiques, lesquels mythes furent promptement abattus par les décennies suivantes, excepté le mélange de foi et de prosélytisme qui caractérise encore aujourd'hui le scientisme et les méthodes universitaires.

Edgar Morin a gardé du XXème siècle une vénération sans borne pour la science, science qui, au travers de sa rencontre avec Jacques Monod, fonde les prémisses de sa théorie de sa "pensée complexe". Comme nous allons le voir, la "pensée complexe" se drape des atours de la complexité sans pourtant en effleurer la surface. Ceci explique que la pensée d'Edgar Morin laisse le plus souvent les lecteurs sur leur faim.

La complexité à contresens

Un problème de principe

La première chose à dire en ce qui concerne la vue moriniste de la complexité est que le concept est envisagé comme un concept méta, c'est-à-dire qu'il est, pour Edgar Morin, à la fois un a priori de la description du monde et un aboutissement, car ce concept est applicable à toute science, ceci incluant la philosophie.

Il est nécessaire de rapprocher cette façon formelle de voir aux dérives scientistes du début du XXème siècle, dérives dans lesquelles la biologie servait à expliquer les traits de la société moderne[2]. Nous trouvons chez Morin cette même recherche d'un principe unique dont il fait un aboutissement sans pour autant réaliser qu'il n'est qu'un constat, qu'un point de départ. C'est en ce sens que nous dirons que cette pensée possède sa conclusion dans son hypothèse ou bien qu'elle fait du "sur place".

Une trop grande abstraction

Le problème n'est bien entendu pas de réaliser ou pas que le monde est complexe, le problème est de construire un concept qui permette d'abstraire cette complexité au point d'en faire une complexité si générique qu'elle ne signifie plus rien en elle-même[3].

Si nous comparions avec le structuralisme, courant que pourtant nous n'apprécions guère, nous trouverions chez les structuralistes une certaine idée de structures sous-jacentes différentes selon les types de problématiques étudiées. Or l'essence de théorie morienne est contenue dans cette seule gigantesque abstraction vide de sens qu'est la "pensée complexe".

Une infatuation de l'ego

Nous ne serons pas sans pointer du doigt l'ego nécessaire pour oser s'attribuer la paternité d'un concept tel que la "pensée complexe", comme si la pensée des intellectuels avant Morin avait été "simpliste". Nous ne pouvons que nous interroger sur un tel toupet qui vient obligatoirement d'un jugement de valeurs très négatif de Morin sur ses compatriotes du présent comme du passé. Oui, penser est complexe, et il suffit de lire Aristote ou Kant pour se rendre compte que la pensée complexe ne date pas d'aujourd'hui.

Nous nous devons donc de supposer que cette pensée complexe, témoignage d'un indéniable ego infatué, ne peut avoir germé en tant que concept que face à une certaine classe de gens dont les pensées seraient inférieures a priori, le commun des hommes par exemple, incapable de saisir les complexités de la science ou de la philosophie, les médias dans un autre domaine et leur prédilection pour les messages simplistes et efficaces, où encore les politiques dont le goût pour la logique binaire nous est bien connu.

Il y a pourtant d'autres choses, dans cette pensée complexe, autres choses que nous allons maintenant découvrir dans certaines de ses incarnations.

La pensée complexe : une méthode simpliste

Une pensée analytique à l'extrême

La "pensée complexe" est naturellement - naturellement car c'est le credo même de toute la recherche universitaire - une pensée analytique, mais poussé à un point très étonnant de simplicité doctrinale. Nous allons nous tenter à un petit exercice un peu cruel, mais qui pourrait montrer en quelques points ce que c'est d'adopter une "pensée complexe" :

  • Etape numéro 1 : divisez chaque grand problème en une série de petits. Cette division est très facile dans la mesure où tout problème humain de grande envergure peut se décliner en des questions philosophiques, scientifiques, sociologiques, politiques, etc.
  • Etape numéro 2 : prenez problème par problème et établissez une liste thèse-antithèse[4]. Ce niveau est celui où, ne connaissant pas le sujet, vous pouvez recycler tous les points de vues de vos contemporains, quels que soient leurs opinions. Vous ne pouvez faire la synthèse à ce niveau car vous avez divisé le problème.
  • Etape numéro 3 : remarquez que les sujets que vous avez divisés sont "inter-connectés" les uns avec les autres et notez que le problème est complexe à synthétiser. Vous ne pourrez de toutes façons pas connecter les divers sujets, comme nous allons y revenir un peu plus tard (cf. La quête du Graal).
  • Etape numéro 4 : concluez que la synthèse est très complexe à faire et donc qu'il faut que la recherche dans la "pensée complexe" se poursuive à tous prix. Vous avez gagné.

Notez que cette méthode s'applique virtuellement à tous les "problèmes"[5].

Une thèse-antithèse-synthèse sans la synthèse

Plus sérieusement, la "pensée complexe" est un leurre rhétorique, une thèse-antithèse-synthèse sans la synthèse, un retour arrière basé sur des fantasmes que nous allons détailler. Loin d'être une avancée, elle est une régression dans la mesure où :

  • elle ne structure pas la pensée mais met sur le même plan les plus arbitraires divisions analytiques des sujets étudiés ;
  • la manière de diviser le problème est un acte de foi dans la légitimité de la déclinaison sur des sciences universitaires connues et balisées ;
  • elle donne l'occasion de recaser les argumentaires les plus éculés des pour et des contre, de tous ceux qui se sont exprimés sur une subdivision du problème analysé ;
  • elle est une occasion de montrer une "culture" personnelle portant sur de nombreux champs de la science ;
  • elle permet de donner l'illusion de se questionner elle-même en remettant en cause le découpage analytique lui-même, ainsi elle donne lieu à une réflexion théorique sur la manière d'aborder le problème ;
  • elle tourne vite au catalogue de lieux communs ou au bavardage méthodologique ;
  • au mieux, elle prône une recherche supplémentaire pour parvenir à une synthèse hypothétique, tout en refusant de se prononcer en invoquant l'avenir.

La "pensée complexe" est donc une pure rhétorique insipide, qui se targue des apparats de la science moderne et du sérieux de la démarche analytique qui la caractérise.

Véhiculer des lieux communs

Lorsqu'un philosophe aborde un sujet, son plus grand ennemi est lui-même, notamment au travers de deux dimensions dont Freud et Jung ont longuement discuté :

  • le fait que son passé personnel ne soit pas représentatif de celui de tous les hommes et donc que le philosophe ne puisse pas connaître ce que connaisse tous les hommes (ni même l'imaginer ou se le représenter), et donc qu'il soit dans l'obligation de tempérer ses ardeurs systémiques ;
  • le fait que notre esprit soit si empli de poncifs et de lieux-communs que les raisonnements automatiques qu'ils provoquent vont souvent, même si l'on y porte attention, jusqu'à s'immiscer dans la plus petite réflexion que nous penserions comme personnelle alors qu'elle ne l'est pas.

Nous ne trouverons point de préoccupations de ce type dans la "pensée complexe" qui, favorisant la collection analytique au discernement, pense "découvrir" le discernement au bout de longues décennies de recherches[6].

La "pensée complexe" est donc le vecteur rêvé pour brasser encore et encore des raisonnements parcellaires binaires, des références bibliographiques de toutes disciplines, dans un exercice de verbiage sans profondeur. Cette pensée est l'occasion rêvée de redire encore et encore les grands poncifs parmi lesquels "tout est dans tout", ou "tout est connecté" ou encore "les choses sont complexes".

Une pensée partisane du non-penser

La "pensée complexe" est donc :

  • une pensée partisane, entièrement dévouée au culte des méthodes universitaires ;
  • une pensée du non-penser, stérile par construction même de sa méthode de prédilection.

Voilà donc pourquoi la pensée d'Edgar Morin nous laisse sur notre faim : parce que nous ne savons rien de plus après qu'avant sinon que le problème est complexe et qu'il ne faut surtout pas conclure.

La quête du Graal

Comme toute pensée d'obédience scientifique, la "pensée complexe" a des mythes en lesquels elle croit, au point de réserver son jugement pour le jour où le Graal sera trouvé : ce jour où les sciences seront synthétisées en une seule science de la complexité. Comme certains ésotéristes à la fin du XIXème siècle qui voulaient synthétiser la science, la religion et la philosophie, le rêve de la science unique qui explique tout est un rêve totalitaire au sens strict, en ce que la science est une représentation et ne peut donc être unique. En attendant, la "pensée complexe" use d'une méthode désespérément analytique en attendant le "Messie de la Complexité". Morin apparaîtrait donc, dans cette épopée mythique, comme un "prophète"... Ego, quand tu nous tiens.

Nous attribuerons cet espoir déraisonnable à une confusion de l'épistémologie avec l'histoire de l'art dans laquelle il fut certaines époques où les divers domaines artistiques se fertilisaient mutuellement. Mais les penseurs ne sont pas des artistes, même s'ils rêvent parfois, naïvement, qu'ils en sont.

Une pensée archétypale de la pensée démocratique moderne

Comme toute pensée tautologique, la pensée de Morin part et arrive au même point dans une désespérante débauche bibliographique stérile. Nous noterons, pour conclure, les vertus absolument extraordinaires de cette "pensée complexe". En permettant d'exposer l'avis de tout le monde et de ne pas se déclarer outillé pour synthétiser, Edgar Morin est l'inventeur d'une pensée merveilleusement démocratique qui ne donne ni tort ni raison. Ce dernier a, en effet, réussi le tour de force de faire de sa pensée un objet parfaitement compatible avec les milieux sociaux les plus divers, les institutions les plus diverses qui peuvent lui savoir gré de parler de tout sans provoquer de heurts. Sans synthèse, pas d'avis et donc pas de parti-pris, hormis celui de la défense des méthodes universitaires.

Il est temps pour nous de lui proposer un slogan marketing à sa mesure, lui le prophète neutre de la complexité de surface : "pensez complexe, vous ne fâcherez personne et vous satisferez tout le monde". Encore un bel exemple de progrès dans la pensée occidentale !

Étude de cas - L'éducation vue par Edgar Morin

Cette analyse prend pour base les textes d'Edgar Morin que l'on pourra trouver .

Introduction

La démarche d'Edgar Morin est prétentieuse à plus d'un titre, et en cela, elle témoigne du certain état d'esprit d'une certaine génération. Morin ne se pose pas la question de savoir s'il est habilité à recenser exhaustivement les grands principes qui seront nécessaires à l'éducation du futur. Dans cette tâche qu'il entreprend, une fois encore, nous voyons un ego surdimensionné. Même les plus illustres philosophes ne se seraient pas risqué à un tel exercice qui est forcément :

  • daté, dans la mesure où les principes sont imaginés à un certain moment pour "le futur" ;
  • assimilable au plus misérable des exercices de propagande dans la mesure où il est porté par un organisme officiel.

Ainsi, formellement, l'exercice de Morin, au delà du fait d'être un message publicitaire pour la vente de ses livres, est un exercice anti-philosophique puisque qu'il est récupéré par une organisation représentant la bien-pensance politique.

Concernant le premier point, demandons-nous si nos enfants ou nous petits-enfants verront dans ces textes de Morin autre chose que le témoignage d'un ego qui pensait pourvoir maîtriser le futur. Cette obsession est d'ailleurs l'obsession complète de la génération des baby boomers[7].

Mais entrons dans le vif du sujet et dans les recommandations de Morin sur la manière d'éduquer les enfants dans "le futur".

Vers un totalitarisme scientiste

Introduction

Le monde d'Edgar Morin est un monde hyper-analytique et de religion scientiste. Nous allons voir par quels procédés Morin passe pour proposer un conditionnement des générations futures à la doctrine scientiste. Le texte critiqué se trouve .

Une vision binaire de la dualité vérité erreur

Morin place en opposition très nette d'un côté la vérité, de l'autre l'erreur et l'illusion qui "parasitent l'esprit humain". Cette division très binaire :

  • passe sous silence la longueur et la difficulté de la recherche de la vérité ;
  • sous-entend que "la" vérité existe, qu'elle est "objectivable" au sens scientifique du terme, ce qui est loin d'être certain ;
  • confond vérité et représentation.

Pour le premier point, il convient de dire que de tous temps, la recherche de la vérité pose à l'homme d'infinis problèmes, à moins ce qui est fort probable que Morin ne se limite à la recherche d'une vérité "matérielle".

Pour expliquer le second point, souvenons-nous de la grande querelle des mathématiques du début du XXème siècle, querelle pendant laquelle la communauté mathématique s'aperçoit qu'il est impossible de baser les mathématiques sur des fondements solides[8]. Les sciences elles-mêmes sont obligées de travailler sur des représentations et des approximations d'un idéal que l'on nommerait vérité.

Pour le troisième point, force est de constater que Morin confond vérité et représentation, et nous allons suivre un peu plus loin cette erreur fondamentale, indigne d'un philosophe débutant.

Edgar Morin se situe donc dans son élément de prédilection, cela dit de manière sous-entendue : un monde athée et scientiste, scientiste, car comme nous allons le voir en détails, il n'y a que peu de vraies sciences chez Morin, mais beaucoup de justifications à consonance scientifique. Cette façon de parler et de représenter le monde peut être comparée aux abus connus lors des années 60 dans les sciences humaines, abus dénoncés par le fameux canular scientifique d'Alan Sokal[9].

La lecture du passé au regard des principes moraux du présent

Quand nous considérons le passé, y compris récent, nous avons le sentiment qu’il a subi l’emprise d’innombrables erreurs et illusions.


Cette phrase est le témoignage caricatural des habitudes d'une génération qui, du haut de ses hauteurs scientifiquement prétentieuses, ne cesse de juger le passé à l'aune de ses propres critères moraux. A noter que cette mauvaise habitude est très répandue dans la façon même de penser l'histoire, par exemple, chez d'autres philosophes comme Michel Foucault ou chez Michel Onfray[10].

C'est aussi une façon d'entrer en matière doucement sur la doctrine du "progrès", qui a de vraies allures de religion officielle. Le raisonnement est simple : le passé est un tombereau empli d'erreurs ; le présent est mieux et nous semons les graines pour que le futur soit parfait. C'est la prétention de l'homme moderne qui ne voit chez ses prédécesseurs que l'imbécilité qu'il a en lui-même. Faire le procès du passé au regard du présent est donc bien une absurdité logique de tout premier ordre. Mais elle est pratiquée en vue de fournir un système moral nouveau, et non pour le simple plaisir de la critique. Les philosophes dont Edgar Morin sont bien plus des moralistes athées et démocrates que de vrais philosophes.

L'introduction de cette partie cite Marx et Engels mais étrangement, elle passe sous silence Freud qui représente pourtant beaucoup mieux comment le XXème siècle se mit à penser les erreurs de jugement sur soi, sur les autres et sur le monde. Mais, même dans ses références, Morin est dans le lieu commun. En effet, il vaut mieux en France citer Marx que citer Freud, cela fait "plus sérieux" d'une part (la psychanalyse ayant encore en France un côté honteux), et d'autre part, Marx est le terreau culturel des intellectuels de l'après-guerre[11].

Confusions et analogies ineptes

L’éducation doit montrer qu’il n’est pas de connaissance qui ne soit, à quelque degré que ce soit, menacée par l’erreur et par l’illusion. La théorie de l’information montre qu’il y a risque d’erreur sous l’effet de perturbations aléatoires ou bruits (noise), dans toute transmission d’information, toute communication de message.



Cette citation illustre un glissement sémantique inacceptable, preuve de la plus totale incompétence de Morin en matière de concepts. Ce point est d'ailleurs typique des raisonnements approximatifs de Morin :

  • Premièrement, une confusion de concepts, connaissance et information étant deux choses distinctes ;
  • Deuxièmement, une analogie tout à fait inepte, l'information telle qu'elle est reçue par les humains ne pouvant se comparer aussi naïvement à un signal reçu par des appareils, signal dans lequel nous aurions du "bruit".

Le premier point est totalement inacceptable pour qui se dit philosopher. La connaissance n'est pas équivalente à la thésaurisation d'informations. Ce qui est intéressant néanmoins dans cette confusion, c'est de voir que l'approche morinienne de la connaissance justement doit être l'accumulation d'informations, ce qui nous fait revenir à ce que nous disions de la "pensée complexe" de Morin : il arrive vite un moment où le nombre d'informations est trop élevé et où Morin, suffoquant, en appelle à la "pensée complexe" pour imaginer une impossible synthèse. La pensée complexe est donc vue comme un idéal de résolution de la pensée de la confusion qui est le vrai trait de la pensée de Morin. D'ailleurs, dans la fragmentation extrême de sa pensée, Morin devient un anti-philosophe, le philosophe travaillant le plus souvent sur des concepts unificateurs plutôt que sur une atomisation du savoir. Mais c'est le propre d'un certain courant d'inspiration phénoménologique de rester au niveau des phénomènes, soit de la surface des choses.

Pour en revenir au savoir, Morin est donc bien dans une optique bête et brutale. Si un homme a une connaissance de quelque chose, alors selon Morin, cet homme s'est "gavé" d'informations. Cette façon de voir les choses, si elle est totalement non scientifique car elle omet le savoir par expérience, est par contre entièrement bibliographique. Une fois encore, nous retournons à la vision morinienne de la science et du savoir.

Pour le second point, nous ne sommes pas très loin du syndrome de Sokal. Les analogies ont leur limites et rien ne prouve que la physique du traitement du signal soit une bonne analogie pour parler de connaissance.

D’où, nous le savons bien, les innombrables erreurs de perception qui nous viennent pourtant de notre sens le plus fiable, celui de la vision.


Nous nous demandons parfois où Morin va chercher tout cela, dans quelque publication scientifique sans doute. Mais, nous sommes au regret de lui dire que non, nous ne savons pas bien que la vision serait le sens le plus "fiable". Drôle d'idée d'ailleurs que de classifier les sens selon leur "fiabilité". Encore une analogie mécaniste qui témoigne de la pauvreté de profondeur de champ de Morin sur l'humain.

Une vision caricaturale de la psyché

A l'erreur de perception s'ajoute l'erreur intellectuelle.


Encore une fois, le raisonnement de Morin est très intéressant dans la mesure où Morin est un archétype de notre inconscient collectif français (et non pas bien sûr, un philosophe). Selon Morin, il y a donc deux types d'erreurs : sensorielle et intellectuelle. C'est tout à fait remarquable de simplifier à ce point les choses, surtout que force est de constater qu'il n'est pas si évident que cela que l'homme commette beaucoup d'erreurs intellectuelles, au sens où il commettrait des erreurs d'inférence. L'homme infère très justement depuis des millénaires, mais le référentiel dans lequel il pense est souvent vicié par des considérations personnelles, ce qui peut le mener à prendre des décisions contestables. C'est là toute la difficulté d'analyser les erreurs de l'homme, notamment en termes d'intellect, car ces erreurs ne sont la plupart du temps pas de vraies erreurs intellectuelles.

Prenons un exemple : supposons que je pollue la nature volontairement. On va me dire que je suis un idiot, que je devrais avoir honte, que je ne suis pas civique, etc., car la société dit qu'il ne faut pas le faire. Mais je sais que ne pas le faire va me coûter plus cher que si je le fais. Dans mon référentiel, l'argent a plus d'importance que tout le reste. Donc je pollue volontairement. J'ai donc usé d'un raisonnement impeccable, mais mon référentiel de pensée a induit mon raisonnement dans un certain sens. Il n'y a donc pas à proprement parler d'erreur intellectuelle de ma part, mais probablement une erreur morale, ce qui est tout à fait différent.

Ces nuances sont bien entendu hors de portée des raisonnements de Morin car dans son exercice de simplification caricaturale, il perd à chaque fois la vraie question, au profit de raisonnements bâclés et d'analogies douteuses.

La connaissance, sous forme de mot, d’idée, de théorie, est le fruit d’une traduction/reconstruction par les moyens du langage et de la pensée et, par là, elle connaît le risque d’erreur.


Un philosophe aurait parlé de représentation sans en faire des tonnes, comme Morin sait si bien le faire, tant il veut impressionner son lecteur avec son savoir scientifique. Le fait est que qualifier une représentation de fausse est encore assez tendancieux, car une représentation est toujours fausse, par définition. Cela commence par le mot qui n'est pas la chose désignée par le mot. Le langage même est représentation et c'est pourquoi il est fondamentalement faux. C'était le grand rêve des mathématiciens anglo-saxons de créer un langage formel mathématique qui éviterait les confusions et les ambiguïtés. Cette recherche d'un langage qui ne permettait pas l'erreur était un idéal très naïf. Tout langage, mathématique ou pas, inventé par l'homme n'est une série de conventions pour nommer des choses. Dans cette acte de représentation même, il y a une "fausseté" intrinsèque[12]. L'épistémologie nous montre que les représentations scientifiques du monde ont évolué avec les âges et chacune avec son degré de justesse et son degré d'erreur. Pourquoi aujourd'hui aurions-nous la bonne représentation ? Nous savons que ces représentations changeront dans le futur car ce changement est la constante de l'histoire des sciences.

Morin a donc tort lorsqu'il aborde le problème par la fausseté de la représentation ; on ne peut pas construire de représentation vraie, cela n'a pas de sens. Il faut donc étudier plus en profondeur ce qu'est la représentation et comprendre comment certaines caractéristiques de cette représentation peuvent être ou pas en accord avec un système moral. Mais une représentation ne peut être jugée fausse que par rapport à une autre représentation.

Cette connaissance, à la fois en tant que traduction et en tant que reconstruction, comporte de l'interprétation, ce qui introduit le risque d'erreur à l’intérieur de la subjectivité du connaissant, de sa vision du monde, de ses principes de connaissance. D’où les innombrables erreurs de conception et d’idées qui surviennent en dépit de nos contrôles rationnels. La projection de nos désirs ou de nos craintes, les perturbations mentales qu’apportent nos émotions multiplient les risques d’erreurs. [...] Effectivement, le sentiment, la haine, l'amour, l'amitié peuvent nous aveugler.


Morin possède une vision très caricaturale et très froide de la psyché, similaire à celle que nous donnent les sciences cognitives. Le cerveau est vu comme une machine qui a un certain nombre de modes de fonctionnements. C'est une vision très matérialiste des choses, trop dans la mesure où elle dénature l'homme et ce qui fait l'homme. Morin voit l'homme comme un robot, tout en regrettant presque que les sentiments viennent gâcher ce si bel ordinateur vivant. Nous verrons dans la suite à quel point Morin a une vision caricaturale et froide des sentiments humains. Mais peut-on demander à un intellectuel d'éprouver vraiment des choses ?

Mais il faut dire aussi que déjà dans le monde mammifère, et surtout dans le monde humain, le développement de l'intelligence est inséparable de celui de l'affectivité, c'est-à-dire de la curiosité, de la passion, qui sont des ressorts de la recherche philosophique ou scientifique.


Morin a une tendance extrême à prendre ses désirs pour des réalités. Nous pourrions nous demander d'où viennent de telles certitudes passionnées.

Aussi l'affectivité peut étouffer la connaissance, mais elle peut aussi l'étoffer. Il y a une relation étroite entre l’intelligence et l’affectivité : la faculté de raisonner peut être diminuée, voire détruite, par un déficit d'émotion ; l'affaiblissement de la capacité à réagir émotionnellement peut être même à la source de comportements irrationnels.[...] Donc il n’y a pas d'étage supérieur de la raison dominant l’émotion, mais une boucle intellect ø affect ; et par certains côtés la capacité d’émotion est indispensable à la mise en œuvre de comportements rationnels.


Nous nageons en pleine "pensée complexe" morinienne, si complexe que Morin lui-même ne semble pas comprendre ce qu'il écrit. Il dit tout et son contraire. Une fois encore, ce problème est largement abordé par la psychologie, mais le référentiel pseudo-scientifique dans lequel Morin se place ne lui permet pas de comprendre comment l'affect influe sur l'intellect. Il bavarde donc stérilement autour de cette complexité en comparant une fois de plus l'homme à un ordinateur. L'analogie est loin d'être flatteuse, car l'ordinateur est un outil comme une voiture ou un marteau. Le raisonnement l'homme avance, la voiture aussi donc on peut comparer l'homme à une voiture est aussi inepte que les analogies moriniennes.

Morin the scientism preacher

Le développement de la connaissance scientifique est un moyen puissant de détection des erreurs et de lutte contre les illusions.


Morin s'illustre ici clairement comme un vendeur du scientisme.

Toutefois les paradigmes qui contrôlent la science peuvent développer des illusions et nulle théorie scientifique n’est immunisée à jamais contre l’erreur. De plus, la connaissance scientifique ne peut traiter seule les problèmes épistémologiques, philosophiques et éthiques.


Bien sûr, d'où la nécessité de la pensée complexe.

L’éducation doit donc se vouer à la détection des sources d’erreurs, d’illusions et d’aveuglements.


Belle déclaration de principe, mais sur quelle base s'appuyer si les erreurs et illusions ne peuvent même pas être de manière certaine dépistées de manière certaine par la science ? Car c'est bien là le problème. Et finalement, Morin n'apporte rien sur ce terrain, si ce n'est l'idéal de la pensée complexe dans un monde bibliographique.

Aucun dispositif cérébral ne permet de distinguer l'hallucination de la perception[...]


Nous sommes vu par Morin comme des robots, l'expression "dispositif cérébral" étant savoureuse.

Il existe de plus en chaque esprit une possibilité de mensonge à soi-même (self-deception) qui est source permanente d’erreurs et d’illusions.


Cette phrase en dit long sur le personnage. Morin ne cite pas Freud, comme nous l'avons vu et il se nourrit aux théories cognitives, lesquelles théories réinventent un genre d'ersatz de psychologie, le côté irrationnel en moins et donc le côté robot en plus. L'ennemi à abattre est Freud comme les cognitivistes. Dans ce cadre, les concepts les plus fondamentaux de la psychologie sont renommés et adaptés pour être étiquetés scientifiques. Morin a d'ailleurs en quelque sorte volé son concept de "pensée complexe" aux sciences cognitives dont le morcellement rend très complexe voire impossible toute tentative de synthèse. C'est dans ce vivier de scientistes que Morin puise la plupart de ses idées et la filiation est clairement exprimée.

De plus, la division analytique que Morin opère pour classifier les types d'"erreurs" est non seulement confuse mais aussi très dangereuse. Sous le qualificatif d'"erreurs mentales", nous trouvons les rêves et la la mémoire ! Morin est dangereux et ses théories ne sont pas sans rappeler les comparaison absurdes de la société avec le corps de l'homme, société de laquelle il faudrait expurger les agents pathogènes comme on guérit un corps malade[13]. Morin, du haut de son modèle scientiste semble qualifier d'erreur le monde psychologique dans toutes les caractéristiques qui nous séparent de la machine. Pourquoi ? Parce que la psyché n'est pas "fiable" ?

La dangerosité de cette démarche est identique peut être expliquée comme suit. Il y a deux manières d'envisager une idéologie, idéologie qui se fonde sur une représentation du monde. Soit le monde dans ce qu'il est peut influer sur le crédo idéologique et l'idéologie cède un peu de son pouvoir à la réalité. Soit, l'idéologie impose ce qui doit se passer dans la réalité. C'est l'idéologie qui forge l'homme de demain, comme dans le communisme, le fascisme ou le nazisme. Morin est, avec sa doctrine scientiste exactement dans la seconde démarche. Il se positionne dans une démarche est une démarche très teintée du XXème siècle, une démarche purement idéologique qui s'arroge le droit de contester des traits psychologiques purement humain et de les questionner au présent pour un bien collectif futur. Nous avons là les racines d'un modèle totalitaire et dictatorial, comme nous allons le détailler dans ce qui suit[14].

Sous les erreurs intellectuelles, Morin classe les doctrines et idéologies ce qui est d'une naïveté touchante et d'un politiquement correct éhonté, surtout lorsque Morin lui-même vend sa propre idéologie totalitaire. Bien entendu, le problème de la cohérence des doctrines et idéologies est un faux problème. Qu'elles soient cohérentes ou pas (selon quels critères d'ailleurs ?) ne change pas l'utilisation que font certains hommes des idéologies. Une fois de plus, Morin confond tout.

Autrement dit, c'est la rationalité qui est correctrice.


Nous sommes en pleine foi scientiste, en plein credo rationaliste. Nous sommes en religion scientiste avec Morin comme avec les autres scientistes dans un modèle de représentation du monde qui postule la science comme meilleure façon de conduire le monde. Remplacez la rationalité par Jésus ou Bouddha et vous aurez un discours religieux.

Ce que Morin ne peut pas comprendre, c'est que son erreur fondamentale est dans la comparaison de l'homme avec un objet de type machine. Certes, les méthodes rationnelles apportent des choses mais ces choses sont de l'ordre du matériel et non du psychologique (encore moins du spirituel). Or, par postulat, Morin compare l'humain et la machine ou l'ordinateur. Il peut donc appliquer les principes brillants des sciences matérielles à l'humain, mais il se trompe, non parce que les principes des sciences ne sont pas valides, mais parce qu'ils ne s'appliquent pas à l'humain. C'est l'archétype de la pensée scientiste.

Dans ce cadre, qu'est-ce que la rationalité ? Morin a bien pensé de manière rationnelle pour produire une idéologie qui est totalement contestable. On voit bien que la rationalité ne résout rien dans l'absolu, hormis dans le credo scientiste.

La vraie rationalité connaît les limites de la logique, du déterminisme, du mécanisme ; elle sait que l'esprit humain ne saurait être omniscient, que la réalité comporte du mystère. Elle négocie avec l'irrationalisé, l'obscur, l'irrationalisable.


Morin nous explique ce qu'est la "vraie" rationalité. Notons qu'il méprise de toute sa hauteur l'"irrationalisé" qui est pour lui "l'obscur". Nous sommes en pleine théologie scientiste. Ce qu'il n'explique pas avec la science est démoniaque. Nous sommes en pleine idéologie religieuse.

Notons aussi une nouvelle confusion. Que veut dire "rationalisé" ? Représenté avec la raison ? Notons à nouveau ce glissement. Morin parlait de représentation et il parle maintenant de rationalisation ce qui est tout à fait différent. Nous sommes entrés sans nous en rendre compte sur le terrain de la représentation rationnelle, donc le terrain des représentations agréées par le scientisme, comme étant conforme à comment il faut voir les choses. Un pas après l'autre, le système totalitaire morinien se découvre.

D’où la nécessité de reconnaître dans l’éducation du futur un principe d'incertitude rationnel : la rationalité risque sans cesse, si elle n'entretient pas sa vigilance autocritique, de verser dans l’illusion rationalisatrice. C’est dire que la vraie rationalité n’est pas seulement théorique, pas seulement critique, mais aussi autocritique.


Souvenons-nous que le crédo de Morin est de toujours dire tout et son contraire, cela étant entendu dans le référentiel qui est le sien. C'est la "pensée complexe" en mode démocratique . La rationnalité qui s'autocritique est une merveilleuse idée pour paraître trouver une solution aux failles de la rationnalité. Morin, une fois encore, bâche son raisonnement en nous faisant croire que l'autocritique va tout résoudre. Cette croyance communiste est aussi héritée des poncifs du passé de sa génération et est un moyen pour se confesser de manière marxisante. Bien entendu, dans l'autocritique comme dans la confession, il n'est pas certain que la pratique donne un quelconque moyen efficace de traquer les "erreurs de la pensée".

Morin ne veut pas en parler, mais la question sous-jacente, bien connue en philosophie est la question morale. Quel cadre moral peut encadrer une rationalité ? Car la rationalité a besoin d'un référentiel qui la dépasse pour s'exprimer, un cadre au minimum éthique et souvent même spirituel. Il est dommage que Morin en soit resté à l'illusion d'une rationalité ex-nihilo, schéma de pensée très scientiste. Car le scientisme pose mal le problème. La rationalité est un outil qui permet les représentations mais non un objet à étudier en tant que tel. On est toujours rationnel par rapport à quelque chose, mais jamais ex nihilo, on est rationnel dans un certain référentiel moral. Morin, en anti-philosophe qu'il est manque complètement cette constante de la philosophie qui est que le cadre moral précède la rationalité.

La vision des paradigmes de Morin est plus inquiétante car les erreurs qu'elle propose sont plus subtiles. Morin projette sa vision analytique personnelle (et scientiste) aux autres représentations du monde. Ainsi, dans toute vision analytique un peu simpliste, les choses vont par couples d'opposés. C'est la vision que propose ses paradigmes. Là où le bas blesse est dans le fait que toutes les conceptions du monde ne peuvent aussi facilement entrer dans une classification binaire aussi simpliste. Morin, par un tour de passe-passe conceptuel, dégrade les représentations du monde issues des autres courants que le sien et les simplifie à outrance dans une logique analytique primaire qui ne respecte pas le sens des courants cités.

Cette approche est toujours très dangereuse car :

  • elle propose de fausses représentations des autres conceptions du monde (et en ce sens, elle désinforme et manipule),
  • elle nivelle par un genre de dénominateur commun simpliste les autres théories comme si toutes n'étaient que les copies les unes des autres ;
  • elle met en exergue la théorie défendue, ici le scientisme ;

Notons que ce nivellement artificiel se base souvent sur une trop grande simplication, une représentation trop simple ou caricaturale, une conceptualisation usant d'un concept creux. Ces raisonnements sont tout à fait vicieux et très nuisibles pour la pensée.

Par exemple, la notion d'Ordre, d'Espit ou de Structure (pour reprendre les majuscules moriniennes) définissent des façons de voir le monde qui ne peuvent pas être synthétisées par la notion creuse et générique d'un "paradigme" binaire de la pensée. Ces types de pensée sont plus complexes et plus profondes et vont souvent bien au delà de la dualité caricaturale proposée par Morin.

Prenons un exemple : il y a deux paradigmes opposés concernant la relation homme ønature. Le premier inclut l'humain dans la nature, et tout discours obéissant à ce paradigme fait de l'homme un être naturel et reconnaît la " nature humaine ". Le second paradigme prescrit la disjonction entre ces deux termes et détermine ce qu'il y a de spécifique en l'homme par exclusion de l'idée de nature.


Ces conceptions moriniennes sont caricaturales à outrance et le fait même de critiquer une caricature que l'on a soi-même construit pour la substituer à la réalité est extrêmement malhonnête. Cette malhonnêteté a un but : vendre de la pensée complexe et le scientisme. Evidemment.

Seul un paradigme complexe d'implication/distinction/conjonction permettrait une telle conception, mais il n’est pas encore inscrit dans la culture scientifique.


La malhonnêteté de Morin est ici à son comble. Après avoir caricaturé les autres doctrines, il propose un nouveau concept foncdateur du scientisme. Notons que la pensée complexe de Morin n'est qu'un idéal qui n'a jamais rien produit de concret dans son oeuvre. C'est donc l'acte de fois scientiste qui est demandé afin que de "nouveaux paradigmes" puissent faire arriver la "vérité". Nous sommes de nouveau dans la théologie scientiste la plus pure.

Le pouvoir impératif et prohibitif conjoint des paradigmes, croyances officielles, doctrines régnantes, vérités établies détermine les stéréotypes cognitifs, idées reçues sans examen, croyances stupides non contestées, absurdités triomphantes, rejets d'évidences au nom de l'évidence, et il fait régner, sous tous les cieux, les conformismes cognitifs et intellectuels.


Il est navrant de voir que le scientiste qui parle ne comprend pas qu'il parle de son propre conditionnement. Morin se place extérieurement au phénomène (comme Descartes) et donc se trompe totalement (comme Descartes). De plus, la formulation hétéroclite permet de rallier à la cause morinienne les déçus des autres courants. Là où Michel Onfray critiquait les caticatures qu'il faisait des religions pour vendre une athéologie ex nihilo, Morin critique les croyances et les "stéréotypes cognitifs" pour vendre un scientisme totalitaire.

Un scientisme ésotérique

Disons plus : les croyances et les idées ne sont pas seulement des produits de l'esprit, ce sont aussi des êtres d'esprit ayant vie et puissance. Par là, elles peuvent nous posséder.


Nous entrons en plein ésotérisme scientiste. Il ne reste plus qu'à dessiner sur les murs des représentations de démons et tout ce qui n'est pas scientiste est l'oeuvre du démon. Rien de tout cela n'est étonnant surtout pour un "philosophe" venant d'une tradition chrétienne.

D'où ce paradoxe incontournable : nous devons mener une lutte cruciale contre les idées, mais nous ne pouvons le faire qu'avec le secours des idées.


Cette phrase est l'aveu final que Morin n'est pas un philosophe mais un idéologue, un preacher du scientisme. L'importance du cadre moral est donc ici fondamentale. On notera au passage qu'il est possible de lutter contre les idées sans les idées, et cela se nomme la méditation. Bien entendu, Morin ne peut pas envisager qu'il existe quelque chose de non "stupide" en déhors du monde scientiste.

Très signative aussi est l'introduction du concept d'"inattendu" au lieu de celui, plus naturel d'"inconnu". Il y a un petit côté perverti dans cette approche de l'inconnu, comme si l'inconnu se limitait à l'inattendu, à ce qui pourrait nous surprendre intellectuellement durant quelques secondes. On voit très bien les limites très étroites de la conception de Morin, un monde étriqué où il ne fait pas bon vivre. Mais dégrader l'inconnu est vital pour le scientisme qui ne doit jamais reconnaître à quel point la science est défaillante sur un nombre incalculable de domaines.

D’où la nécessité, pour toute éducation, de dégager les grandes interrogations sur notre possibilité de connaître.


Aucune société n'est prête à prendre ce risque, non seulement parce que les effets sont non prévisibles, mais aussi parce que peu de gens savent ce que veut dire interroger la connaissance. De plus, cette démarche est très intellectuelle et on peut vivre fort bien sans se poser des questions formelles d'apprenti philosophe. Morin voudrait-il que tous les enfants lui ressemblent ?

Nous devons comprendre qu'il y a des conditions bio-anthropologiques (les aptitudes du cerveau øesprit humain), des conditions socio-culturelles (la culture ouverte permettant les dialogues et échanges d'idées) et des conditions noologiques (les théories ouvertes) qui permettent de "vraies" interrogations, c'est-à-dire des interrogations fondamentales sur le monde, sur l'homme et sur la connaissance elle-même.


Le credo de la pensée complexe est exposé à nouveau, une pensée qui en voulant tout voir en parallèle ne mène nulle part.

Nous avons besoin de civiliser nos théories, c’est-à-dire d'une nouvelle génération de théories ouvertes, rationnelles, critiques, réflexives, autocritiques, aptes à s'autoréformer.


On sent le vieux rêve communiste sous-jacent. La capacité du système (scientiste) à s'autoréformer est le comble du totalitarisme, car alors le système peut durer éternellement, ce qui était le rêve du communisme. Cela ressemble à la Fondation, décrite par Asimov, archétype du système totalitaire[15].

Nous avons besoin que se cristallise et s'enracine un paradigme permettant la connaissance complexe.


Morin ne fait que vendre sa marchandise de pensée complexe, un paris pris sur le "progrès" des sciences cognitives.

Aussi le problème cognitif est-il d'importance anthropologique, politique, sociale et historique. S’il peut y avoir un progrès de base au XXIe siècle, ce serait que les hommes et femmes ne soient plus les jouets inconscients non seulement de leurs idées mais de leurs propres mensonges à eux-mêmes. C’est un devoir capital de l’éducation que d’armer chacun dans le combat vital pour la lucidité.


Voilà une belle et stérile déclaration de principe, le pire étant que Morin est le premier archétype des choses qu'il dénonce, étant foncièrement fermé à la diversité, juge et aveugle sur la nature du monde. Que pourrait-il donc comprendre à la philosophie ?

La confusion entre fin et moyens

Un acte de foi rationaliste

Dans son deuxième chapitre, Morin commet à nouveau un vice de raisonnement assez révélateur basé sur la même erreur que nous avons relevée dans le premier chapitre. Sa thèse mécaniste explique que l'on peut atteindre une "connaissance pertinente" en suivant des règles formelles d'analyse de la connaissance. Comme nous l'avons déjà noté, l'exercice de la raison hors fondements moraux ne permet pas a priori de s'assurer que la connaissance sera pertinente. Car il faut une base à la raison et des limites dans lesquelles cette raison doit s'exprimer. C'est donc un acte de foi sous-jacent au raisonnement de Morin que ce dernier réclame, acte de foi qui postule que l'application de certaines méthodes implique une garantie de connaissance pertinente.

Notons de plus un glissement sémantique certain. Quand le premier chapitre usait de la terminologie "erreur" et "illusion", nous sommes ici dans une connaissance jugée "pertinente". Nous sommes donc en pleine morale. Pertinente, mais au regard de quoi ? Dans quel cadre ?

"Connaissance pertinente" versus "infirmité cognitive"

Chez Morin, la pensée est "complexe" et la connaissance "pertinente". Morin commence très fort ce chapitre par une condamnation morale tout à fait digne des grands procès du stalinisme.

La connaissance des problèmes clés du monde, des informations clés concernant ce monde, si aléatoire et difficile soit-elle, doit être tentée sous peine d’infirmité cognitive.


La clef de voûte de la morale morinienne est dans cette formulation. Pour ne pas devenir "infirme cognitif", il faut s'intéresser aux "problèmes et informations clés" du monde. Ce discours établit une norme très dure qui n'est pas sans faire penser à la condamnation des autres infirmités lors des années 30 par divers régimes fascistes. Ainsi, le fait d'être bourgeois était condamnable en terre communiste, le fait d'être juif, homosexuel ou infirme en terre nazie et le fait d'être communiste en terre fasciste. Morin invente un nouveau concept encore plus pernicieux : l'"infirmité cognitive" qui exclut la personne d'emblée du "futur". En tant qu'informe cognitif, cette personne ne peut plus suivre le second principe d'éducation pour le futur. Cette façon de parler et de penser est l'apanage des doctrinaires étroits d'esprit. Le reste n'en est pas moins révélateur.

L’ère planétaire nécessite de tout situer dans le contexte et le complexe planétaire.


Ce genre de billevesées est très représentatif de la filiation morale de Morin. Ce dernier postule que ce contexte planétaire existe vraiment, comme si la planète possédait une certaine homogénéité. Or, ce n'est pas le cas. On voit bien que les européens ont une image totalement déformée de ce qui se passe chez leurs voisins proches et absolument erronée lorsqu'il s'agit de comprendre les problématiques africaines ou chinoises par exemple. S'inscrire dans le "contexte et le complexe planétaire" est donc un moyen de moderniser la vieille thèse universaliste française éculée chère aux héritiers du 1789 des images d'Epinal. Les intellectuels français vivent dans cette illusion de l'universalité à la française, dans cette illusion qu'ils peuvent tout comprendre du reste du monde alors qu'ils ne font que projeter leurs démons sur le reste du monde[16].

La connaissance du monde en tant que monde devient nécessité à la fois intellectuelle et vitale.


Nous sommes en pleine propagande. Pourquoi donc la connaissance du monde deviendrait une nécessité ? Parce que Morin est imbibé de phénoménologie, d'une vision externe des choses et d'une croyance en une pensée complexe qui viendrait tout synthétiser. Cette foi est opposée à la connaissance de soi proposée par Socrate. Morin considère comme une nécessité la connaissance du monde et non la connaissance de soi. A noter aussi qu'il hiérarchise de manière troublante la nécessité en mettant l'intellect en premier et la vie en second !

La thèse scientiste s'éclaire petit à petit. Le scientiste doit connaître le monde mais pas lui-même. Il doit se dissoudre dans une plus grande confusion au lieu de résoudre les conflits intérieurs. C'est bien entendu une démarche purement antireligieuse, mais aussi totalement hasardeuse, car personne n'a jamais prouvé qu'augmenter la confusion de l'esprit faisait naître la "connaissance pertinente", bien au contraire.

Le dieu information

C’est le problème universel pour tout citoyen du nouveau millénaire : comment acquérir l’accès aux informations sur le monde et comment acquérir la possibilité de les articuler et de les organiser ? Comment percevoir et concevoir le Contexte, le Global (la relation tout/parties), le Multidimensionnel, le Complexe ?


Notons que l'homme futur est avant tout un citoyen, ce qui est affreusement réducteur, mais typique de l'assimilation d'une certaine génération avec la société qu'elle compose (notamment les générations athées de l'après-guerre). En effet, un homme ne peut se limiter au citoyen ou alors la société fonde tout ce qu'il est, ce qui signifie qu'il vit dans un système totalitaire. Certains intellectuels français ont ce vieux fantasme de contraindre les hommes en simples citoyens, contrainte qui est héritée de leur foi aveugle en une universalité française. Ainsi, toute pensée en dehors de l'universalité n'est pas nécessaire car la pensée universalistes couvre tout. Ainsi, elle ne devrait pas exister.

Les vieux fantasmes totalitaires reviennent toujours, il faut le comprendre, dans des théories intellectuelles d'organisation du monde. Morin ayant dans le premier chapitre réduit l'homme à une machine, il définit maintenant les tâches opérées par cette machine. Tout comme le communisme qui était une belle théorie mais pas pour les hommes tels qu'ils sont, le scientisme morinien est un bel exemple de totalitarisme prévu pour des hommes tels qu'ils ne sont pas.

La citation ci-dessus peut de plus laisser un peu perplexe dans la mesure où Morin a définitivement assimilé savoir et information. Le citoyen du futur devra "obtenir" et "organiser" ces informations et comprendre les interdépendances. L'objectif n'est pas très attirant hormis pour les chercheurs ou les philosophes. Mais Morin voit le monde à son image, comme tous les philosophes.

Des abus de généralisation

A ce problème universel est confrontée l’éducation du futur, car il y a inadéquation de plus en plus ample, profonde et grave entre, d’une part, nos savoirs disjoints, morcelés, compartimentés et, d’autre part, des réalités ou problèmes de plus en plus polydisciplinaires, transversaux, multidimensionnels, transnationaux, globaux, planétaires.


Ce discours provient des interrogations philosophiques de la communauté scientifique depuis quelques décennies[17]. Il faut néanmoins prendre garde à plusieurs choses :

  • l'interrogation scientifique de la division des matières et de leur possible synthèse est une question assez formelle touchant aux sciences dites dures ;
  • cette interrogation est le centre de la foi en sciences cognitives, foi selon laquelle en usant d'un peu de toutes les sciences, nous aurons un jour le moyen de trouver des "corrélations inter-domaines" ;
  • il n'est pas certain que les sciences cognitives réussissent à "fusionner" des sciences entre elles et à produire quelque chose d'intelligible de cette fusion ;
  • il n'est pas rigoureux au niveau du raisonnement de glisser de ces problèmes de philosophie des sciences à la généralisation de ce genre de questions au genre humain tout entier et aux sciences humaines en particulier.

Ainsi, la citation ci-dessus est archétypale du glissement morinien et de la généralisation abusive. D'un constat valide de morcellement du savoir (académique), d'un constat valide de la présence de quelques problèmes complexes impliquant plusieurs dimensions, Morin veut en faire une généralisation à la méthode de pensée de tous les citoyens. Religieusement parlant, cette doctrine est satanique car elle valide la division ultime des savoirs et vise à une hypothétique synthèse. Dans l'attente de cette synthèse, le scientiste Morin prône une plus grande confusion. L'homme dit moderne a déjà assez de problèmes dans sa vie sans lui en rajouter de supplémentaires.

De plus, charger l'éducation de résoudre cette équation impossible est assez amusant. Les chercheurs eux-mêmes dont c'est le métier ne peuvent pas résoudre ces problèmes et Morin demande à l'éducation du futur de les résoudre à leur place.

Le problème des fondements des sciences cognitives

Les parties suivantes du texte détaillent les quatre dimensions dans lesquelles Morin voit la nécessité de changer notre approche du savoir-information.

La première est le contexte, dimension dans laquelle il est heureux qu'il n'ait pas fallu attendre les cognitivistes pour comprendre que le contexte avait son importance dans la compréhension des faits. Parfois, Morin prend vraiment son lecteur pour un parfait imbécile.

La vieille tarte à la crème pascalienne des parties et du tout revient ensuite sur le tapis morinien, agrémenté de la remarque éculée sur la cellule portant le code génétique complet. Bien entendu, les choses sont justement plus complexes que cela. Cette remarque pascalienne a le mauvais goût de généraliser à un niveau trop élevé qui nous fait entrer en plein concept creux. Il est d'ailleurs étonnant que Morin soit resté à ce niveau de considération car même en sciences humaines, la notion de structure complexe a quand même été très à la mode. Le structuralisme est en ce sens plus précis et plus ambitieux que la simple approche pascalienne trop générale et sémantiquement un peu creuse.

Les unités complexes, comme l’être humain ou la société, sont multidimensionnelles : ainsi l’être humain est à la fois biologique, psychique, social, affectif, rationnel. La société comporte des dimensions historique, économique, sociologique, religieuse…

La troisième partie parle de multi-dimension. Il y a là un vice de forme logique assez difficile à détecter de prime abord. En effet, la citation ci-dessus illustre un problème fondamental qu'il n'est pas aisé de présenter simplement. Nous dirons que l'histoire des sciences a divisé son approche du monde par différentes disciplines ou matières, par différentes représentations, mais que cette division (tout comme les fondements des mathématiques par exemple) n'a jamais été établie selon un plan exhaustif, ni un plan permettant de disjoindre logiquement les disciplines elles-mêmes. En d'autres termes, les disciplines de par leur existence même abordent parfois les mêmes sujets mais dans des perspectives différentes.

Prenons un exemple. D1 et D2 seraient deux disciplines traditionnelles d'étude (par exemple la biologie et la psychologie) et P serait un phénomène à étudier (par exemple l'action d'une certaine personne dans un certain cas). D1 et D2 fournissent deux représentations du phénomène P. Deux cas se présentent :

  • D1 et D2 génèrent des représentations de P sans que ces deux représentations aient un lien ;
  • D1 et D2 génèrent des représentations de P mais ces représentations sont liées.

Dans le second cas, il est possible de penser pouvoir trouver une représentation plus "pertinente" du phénomène P, au moins dans le cadre d'une utilisation commune des représentations de D1 et D2. Cet exercice est largement connu en mathématiques[18] où l'on use souvent d'un genre de modèle "local" pour étudier un phénomène particulier. Mais, d'une manière générale, le traitement des problèmes complexes bute sur la juxtaposition de représentations en provenance de D1 et de D2 sans qu'aucune synthèse ne soit possible.

L'acte de foi de Morin vise à croire que ce qu'il nomme la "pensée complexe" résoudra ces problématiques de fond et en l'état actuel des choses, ce Graal de la pensée est un idéal que l'on ne peut atteindre.

Le vice de forme de la pensée de Morin réside donc dans le fait que :

  • les disciplines universitaires telles qu'elles existent ne sont pas forcément dessinées de manière optimum pour aborder les problèmes complexes ;
  • la notion de connaissances (scientifiques) "transversales" est un peu biaisée dans la mesure où ces connaissances ne sont transversales que pour notre vision universitaire du découpage traditionnel des disciplines et non pour un esprit un peu large[19] ;
  • observer que la connaissance (académique) est morcelée est un peu paradoxal, car ce morcellement est surtout l'illustration organisationnelle de la manière dont les gens se sont répartis le travail et se sont spécialisés et non obligatoirement une nécessité des phénomènes étudiés eux-mêmes ;
  • ainsi, attribuer à un phénomène des "dimensions" sur les disciplines traditionnelles peut être un non sens complet, une modélisation erronée qui bloque la modélisation du phénomène lui-même ;
  • enfin, croire que la complexité des phénomènes multi-dimensionnels pourra être résolue par une approche générique est là encore un acte de foi, car rien n'est moins sûr ; il semblerait même, si l'on en croît l'exemple mathématique, que l'étude de certains phénomènes multi-dimensionnels ne puisse pour le moment se faire qu'au moyen de complexes recettes de cuisine totalement spécifiques au phénomène étudié.

Morin, en voulant faire de ces considérations très spécifiques, la base de l'éducation du futur se fourvoie, un peu à la manière dont les mathématiciens du début du siècle poursuivait la chimère des fondements des mathématiques. Morin poursuit la chimère d'une méthodologie scientifique universelle pour résoudre tous les problèmes multi-dimensionnels. Nous sommes au coeur des problèmes de conception fondamentaux sous-jacents aux sciences cognitives et au coeur de la foi cognitiviste[20].

La partie sur le complexe est une redite de la partie multi-dimensionnelle sans que Morin ne semble bien comprendre la nuance.

Morin et la représentation de l'intelligence

Morin se sert de références bibliographiques venues des apôtres des sciences cognitives pour étayer une représentation de l'intelligence qui est celle d'un moteur d'inférence usant de données sur le monde.

L’éducation doit favoriser l’aptitude naturelle de l’esprit à poser et à résoudre les problèmes essentiels et, corrélativement, stimuler le plein emploi de l’intelligence générale.


Nous sommes ici en pleine division analytique entre les types d'intelligence, et en pleine bibliographie justificative. Evidemment, est-il nécessaire de rappeler que des personnes peuvent inférer correctement avec une grande culture générale et dire de grosses bêtises ? Bien entendu, la "culture" n'est pas l'intelligence, et l'intelligence n'a pas de rapport avec l'accumulation bestiale du savoir livresque, même si la plupart des gens semblent étrangement s'en être convaincus.

Au contraire, l'accumulation du savoir livresque a souvent l'effet inverse, c'est-à-dire une insensibilisation de la personne aux problèmes humains et une tendance pour les hommes à ne devenir que des machines intellectuelles. Cette façon morinienne de défendre une vision mécanisme de l'intelligence est parfaitement anti-religieuse. On notera de plus qu'une fois encore, le cadre moral requis pour l'intelligence est absent.

Ce plein emploi nécessite le libre exercice de la curiosité, faculté la plus répandue et la plus vivante de l’enfance et de l’adolescence, que trop souvent l’instruction éteint et qu’il s’agit au contraire de stimuler ou, si elle dort, d’éveiller.


Oui, mais être curieux ne veut pas dire comprendre, tout comme être cultivé ne veut pas dire être intelligent.

Morin et le progrès

Des progrès gigantesques dans les connaissances se sont effectués dans le cadre des spécialisations disciplinaires au cours du XXe siècle.


Il va de soi que nous sommes au coeur de la théologie matérialiste moderne. Si les projets matériels sont incontestables, les progrès humains sont inexistants, il faut le dire et le répéter. La généralisation de la notion de progrès à l'homme est donc totalement illicite. Le progrès humain n'est qu'un progrès matériel.

Ainsi, les réalités globales et complexes sont brisées ; l’humain est disloqué ; sa dimension biologique, cerveau compris, est enfermée dans les départements biologiques ; ses dimensions psychique, sociale, religieuse, économique sont à la fois reléguées et séparées les unes des autres dans les départements de sciences humaines ; ses caractères subjectifs, existentiels, poétiques, se trouvent cantonnés dans les départements de littérature et poésie. La philosophie, qui est par nature une réflexion sur tout problème humain, est devenue à son tour un domaine clos sur lui-même. Les problèmes fondamentaux et les problèmes globaux sont évacués des sciences disciplinaires. Ils ne sont sauvegardés que dans la philosophie, mais cessent d’être nourris par les apports des sciences.


Morin se fait l'écho d'une vieille rengaine qui trouve ses racines dans le début du XXème siècle comme quoi la science devrait "nourrir" la philosophie, ce qui franchement, reste à prouver. Quand cette "nourriture" est passée, elle est passée au travers d'analogies délirantes et amenant des idées totalitaires. Car il faut noter que si la science inspire la philosophie, alors la philosophie devient nécessairement totalitaire. C'est une évidence car la science ne travaille qu'en règles générales et non dans le monde du particulier comme peut l'être le monde des hommes.

Il suffit pour comprendre l'immense erreur de Morin de regarder le travail du législateur français. Le législateur est de loin l'entité abstraite qui connaît le mieux les hommes dans notre pays. Le législateur n'est pas inspiré fort heureusement par des théories mécanistes absurdes ou nous vivrions en dictature totalitaire. Morin devrait comprendre que sa théorie n'arrive pas à la cheville du code Napoléon en termes de connaissance des hommes et qu'étudier la jurisprudence lui montrerait (dans un domaine certes restreint) beaucoup de choses sur l'homme tel qu'il est que la théorie fantaisiste et simpliste ne peut pas englober.

Morin et ses délires

La troisième partie du texte est une liste de problématiques très académiques, très "internes au CNRS", parmi lesquels des plaintes de Morin contre le morcellement du savoir et l'absence de vision globale. Cela n'en fait pas un problème commun à tous les hommes.

Or nous sommes en voie de subordination aux I.A. qui sont implantés profondément dans les esprits sous forme d’une pensée technocratique.


Morin délire complètement, une fois encore à la suite d'une assimilation totalement erronée de concepts, la comparaison entre une IA et une pensée technocratique étant totalement absconse.

Partout, et pendant des dizaines d’années, des solutions prétendument rationnelles apportées par des experts convaincus d’œuvrer pour la raison et le progrès et de ne rencontrer que superstitions dans les coutumes et craintes des populations, ont appauvri en enrichissant, ont détruit en créant.


Nous noterons combien Morin ne comprend pas qu'il est en train de faire cela même qu'il condamne. Le fait que Morin élude même la question éthique (pourtant très présente en sciences) est très révélateur de sa position scientiste et de son absence de position réellement scientifique, car cette question est le dérivé moderne de la question morale. Morin est aveugle. Il constate sans comprendre que l'intelligence ne garantit rien quant aux résultats des actions.

Ainsi, le XXe siècle a vécu sous le règne d’une pseudo-rationalité qui s’est prétendue la seule rationalité, mais a atrophié la compréhension, la réflexion et la vision à long terme. Son insuffisance pour traiter les problèmes les plus graves a constitué un des problèmes les plus graves pour l’humanité.


C'est une interprétation tout à fait contestable. Au contraire, nous dirons que le XXème siècle est un siècle totalement intellectuel qui a poursuivi des buts très intellectuels, idéologiques, financiers selon une logique froide, inhumaine et implacable. Le totalitarisme en est la preuve au travers de ses multiples formes. Morin ne parvient pas à comprendre que ses solutions vont dans le sens même de tout ce qui s'est fait de pire au XXème siècle. Le romantisme scientiste et universaliste de Morin est aussi dangereux que toutes les théories les plus meurtrières du XXème siècle.

D’où le paradoxe : le XXe siècle a produit des progrès gigantesques dans tous les domaines de la connaissance scientifique, ainsi que dans tous les domaines de la technique. En même temps, il a produit une nouvelle cécité aux problèmes globaux, fondamentaux et complexes, et cette cécité a pu générer d’innombrables erreurs et illusions, à commencer chez les scientifiques, techniciens, spécialistes. Pourquoi ? Parce que sont méconnus les principes majeurs d’une connaissance pertinente. La parcellarisation et la compartimentation des savoirs rendent incapable de saisir " ce qui est tissé ensemble ".


Cette analyse est bien entendu totalement fausse, et elle tient plus d'un discours marketing pour vendre du scientisme que d'une véritable analyse de ce qui est. Les principes de la connaissance "pertinente" ne valent pas plus que le mythe de la pensée "complexe". On ne comprend pas un sujet en lui collant un épithète. De plus, la connaissance des interdépendances ne garantit pas que l'homme ne choisira pas des conséquences néfastes pour des intérêts personnels et/ou à court terme.

Conclusion

Morin vit dans un monde de chimères, dans les salons bien pensants des scientistes qui jouent aux petits philosophes. Et rien d'humain ne sort de ce monde chimérique dans lequel la fin et les moyens sont confondus au travers de la disparition des questions morales. Cette confusion est d'ailleurs très révélatrice d'une vraie foi universaliste, foi si profonde que seul un chemin vers le "futur" est possible.

Bien sûr, nous pourrons nous demander ce qu'au final Morin propose quant à l'éducation, car hormis parler de ses propres affres, les recommandations éducatives s'apparentent plus à des imprécations.

Notes

  1. Cf. Baby boom et génération névrose.
  2. Cf. la théorie des "agents pathogènes", qui décrivaient certains éléments humains qui perturbaient la "société", ordre parfait (comme la cellule), comme autant de nuisances à la survie de l'"organisme social" tout entier.
  3. Cf. Le concept creux.
  4. C'est la méthode anglo-saxonne des pros and cons.
  5. Cf. A propos de la vérité.
  6. Comme les sciences cognitives pensent "découvrir" la conscience dans leurs investigations aveugles.
  7. Cf. Baby boom et génération névrose.
  8. Gödel formalisera cette évidence un peu plus tard avec son théorème d'incomplétude.
  9. Cf. l'affaire Sokal.
  10. Cf. A propos de Michel Foucault et A propos de Michel Onfray.
  11. Comme le "philosophe" Badiou qui ne semble pas sorti du marxisme.
  12. D'où le fait que le théorème de Gödel soit une évidence.
  13. Ces théories ont été défendues par des ésotéristes comme Papus avant d'être récupérées par les franges extrêmes des sociétés européennes au début du XXème siècle.
  14. Nous noterons que le XXIème siècle n'a pas encore digéré la généricité des mécanismes idéologiques dans leur totalité. C'est pour cette raison que de nouveaux mouvements peuvent avec des bonnes intentions reproduire les traits structurels des idéologies meurtrières du passé.
  15. Cf. Fondation ou l'apologie du système totalitaire.
  16. Cf. L'obsession névrotique française de l'universalité.
  17. Cf. La voix du maître, de Stanislas Lem, écrit en 1968 par exemple.
  18. Notamment en analyse lors de la résolution des équations différentielles.
  19. On pourrait citer Poincaré dans la "transversalité" des préoccupations mathématiques et physiques.
  20. Cette foi s'illustre aussi par l'espoir de "voir naître" la conscience dans un cerveau informatique.